Idylle écornée

Même si José Luis Zapatero a contourné les sujets qui fâchent, sa visite à Ceuta et Melilla a été critiquée aussi bien à Madrid qu’à Rabat.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Provocation inutile ou promesse tenue ? La visite du président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, à Melilla, le 31 janvier, puis à Ceuta, le 1er février, a suscité étonnement et critiques au Maroc. C’est la première fois, depuis la venue d’Adolfo Suarez en 1980, qu’un Premier ministre espagnol se rend dans ces deux enclaves revendiquées par le royaume chérifien. José María Aznar a bien fait le déplacement en 2000, mais en tant que candidat à sa réélection, puis en février 2004 alors qu’il faisait campagne pour son successeur désigné par le Parti populaire. « C’est une visite que nous considérons inopportune et elle ne change rien à la nature du problème », a déclaré le ministre marocain de la Communication et porte-parole du gouvernement, Nabil Benabdellah. La presse marocaine, plus virulente, dénonce « une provocation attentatoire aux sentiments marocains et se demande si Zapatero a bien mesuré la portée de sa décision ». Sans doute. À Melilla, il s’est rendu au Centre de séjour temporaire d’immigrants (Ceti), totalement saturé depuis l’automne dernier lorsque des centaines de clandestins se sont lancés à l’assaut des barbelés séparant le continent africain et la promesse d’un eldorado. Onze malheureux ont trouvé la mort, la plupart tués par balles. Beaucoup ont été refoulés. Certains ont trouvé refuge dans cette structure d’accueil. Après avoir confirmé la création prochaine de deux nouveaux centres destinés aux mineurs marocains, Zapatero a rappelé que sa politique en matière d’immigration serait « toujours » menée en collaboration avec les pays voisins.
Au risque de mécontenter le Maroc par sa seule présence à Melilla et Ceuta, le Premier ministre espagnol a donc délibérément, et presque exclusivement, axé sa visite sur le dossier migratoire. Il avait annoncé sa venue après le drame d’octobre. « Certaines personnes doutaient de ma volonté, mais j’ai tenu parole », a-t-il précisé. En prenant bien soin de contourner les sujets qui fâchent. Une conférence de presse prévue a été annulée, et le visiteur s’est refusé à tout commentaire sur la souveraineté des deux enclaves. Cette prudence de langage, considérée comme une faiblesse par son opposition de droite, lui a valu de vives critiques. Très remonté sur la question, le Parti populaire lui reproche de ne pas avoir réaffirmé le caractère espagnol de ces territoires – l’Espagne s’est emparée de Melilla en 1497 et a obtenu Ceuta au XVIe siècle.
Il y a peu de chance que ces envolées nationalistes fassent fléchir Zapatero, malgré son souci de rétablir un équilibre après les concessions accordées aux revendications régionalistes en Catalogne. Sa politique du « juste milieu » repose sur des considérations et des convictions qui n’ont rien à voir avec un petit jeu politicien sans envergure. Sa priorité : nouer des relations privilégiées avec le Maroc en matière de politique étrangère. Son objectif : trouver une solution à l’immigration clandestine et lutter contre le terrorisme islamiste.
Tout a commencé avec les attentats de Madrid, le 11 mars 2004, qui ont fait 191 morts. En pleine campagne électorale, le Premier ministre sortant, José María Aznar, s’évertue à privilégier la piste basque alors que tous les indices amassés par les enquêteurs confirment l’hypothèse islamiste. Il est battu, le Parti socialiste revient au pouvoir. Dès son discours d’investiture, Zapatero évoque une « attention préférentielle » pour le Maroc et, moins d’une semaine plus tard, le 24 avril, il réserve son premier déplacement à l’étranger au royaume chérifien. La visite ne dure que six heures, mais suffit à clore la parenthèse Aznar caractérisée par des relations de mauvais voisinage.
Les changements sont manifestes. La coopération sécuritaire entre les polices des deux pays est relancée, permettant l’arrestation des poseurs de bombes membres du Groupe islamique des combattants marocains lié à al-Qaïda. En janvier 2005, le roi d’Espagne Juan Carlos est reçu par Mohammed VI. Cette première visite d’État depuis 1979 entérine une complicité retrouvée tandis que le souverain alaouite salue, dans un long entretien au quotidien espagnol El País, le retour à la « confiance et au respect mutuel ». Le dérapage, en juillet 2002, au sujet de l’îlot Leila-Persil qui avait failli dégénérer en affrontement armé est soldé. Quant aux deux enclaves, si rien n’est réglé sur le fond, les deux parties semblent déterminées à donner du temps au temps.

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