Et « Cheikh Anta » arriva

On célèbre, ce 7 février, le vingtième anniversaire de la mort du chercheur sénégalais. Grâce à lui, l’Afrique a retrouvé la place qui lui revient dans l’Histoire.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Ironie de l’Histoire, l’année 2006 ranime en même temps le souvenir des deux plus grandes figures sénégalaises contemporaines : le « poète-président » Léopold Sédar Senghor, co-inventeur du concept de négritude, et le chercheur Cheikh Anta Diop, qui a redonné à l’Afrique la place qui lui revient dans l’Histoire. Du premier, on fêtera le 8 octobre le centenaire de la naissance, tandis qu’on célèbre le 7 février le vingtième anniversaire de la mort du second.
Moins connu que son aîné (il était né dix-sept ans après Senghor) du grand public, Cheikh Anta Diop a eu beaucoup plus d’influence sur les milieux intellectuels. Il fait même aujourd’hui l’objet d’un véritable culte dans certains cercles de la diaspora noire, notamment chez les Africains-Américains.
C’est en 1954, avec la publication à Paris de Nations nègres et culture, que le jeune historien, né en 1923 près de Diourbel, à quelque 140 km de Dakar, acquiert la célébrité. Dans cet ouvrage, au départ une thèse pour laquelle il n’avait pas réussi à rassembler un jury, Cheikh Anta Diop affirme, pour l’essentiel, que l’Égypte ancienne était peuplée de Noirs et que la langue et la culture égyptiennes se sont ensuite diffusées en Afrique de l’Ouest. Il produit, par exemple, un vocabulaire comparé égyptien ancien/wolof qui fait apparaître la profonde identité de structure des racines des deux langues.
Sa thèse sur la parenté ethnique de l’Afrique noire et de l’Égypte pharaonique est si révolutionnaire que ses confrères africains hésitent à le suivre. Il n’y aura guère qu’Aimé Césaire pour saluer, dans son Discours sur le colonialisme (Présence africaine, 1955), « le livre le plus audacieux qu’un Nègre ait jamais écrit ». Ce n’est que vingt ans plus tard, à l’occasion d’un colloque organisé au Caire sous l’égide de l’Unesco, que ses thèses commenceront à être prises au sérieux par la communauté scientifique.
Si les travaux de Cheikh Anta Diop dérangent l’establishment intellectuel, c’est aussi parce qu’ils sont inséparables de son engagement politique. Militant pour l’indépendance du Sénégal et de toute l’Afrique dès 1947, il est secrétaire général de l’association des étudiants du RDA (Rassemblement démocratique africain) de 1950 à 1953 et contribue à la prise de conscience politique de nombreux jeunes intellectuels subsahariens. De retour dans son pays après l’indépendance, en 1960, il s’oppose d’emblée au pouvoir, qu’il juge antidémocratique, du président Senghor. Il crée successivement deux partis : le Bloc des masses sénégalaises en 1961, le Front national sénégalais en 1963. L’un et l’autre sont dissous. Il lui faudra attendre 1981 (donc après que Senghor eut quitté la présidence) pour que le troisième, le Rassemblement national démocratique, obtienne sa reconnaissance officielle. Élu à l’Assemblée nationale, il refusera d’y siéger pour protester contre les fraudes ayant, selon lui, entaché le scrutin.
« Cheikh Anta », comme l’appelaient ses compatriotes, fait preuve de la même passion dans ses recherches scientifiques. Il met à profit sa formation pluridisciplinaire (en France, il n’a pas seulement étudié l’histoire et les sciences sociales, mais aussi la physique et la chimie) pour tenter de prouver, par exemple, que les Égyptiens anciens présentaient les mêmes traits physiques que les Négro-Africains actuels. Fort de ses connaissances en physique nucléaire acquises à Gif-sur-Yvette, près de Paris, il fonde en 1966 le laboratoire de datation des échantillons archéologiques par la méthode du radiocarbone de l’Ifan (Institut fondamental d’Afrique noire, dirigé à l’époque par Théodore Monod). Cheikh Anta Diop veut montrer que non seulement l’Afrique est le berceau de l’humanité, mais que les autres « races » sont apparues après la « race » noire, y compris en Europe occidentale. Dans Civilisation ou barbarie ? il affirme qu’en – 5000 les Sémites n’existent pas encore et que la Mésopotamie est dominée par les Noirs. On lui reprochera vertement cette vision « raciale » de l’histoire.
Au cours des années 1960, il est rejoint par le philosophe congolais Théophile Obenga, qui, à son contact, se réoriente vers l’égyptologie et la linguistique. Cheikh Anta Diop brise ainsi son isolement. De colloque en colloque, de découverte en découverte, l’archéologie, l’ethno-linguistique, la génétique, etc., viendront confirmer nombre de ses hypothèses sur l’Égypte.
La reconnaissance viendra au début des années 1980. De nombreuses universités africaines inscrivent les écrits du chercheur à leur programme. Lui-même pourra enfin enseigner les sciences humaines à l’université de Dakar. Lorsqu’il s’éteindra, en février 1986, une école africaine d’égyptologie s’était constituée, reprenant ses grandes thématiques.
Quelles que soient les réserves qu’on peut émettre sur certains aspects de son uvre, Cheikh Anta Diop aura à tout le moins rétabli deux vérités longtemps occultées par les Occidentaux : l’Afrique a une histoire ; l’Égypte est bien en Afrique.

Bibliographie
(principaux ouvrages)
Nations nègres et culture, Présence africaine, 1954.
L’Unité culturelle de l’Afrique noire, Présence africaine, 1959.
Les Fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire, Présence africaine, 1960.
Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique ? Présence africaine, 1967.

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