Dossier mines : Les miniers sont-ils de si mauvais voisins ?
Grèves, accidents écologiques, trafics en tout genre… Conscients que leur image n’est pas toujours reluisante, les géants du secteur minier adoptent des politiques de responsabilité sociale des entreprises en faveur des populations en Afrique. Parmi leurs domaines d’action : la santé, l’emploi, la formation.
Les miniers, de si mauvais voisins ?
La réputation de l’industrie minière n’est pas brillante. Mondialisée, liée aux grandes places financières anglo-saxonnes, avec une histoire marquée par des conflits sociaux à répétition, de graves pollutions et un manque de transparence, son image reste mauvaise. Ces derniers mois, les grèves dans les mines d’or et de platine en Afrique du Sud ou de bauxite en Guinée, les accusations d’évasion fiscale à l’encontre de Glencore-Xstrata en Zambie, ou encore de corruption en RD Congo ont donné du grain à moudre à ses détracteurs.
Les attentes des communautés suscitées par l’industrie minière sont d’autant plus importantes en Afrique que la majorité des gisements sont situés dans des zones reculées et souvent négligées : les mines de la Société nationale industrielle de Mauritanie (SNIM), deuxième producteur de fer en Afrique, se trouvent au milieu du Sahara ; le complexe de cuivre et de cobalt de Tenke Fungurume, le plus important d’Afrique centrale, est au Katanga, où la faiblesse du réseau électrique est patente. Quant au mégagisement de fer de Simandou, pas encore exploité, il se trouve à plus de 1 000 km de Conakry, dans une région forestière sans infrastructures de transport viables.
Communautés
Prenant davantage en compte leur environnement et… leur réputation, notamment auprès des investisseurs en Bourse, les groupes miniers ont, depuis le début des années 1990, mis en place des politiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE) de plus en plus élaborées. « D’abord centrée sur la sécurité des travailleurs et l’atténuation des impacts négatifs de la présence d’une mine, la RSE des groupes privés est devenue un véritable programme décliné en plusieurs volets : la formation et l’emploi local, la santé et la sécurité, la gouvernance et la transparence, l’environnement et la contribution au développement des communautés », égrène Prisca Piot, spécialiste en développement durable chez Teranga Gold au Sénégal et ancienne de la Banque mondiale.
Malgré les montants engagés, ces initiatives n’ont pas la cote auprès des ONG.
Ces dernières années, les budgets liés à la RSE ont explosé. Le géant brésilien Vale, premier producteur de fer dans le monde, affirme y avoir consacré en cinq ans 6 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros), pour un chiffre d’affaires de 46,5 milliards de dollars et un bénéfice net de 5,5 milliards en 2012.
Présente au Mozambique, en Angola, en RDC, en Guinée et en Afrique du Sud, l’entreprise a prévu un budget mondial de RSE de 975 millions de dollars en 2014. Un montant qui doit servir à financer des programmes allant du développement communautaire à la protection de l’environnement.
Le groupe Randgold, actif au Mali, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en RD Congo, indique lui que ses dépenses de développement communautaire sont passées de 963 000 dollars en 2010 à 33 millions de dollars en 2012, pour un chiffre d’affaires de 1,367 milliard de dollars en 2012 et un bénéfice net de 508 millions de dollars. Au Sénégal, la convention minière signée entre Teranga Gold et l’État prévoit 425 000 dollars dépensés chaque année pour des projets de développement local adjacents à la mine de Sabodala, à comparer à un bénéfice net de 79,9 millions de dollars.
Entre les grandes compagnies (majors) et les juniors, pas de bons ou de mauvais élèves. Les premières ont de plus gros budgets RSE et surtout une méthodologie éprouvée, notamment pour les questions foncières. En revanche, les juniors minières qui vont plus loin que le stade de l’exploration s’adaptent plus finement au contexte local, même avec moins d’argent.
Limites
Pourtant, malgré les montants engagés, la RSE n’a pas la cote auprès des ONG. « Nous n’avons pas confiance dans les initiatives volontaires des groupes privés », indique Richard Solly, coordinateur de London Mining Network.
« Toutes les études sérieuses prouvent les limites des programmes de RSE, et mettent en avant la quasi-impossibilité d’en mesurer les bénéfices, et en particulier dans le domaine extractif », estime-t-il, citant notamment le rapport « Impact » de la Commission européenne, publié en septembre 2013.
« En dépit des belles déclarations et de l’adoption de codes de conduite par des groupes comme Rio Tinto, BHP Billiton et Anglo American, ces derniers ont été impliqués dans des conflits majeurs avec les communautés locales autour de leurs mines », fait valoir London Mining Network. Un double discours relevé également par l’alliance syndicale IndustriAll, qui a publié en 2011 un rapport au vitriol sur Rio Tinto, dénonçant en particulier l’attitude de la compagnie à l’égard de ses salariés et des communautés locales en Namibie, au Mozambique, en Centrafrique et en Afrique du Sud.
