Le roi Midas

Première fortune d’Amérique latine, le patron de Grupo Carso « fabrique », dit-on, 5 000 dollars toutes les deux minutes. Sa spécialité : le rachat de sociétés moribondes. Son atout : un flair de vieux renard.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 4 minutes.

C’est l’homme le plus riche d’Amérique latine. Avec une fortune de 23,8 milliards de dollars, il figure en quatrième position du palmarès international 2005 du magazine américain Forbes. Juste derrière l’inamovible patron de Microsoft, Bill Gates, le financier américain Warren Buffet et le géant indien de l’acier, Lakshmi Mittal. Dans son pays natal, au Mexique, le bruit court que cet homme d’affaires barbu et replet « fabrique » 5 000 dollars toutes les deux minutes. On le surnomme même le « roi Midas ». Car tout ce que touche Carlos Slim se métamorphose en billets verts, y compris les entreprises les plus malades.
En 1997, Apple Computer est à l’agonie. Guidé par un flair toujours aux aguets, il se rue sur les actions du fabricant d’ordinateurs, bradées à moins de 15 dollars l’unité. Deux ans plus tard, elles en valent plus du double. Et Carlos Slim n’en était pas à son premier coup. Aujourd’hui, à 66 ans et malgré une opération au cur, il n’est pas près de tirer sa révérence et continue de guetter les bonnes occasions. Père de six enfants, il n’a aucun souci à se faire quant à sa succession à la tête d’un empire qui fait la fierté des Mexicains.
Né de parents libanais exilés au Mexique, Carlos a de qui tenir. Son père, arrivé à Mexico en 1902, fit fortune dans l’immobilier durant la révolution mexicaine (1910-1920). Cinquième d’une ribambelle de six enfants, Carlos fera preuve de la même aptitude à tourner les événements à son avantage : d’après la petite histoire, à l’âge de 12 ans, il aurait immédiatement fait fructifier 20 dollars que son père venait de lui donner. Quelques années plus tard, diplôme d’ingénieur en poche, le jeune homme commence à investir dans diverses affaires et les rassemble dans Grupo Carso, un conglomérat qui voit le jour en 1966. Aujourd’hui, avec 30 000 employés, l’empire a prospéré, c’est le moins que l’on puisse dire. Vente au détail, construction, aluminium, il regroupe les activités les plus variées.
En 1981, Carlos Slim acquiert le distributeur de cigarettes Cigatam, qui détient la licence de vente des marques de l’américain Marlboro. Une véritable « vache à lait », dixit le Financial Times : au Mexique, à l’époque, explique le quotidien britannique, les vendeurs de cigarettes avaient un mois pour restituer à l’État les taxes prélevées sur le tabac. Une avance de trésorerie sans frais qui lui permet, au cur de la crise financière mexicaine de 1982, de se porter acquéreur d’entreprises en faillite, dont la plus grande chaîne de distribution et de restauration du pays, Sanborn. Certains lui reprocheront d’avoir bâti son conglomérat sur la banqueroute du Mexique. Narguant ses détracteurs, Carlos Slim profite, huit ans plus tard, de la vague de privatisations et achète à l’État, pour 1,75 milliard de dollars, l’opérateur téléphonique national, Telmex, qui détient le monopole jusqu’en 1997. « Bradé ! » s’indignent les acquéreurs, sortis du jeu par ce fils d’immigrés libanais. Mais, au moins, l’entreprise reste dans le giron national. Avec 96 % des lignes fixes du pays, Telmex est encore aujourd’hui le principal opérateur mexicain. Présent au Guatemala, en Argentine, au Brésil, en Colombie et au Pérou, il a même pris une envergure continentale. « C’est un investisseur impénitent, il ne s’arrête jamais. Son seul souci, c’est de se maintenir à un niveau d’activités toujours très important, explique un observateur à Mexico. Mais c’est un repreneur habile, pas un fonds d’investissement. » Comprendre : Carlos Slim ne se contente pas d’acheter, de dépecer, de revendre et d’empocher les plus-values. Il bâtit un monument et se soucie aussi des intérêts économiques de son pays. En témoigne l’agressivité toute nationaliste de la campagne de publicité de Telmex, en 1997, quand le marché se libéralise et s’ouvre à la concurrence étrangère.
Avec sa barbe grise bien fournie qui lui donne des faux airs de Lula, Carlos Slim s’improvise aussi justicier. En 2004, la Fondation Telmex paye la caution de 18 000 prisonniers afin qu’ils soient libérés, à condition qu’ils ne soient ni récidivistes ni condamnés pour acte de violence armée, délit sexuel ou trafic de drogue. Un geste qui lui a valu, sans surprise, d’être comparé à Robin des Bois dans un quotidien mexicain. « Il redistribue un peu de la richesse qu’il a accumulée », reconnaît un de ses concitoyens.
Carlos Slim a également mis en place des programmes de cours de corrida et de base-ball pour les jeunes des quartiers défavorisés. Mais son acte le plus remarqué, quoique critiqué par certains travailleurs sociaux, reste la réhabilitation du centre historique de Mexico, en déshérence. « Moi qui habite Mexico depuis longtemps, je peux le dire, les gens sont très contents de voir ce qui a été fait », assure un Mexicain. Carlos Slim n’aurait pas la stature d’un patron si, comme Rockefeller, Soros, Pinault et consorts, s’il n’était aussi amateur d’objets d’art. Son musée, à Mexico, renferme la plus grande collection de Rodin à l’étranger. Et compte des sculptures de Camille Claudel et d’Antoine Bourdelle.
Il joue aussi les médiateurs en politique. Récemment, il a réussi à convaincre chefs d’entreprise et partis politiques de s’engager solennellement afin que la campagne pour la présidentielle de 2006 soit un exemple de respect mutuel et de dialogue. Et n’a pas hésité à publier des tribunes dans la presse pour exposer, point par point, ses recommandations aux politiques. « Il est devenu un entrepreneur nationaliste, analyse un habitant de Mexico. Mais il est très neutre politiquement. » On l’a toutefois vu bien proche du maire de la capitale, Andrés Manuel Obrador, présidentiable s’il en est. « Carlos Slim fait l’unanimité, je suis sûr qu’il y a des gens qui aimeraient le voir président », assure un observateur. Le « sage » restera-t-il au-dessus de la mêlée ?

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