Relance post-Covid : l’Afrique lésée par l’apartheid financier
Les plans d’aide ne suffiront pas : pour surmonter la crise née du Covid, les pays africains doivent pouvoir se financer sur les marchés internationaux. Cela devrait être l’un des objectifs de la présidence française de l’Union européenne.
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Samy Badibanga
Sénateur, premier vice-président du Sénat et ancien Premier ministre de la République démocratique du Congo
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et Jesse Jackson
Fondateur et président de la Rainbow/Push Coalition, aux États-Unis
Publié le 5 janvier 2022 Lecture : 3 minutes.
Tout autant que le Covid, c’est le chaos de la pauvreté qui menace les populations d’Afrique. Tout autant qu’une solution de santé mondiale avec les vaccins, une relance économique globale, incluant l’Afrique, doit être initiée, avec des instruments financiers innovants. Comme l’Europe et les États-Unis, l’Afrique a besoin d’un choc de croissance stimulé par un choc de dépenses publiques. Elle doit pouvoir accéder aux marchés financiers internationaux pour mettre en place une relance économique durable. Il appartient aux leaders Africains de s’en donner les moyens, avec l’appui de partenaires internationaux, avant que l’impact de la pandémie ne soit irréversible.
Des décennies de progrès balayées
Les budgets nationaux des pays africains, même soutenus par l’émission historique de droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI en août dernier, ne peuvent pas créer le stimulus nécessaire. On ne peut pas sauver un continent de 1,3 milliard d’habitants du trou noir du Covid avec 33 milliards de dollars, là où les États-Unis et l’Europe ont mobilisé 2 500 milliards de dollars.
Le FMI estime à 285 milliards de dollars, soit environ 10 % du PIB du continent, les besoins de financements des États d’Afrique sur cinq ans pour faire face aux conséquences de la pandémie.
Sans véritable plan de relance incluant l’Afrique, les Objectifs de développement durable relèvent du conte de fées
Plus de 60 millions d’Africains sont déjà tombés dans l’extrême pauvreté selon les Nations Unies. Les entreprises du continent qui exportaient en Europe ont presque toutes perdu leur marché d’exportation. Du fait du Covid, même l’Afrique du Sud a vu ses notations de crédit dégradées et subit maintenant une injuste suspension de ses connections aériennes. Tout montre que des décennies de progrès sont en train d’être balayées par la pandémie.
Nous connaissons tous les multiples impacts dévastateurs de l’extrême pauvreté : la faim, les conflits violents, les crises humanitaires, la corruption et l’instabilité politique, les risques sanitaires mondiaux, les destructions environnementales, le terrorisme, les migrations et déplacements forcés. Atteindre les Objectifs de développement durable en 2030 dans le monde post-covid relève du conte de fées sans le financement d’un véritable plan de relance incluant l’Afrique.
Créer un choc de croissance continentale
En 2022, les leaders africains doivent se mobiliser collectivement et créer les solutions africaines pour sortir du trou noir de la pandémie. Il ne s’agit pas d’obtenir un soutien bilatéral à tel ou tel pays, car c’est un choc de croissance continentale qu’il faut créer. Il s’agit de créer les conditions qui permettent aux États africains d’accéder aux marchés financiers internationaux dans les meilleures conditions possibles, nous espérons que la présidence française de l’Union européenne y contribuera.
Les leaders africains doivent créer ensemble les instruments financiers capables d’éviter le chaos de l’après pandémie
Il ne s’agit pas non plus d’un fonds international de résilience au changement climatique pour l’Afrique, dont les émissions de CO2 sont très basses au niveau mondial. Il s’agit de financer rapidement des politiques publiques inclusives de protection sociale, de santé, d’éducation, de formation, de justice et de sécurité. Il s’agit aussi de doter le continent de filets de sécurité, d’infrastructures durables et de fiscalités efficaces qui créent du pouvoir d’achat et des emplois pour lutter contre l’extrême pauvreté et créer une véritable résilience à long terme.
Une humanité coupée en deux
En 2021, l’humanité est coupée en deux dans une sorte d’apartheid financier. D’un côté, les pays investment grade (au-dessus de BBB-) qui peuvent financer leur budget et leur développement par les marchés financiers. Et de l’autre, les pays en développement, non investment grade (en dessous de BBB-), en particulier les pays du continent africain, dont l’immense majorité n’a pas accès aux marchés financiers internationaux. Pourtant, le taux de défaut des pays d’Afrique est quasiment nul.
Il est temps de réunir la volonté politique, l’intelligence collective et l’ingénierie financière africaine et mondiale pour innover, pour rassembler des capacités financières et des garanties, pour construire les instruments et mécanismes qui permettront aux États d’Afrique d’aller chercher sur les marchés financiers internationaux les 285 milliards de dollars qui correspondent à l’estimation du FMI. Ce n’est qu’ensemble que les leaders africains peuvent créer les instruments financiers inclusifs capables d’empêcher les populations de tomber dans le chaos de l’après pandémie.
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