« Ce sont des consultants rémunérés par les entreprises qui sont censées vérifier ce qui se passe. Les groupes miniers sont à la fois juges et parties. Une véritable industrie de la RSE est née, avec des prestataires de service qui survolent souvent les problèmes, et vont parfois jusqu’à parler au nom des communautés locales », regrette London Mining Network. Pour l’ONG, la seule solution pour changer la donne tient à l’introduction d’une régulation contraignante, contrôlée par des auditeurs indépendants.
Opacité
D’après la chercheuse et consultante canadienne France Bourgouin, qui a réalisé plusieurs études sur la RSE minière en Tanzanie, au Mozambique et au Ghana, les seules impositions de normes et de législations ne permettront pas d’améliorer les pratiques. « En Tanzanie, on a changé la législation minière pour être certifié conforme à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Mais la publication des chiffres des revenus miniers n’a guère fait évoluer les comportements du gouvernement et des compagnies aurifères en matière de transparence. Les conditions d’obtention des licences minières sont restées opaques. »
« De même, ce n’est pas parce qu’un consultant a coché toutes les cases d’une grille « standard » du Conseil international des mines et métaux (ICMM) sur les ressources humaines que les mauvaises habitudes disparaissent. L’obtention d’une certification peut parfois s’avérer une opération marketing s’il n’y a pas de changement volontaire d’attitude du management. Heureusement, il faut le reconnaître, dans un certain nombre de groupes, anglo-saxons notamment, les choses vont dans le bon sens, même si les compagnies asiatiques sont moins sensibles à la RSE », affirme cette anthropologue diplômée en économie.
Pour en savoir plus sur le RSE en Afrique :
RSE : cercle vertueux ou miroir aux alouettes ?
Thierry Téné : « Une entreprise responsable, c’est une entreprise rentable »
Les populations confiées « aux bons soins des multinationales »
Sur l’industrie minière :
Industries extractives : le difficile chemin vers la transparence
Mining Indaba : des perspectives contrastées pour l’industrie minière
Elle ajoute : « Certaines ONG présentent les choses de manière caricaturale, comme si les grandes compagnies minières, telle Rio Tinto, servaient exclusivement les intérêts de leurs riches actionnaires, banquiers de la City londonienne, aux dépens des pauvres mineurs africains. Pour que les programmes réussissent et s’améliorent, il est essentiel que les ONG, communautés locales et gouvernements acceptent de coopérer avec les groupes privés, en sortant d’une posture idéologique ou politique ! »
« La durée d’exploitation des mines peut atteindre plus de trente ans. Cela oblige les sociétés à penser leurs programmes de RSE sur le long terme. On est sorti de la logique paternaliste. Les projets financés par les groupes miniers ne sont plus séparés, mais intégrés à la mine, avec des politiques de ressources humaines et de formation, mais aussi d’approvisionnement local, permettant à des sociétés locales de se développer, notamment dans les transports, la restauration, l’agriculture, le nettoyage ou le gardiennage. Autre point crucial, la fermeture des mines est désormais préparée bien plus en amont », se réjouit Prisca Piot.
À l’avenir, l’intégration des projets miniers dans les tissus régionaux devrait être davantage prise en compte par les entreprises. Si les législations des pays – très disparates – vont continuer à se renforcer, la RSE restera dépendante du bon vouloir du management des compagnies minières. Avec souvent, pour seul contre-pouvoir en cas de mauvaises pratiques, le plaidoyer de la société civile et le regard des médias. La mise en place de « gendarmes » indépendants de la RSE n’est pas encore pour demain.
MARC ONA
Sécretaire exécutif de l’ONG BrainForrest, coordinateur de la campagne « Publiez ce que vous payez » au Gabon
Les politiques de RSE des groupes miniers sont des démarches positives, qui profitent à la fois aux entreprises et aux populations locales. Mais il est nécessaire que les principes qui les régissent soient inscrits dans les lois du pays, et surtout qu’il y ait un contrôle effectif par l’État des réalisations, ce qui n’est pas le cas au Gabon. C’est la société civile qui a alerté l’État sur les agissements de China Machinery Equipment Corporation (CMEC), titulaire du gisement de fer de Belinga, qui empiétait sur un parc national.
C’est en se fondant sur le fait que ce groupe n’avait aucune politique en matière de RSE que le gouvernement a fini par lui retirer le permis minier en décembre 2013. De son côté, le groupe Eramet, qui exploite le manganèse gabonais, affichait, comme la plupart des groupes européens, des principes de RSE. Mais nous avons relevé que leur activité polluait la rivière Moulili. Depuis que nous avons alerté l’opinion, il faut reconnaître que l’entreprise s’est attelée à réhabiliter la zone. Mais sans pression extérieure, les groupes miniers agissent rarement. »
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