La planète est à sec

Les changements climatiques s’aggravent. Depuis deux ans, la sécheresse sévit dans des régions déjà désertiques et démunies.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 5 minutes.

Le 25 janvier dernier, la Nasa a « couronné » 2005 comme l’année la plus chaude depuis 1861, date du début des relevés météorologiques mondiaux. L’agence spatiale américaine note que la température du globe s’élève inexorablement et que le phénomène semble s’accélérer : + 0,6 °C sur les trente dernières années, soit presque autant qu’en un siècle (0,8 °C). Dans de nombreuses régions du monde, le réchauffement s’est accompagné d’une raréfaction des pluies. Les États-Unis, le sud du Brésil, l’Australie, une grande partie de l’Europe occidentale ont souffert de sécheresse l’année dernière, tout comme l’Afrique, notamment les pays sahéliens ainsi que la Corne de l’Afrique et l’Afrique de l’Est, où le phénomène perdure. Dans le même temps, la mousson a été particulièrement violente en Asie, causant plus de 1 800 victimes dans l’ouest et le sud de l’Inde. Et les cyclones ou inondations ont été exceptionnellement sévères, sans oublier la vague meurtrière de froid qui frappe en ce moment le nord de l’Europe, la Russie et une partie ?de l’Asie. Les saisons sont déréglées.
L’avenir ne sera pas plus facile. Les changements climatiques devraient amplifier la sécheresse dans certains pays du Sud et en Afrique, plus particulièrement sur les côtes de la Méditerranée et en Afrique australe. La région du Sahel pourrait en revanche, d’après les climatologues, connaître des saisons de mousson bien plus importantes que dans la décennie écoulée. Quels que soient les scénarios, les habitants de la planète vont manquer d’eau. Aujourd’hui, l’offre et la demande sont égales pour les 6 milliards d’êtres humains. Même si la ressource est répartie de manière très inégale, chacun dispose en moyenne de 6 600 m3 par an pour satisfaire ses besoins propres, ceux de l’agriculture et de l’industrie. Cette « ration » ne sera plus que de 4 800 m3 en 2025 : la population mondiale aura augmenté de 1,5 milliard d’individus, et la consommation d’eau par personne progressé d’un tiers. La situation est d’autant plus inquiétante que l’homme ne peut pas puiser dans les ressources disponibles à son seul profit sans causer des dommages irrémédiables à son environnement naturel. L’exemple dramatique du lac Tchad est là pour le rappeler. Il couvre un peu moins de 1 500 km2 aujourd’hui. Sa surface s’est rétrécie de 25 000 km2 en quarante ans sous l’influence combinée du déficit de pluviosité et d’une plus grande utilisation de ses eaux et de celles des rivières qui l’alimentent pour les besoins de l’agriculture.
En Afrique, malgré la construction de nouveaux réseaux d’irrigation ou d’alimentation en eau des centres urbains, la disponibilité en eau potable baisse continuellement. En cause, la croissance rapide de la population et l’expansion de secteurs économiques comme le tourisme, l’industrie et l’agriculture. Résultat, la consommation actuelle d’un foyer africain est limitée à 25 litres par jour, contre 30 litres dans les années 1960. Si la tendance actuelle se confirme, les deux tiers des villes africaines connaîtront de graves pénuries d’eau avant 2025. Autre évolution fâcheuse, la qualité de l’eau disponible a tendance à se dégrader. Les rejets agricoles, engrais et pesticides ont atteint des niveaux problématiques en Afrique du Nord, et moins d’un foyer africain sur cinq est relié à un réseau d’assainissement. Or, pour dépolluer ces rejets, il faut pouvoir les diluer avec de l’eau. Les besoins en eau pour l’assainissement sont plus de dix fois plus importants que pour la consommation.
Ce n’est pourtant pas la méconnaissance du problème et de ses enjeux qui est en cause, comme le prouvent la tenue du 13 au 16 février prochain à Alger du VIIIe Congrès de l’Association africaine de l’eau et celle du IVe Forum mondial de l’eau au Mexique du 16 au 22 mars, cette dernière date étant consacrée « Journée mondiale de l’eau ». Mais la mobilisation de nouvelles ressources requiert la construction de grands barrages, d’usines de dessalement de l’eau de mer ou encore de vastes réseaux d’irrigation, opérations toujours plus coûteuses. Elles ne parviendraient d’ailleurs pas à compenser une situation très contrastée sur le continent entre, par exemple, la Mauritanie qui ne peut compter que sur un millième des ressources en eau du continent Dont le quart est naturellement disponible en RD Congo.
Potentiellement, la situation n’est pas si dramatique : à peine 3 % des ressources en eau du continent africain seraient exploitées. Le problème de l’eau en Afrique apparaît avant tout comme le résultat d’investissements insuffisants et de mauvaises pratiques. Les économies et le recyclage peuvent pallier des conditions naturelles défavorables, à l’image de l’Égypte qui utilise 40 % d’eau en plus de ce que lui permettent ses ressources naturelles. La lutte contre les fuites de canalisations en zone urbaine fait partie des réponses, ainsi qu’une meilleure efficacité du secteur agricole, qui utilise 85 % de l’eau consommée en Afrique. Selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, près de 60 % de l’eau utilisée en Afrique pour l’irrigation est gaspillée par évaporation dans les retenues et par infiltration dans les canaux. Les experts estiment qu’il est possible de réduire ces pertes de moitié grâce à des solutions simples à mettre en place, qui supposent une meilleure information des agriculteurs. Pour les plus riches d’entre eux, la distribution au goutte-à-goutte au pied des plantes amène la quantité strictement nécessaire. Il faut aussi privilégier les plantes et les espèces moins gourmandes en eau. Une autre partie de la réponse se trouve dans les procédés de recyclage. Les eaux usées domestiques peuvent être réutilisées pour irriguer les champs, ce qui est déjà le cas de 10 % des terres irriguées dans le monde. Enfin il faut distinguer les politiques à long terme et le traitement des années de crise. Il est indispensable de savoir tirer la sonnette d’alarme au plus tôt en cas de sécheresse annoncée et les gouvernements concernés doivent s’organiser le plus efficacement possible, si besoin en partenariat avec leurs voisins ou avec la communauté internationale. À défaut, la situation ne pourra qu’empirer. Quatorze pays du continent sont déjà considérés en état de stress hydrique (moins de 1 700 m3 d’eau par personne et par an) par le groupe de travail intergouvernemental IPCC (Panel international sur le changement climatique). Neuf autres vont les rejoindre au cours des vingt ou trente prochaines années, concernant au total plus de 600 millions de personnes. Parmi ceux-ci se trouvent des pays comme la Libye ou l’Algérie, dont l’eau utilisée provient, à 95 % et 60 % respectivement, de ressources fossiles souterraines non renouvelables, qui vont s’épuiser en quelques décennies.

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