Afrique du Sud : le Parlement, un symbole qui part en fumée
Le 2 janvier à l’aube, un feu s’est déclaré dans le bâtiment centenaire du Parlement sud-africain, au Cap, où se sont déroulées des scènes fondatrices de l’histoire du pays.
Des boiseries centenaires ont alimenté le départ du feu. Dimanche 2 janvier, vers 5 heures du matin, un incendie s’est déclaré dans l’aile la plus ancienne du bâtiment inauguré en 1885. Constitué de trois ensembles principaux, construits au fil des âges, le Parlement, sis au Cap, symbolisait les différentes strates de la vie politique sud-africaine.
En 1853, la colonie du Cap, sous pavillon britannique, obtient de la reine Victoria de pouvoir y établir un Parlement digne de ce nom. Après avoir accueilli les premiers parlementaires, ses bancs en bois de chêne et ses fauteuils en cuir rouge sont mis à la disposition des sénateurs entre 1910 et 1981, dans le cadre d’un système bicaméral. Actuellement, cette aile abrite le Conseil national des provinces, la chambre haute.
Cette première assemblée jouxte l’ancienne chambre du Parlement de l’Union, construite après 1910 et où seuls les Blancs étaient autorisés à siéger. De 1910 à 1961, elle offrit un écrin législatif à la nouvelle Union d’Afrique du Sud, correspondant à la réunion des différentes colonies britanniques éparpillées sur le territoire. Les sièges en cuir vert et l’architecture de la salle rappellent la Chambre des communes du Royaume-Uni. Désormais, cette pièce est réservée aux réunions du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir.
Un troisième édifice, construit en 1983, était destiné à accompagner l’avènement d’une nouvelle Constitution. C’est l’actuelle Assemblée nationale (chambre basse), qui emprunte aux autres bâtiments une architecture de style victorien. Dans les années 1980, le bâtiment abritait un Parlement qui comprenait trois chambres : une pour les Blancs, une pour les métis et une pour les Indiens. Les Noirs, eux, en étaient exclus. Ce système a pris fin en 1994, avec la chute du régime de l’apartheid et l’avènement de la démocratie.
Crime au Parlement
Les murs du Parlement ont été les témoins, muets, des tumultes du pays, dont son effondrement moral. C’est au sein de ce bâtiment que sont élaborées les lois ségrégationnistes de l’apartheid depuis l’arrivée au pouvoir du Parti national en 1948. Ce régime est vivement dénoncé dans un discours resté célèbre qu’Harold Macmillan, le Premier ministre britannique, a prononcé devant le Parlement sud-africain. En pleine tournée africaine, le sujet de Sa Majesté s’arrête au Cap et parle, le 3 février 1960, du « vent du changement [qui] souffle à travers ce continent » pour évoquer la décolonisation. Un élan émancipateur qui irrite les nationalistes au pouvoir.
En 1966, le Premier ministre Verwoerd, « grand architecte de l’apartheid », est poignardé à mort
Harold Macmillan franchit la ligne rouge lorsque il dénonce, sans ambages, la politique racialiste sud-africaine. L’Afrique du Sud quitte alors le Commonwealth et devient une république un an plus tard. Depuis le Parlement, elle poursuit la consolidation de son arsenal juridique ségrégationniste sans se sentir importunée par l’ingérence britannique. Et c’est entre ses murs que sera assassiné celui que l’on surnomme “le grand architecte de l’apartheid”. Le 6 septembre 1966, Hendrik Verwoerd, le Premier ministre sud-africain, est poignardé à mort. Dimitri Tsafendas, un militant politique d’origine gréco-mozambicaine, lui assène quatre coups de couteau.
« Chaque bâtiment renvoie à une ère différente. Selon moi, l’ancienne chambre est le bâtiment le plus chargé d’histoire, car c’est ici qu’a été assassiné Hendrik Verwoerd », confie la députée Samantha Graham-Maré. Malgré les fantômes qui peuplent le Parlement, cette élue de l’Alliance démocratique (AD) dit son bonheur toujours intact de se rendre à l’Assemblée, où elle siège depuis 2019 : « C’est l’un des plus beaux endroits au monde. J’ai été submergée par l’émotion quand j’ai vu ce si bel édifice dans un état pareil », raconte celle qui veut désormais le voir reconstruit.
Déménager à Pretoria ?
Samantha Graham-Maré désapprouve le vieux débat qui vient de renaître des flammes : faut-il déménager le Parlement à Pretoria ? C’est l’occasion rêvée de remettre le dossier sur la table, si l’on en croit les réactions venues du parti des Combattants pour la liberté économique (EFF). « C’est un feu qui nous offre un nouveau départ ! Ne rénovons pas [le Parlement] ! » a ainsi réagi le député Mbuyiseni Ndlozi, sur Twitter.
Cette fois, le président De Klerk s’était rendu au Cap pour tourner une page d’Histoire
Pour Floyd Shivambu, numéro deux de la formation de Julius Malema, un déménagement à Pretoria permettrait de faire des économies. Par le biais du hashtag #OneCapitalCity, il s’oppose à l’organisation décentralisée du pouvoir : la capitale administrative à Pretoria (province du Gauteng), la capitale judiciaire à Bloemfontein (province du Free State) et la capitale législative au Cap (province du Cap-Occidental).
A tale of a beautiful fire… no lies about best run city &/or Provence will stop it.
— Mbuyiseni Ndlozi (@MbuyiseniNdlozi) January 3, 2022
Parliament building in self-destructive mode to offer us the gift of a new beginning! We must move to Tshwane. #OneCapitalCity https://t.co/ZHLVtA4W1R
Tandis que les EFF voient dans le Parlement un bâtiment colonial, ou le laboratoire des lois racistes de l’apartheid, d’autres rappellent que c’est en son sein que le régime a pris fin. « Je n’oublierai jamais le discours de Frederik de Klerk, le 2 février 1990″, témoigne Wyndham Hartley, un ancien journaliste parlementaire. Ce jour-là, comme chaque année, le chef de l’État était monté à la tribune de l’Assemblée nationale pour y lire son discours sur l’état de la nation. Mais, cette fois, De Klerk s’était rendu au Cap pour tourner une page d’Histoire.
Discours historique
Le dernier président blanc de l’Afrique du Sud, décédé le 11 novembre dernier, avait annoncé la fin du bannissement des partis d’opposition, la levée de l’état d’urgence et la libération prochaine de Nelson Mandela. Ces mesures avaient ouvert la voie à des négociations portant sur l’organisation des premières élections libres et sur la rédaction d’une nouvelle Constitution.
« Ce que symbolisent ce bâtiment et les événements qui s’y sont déroulés durant près de deux cents ans est extraordinaire. Le voir réduit en cendres est horrible », déplore l’ancien reporter. Ce vétéran du journalisme garde également en mémoire la première intervention qu’y fit Nelson Mandela, le 24 mai 1994. L’ancien détenu de Robben Island, qui venait d’être élu président, avait présidé la première session parlementaire : un symbole puissant de l’avènement de la démocratie.
Un buste en bronze de Madiba se dresse aujourd’hui à l’entrée de l’Assemblée. Il tourne le dos à la bouche enflammée du Parlement qui crachote encore des nuages de fumée noire. Malgré le toit qui s’effondre derrière le grand homme, la vie parlementaire suivra son cours. Plusieurs projets sont à l’étude pour héberger le prochain discours sur l’état de la nation, en février.
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