Paris gagnant

Selon une étude menée en 2005, les entreprises nord-africaines participent à la mobilité du tissu économique et contribuent fortement au développement de l’activité dans la capitale française.

Publié le 6 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

La capitale française se viderait-elle peu à peu de ces commerces qui faisaient vivre l’immigration maghrébine et diffusaient son art de vivre ? Cette question, le visiteur nostalgique qui, vingt ans après, retourne dans le 5e arrondissement ne peut s’empêcher de se la poser. Les pâtisseries orientales et les restaurants nord-africains, qui pullulaient rue de la Huchette et rue Saint-Séverin, ont presque tous disparu (voir encadré). Belleville (19e) et la Goutte d’Or (18e) ne sont pas épargnés, pas plus que de larges pans des 10e et 11e arrondissements : ces hauts lieux de la diaspora judéo-maghrébine sont progressivement « conquis » par la communauté asiatique.
Avec la disparition de ces petits commerces, n’est-ce pas une chance d’intégration de plus qui s’envole pour les Maghrébins ? De fait, si ces derniers demeurent le deuxième groupe d’étrangers à Paris, derrière les ressortissants européens, leur nombre a baissé entre 1990 et 1999, passant de 106 693 à 99 632, alors que, parallèlement, celui des immigrés asiatiques augmentait de 71 004 à 76 322. Ce phénomène s’accompagne d’un déclin du taux de naturalisation des immigrés algériens, marocains et tunisiens, inférieur à celui des populations originaires d’Asie du Sud-Est ou d’Afrique subsaharienne.
Pourtant, ces tendances ne semblent pas toucher les entrepreneurs maghrébins sur l’ensemble de la capitale française. À travers la diminution du nombre d’épiciers de proximité ou de restaurants se dessine une évolution vers des secteurs d’activité moins traditionnels chez les jeunes, généralement mieux formés que leurs parents. En tout état de cause, ces entrepreneurs occupent une place non négligeable dans l’économie parisienne, et un bon tiers d’entre eux (34,7 %) bénéficient du statut de commerçant. C’est ce que montre une étude menée en 2005 par le greffe du tribunal de commerce de Paris, dans le cadre d’un programme de recherche sur les étrangers au service de l’économie parisienne. Selon elle, l’entreprise privée nord-africaine « participe à la mobilité du tissu économique parisien » et a enregistré une augmentation de 18 % ces cinq dernières années, surtout dans le commerce, la construction et l’hôtellerie-restauration, contre 15 % pour les Français.
Toutes entreprises confondues, les secteurs d’activité traditionnels restent privilégiés, avec un chiffre d’affaires annuel compris entre 100 000 et 500 000 euros dans près de la moitié des cas, les entreprises fortement capitalisées comme les sociétés par actions ne dépassant pas 1 %. Le commerce de gros et de détail arrive en tête, avec 32 %, et s’exerce surtout dans les 18e et 11e arrondissements. Viennent ensuite, par ordre décroissant, l’hôtellerie et la restauration rapide ou traditionnelle (22 %), en particulier dans les 10e et 11e arrondissements. Puis l’immobilier et la location (15 %), un peu partout dans Paris, et la construction (12 %), qui prédomine dans le 10e. Enfin, marginalement, des activités comme les services aux entreprises (6 % d’entre eux se sont spécialisés dans l’informatique, le nettoyage, la communication, les enquêtes, l’ingénierie et les études techniques, les centres d’appels, les télécommunications, le secrétariat), l’industrie manufacturière (5 %), les services collectifs, sociaux ou à la personne (3 %), les transports (2 %) ou encore les activités financières, les loisirs et les déménagements.
D’une façon générale, les femmes sont sous-représentées : elles constituent près de 17 % des entrepreneurs maghrébins à Paris (Marocaines, 21 % ; Algériennes 18 % ; Tunisiennes, 12 %). Alain Rallet, professeur d’économie à l’université de Paris-Sud, s’étonne que la part de ces dernières soit si faible, alors qu’elles bénéficient du statut le plus favorable du monde arabe. « Tout se passe, note-t-il, comme si la plus grande liberté dont jouit la femme tunisienne au pays dans l’ordre de la société civile n’avait pas d’impact dans le domaine de l’entrepreneuriat, bien au contraire. » Les chiffres de l’étude ne reflètent toutefois pas la proportion d’entreprises développées par des Maghrébins de souche. « On peut penser, commente-t-il, qu’une partie des Maghrébins ayant pris la nationalité française sont des entrepreneurs. Il faudrait y ajouter les immigrés maghrébins nés en France (deuxième génération), donc français sauf choix contraire… ».
Rallet conclut que seule l’évolution des économies nationales maghrébines permettra d’accentuer les tendances relevées par l’étude. Insérés dans une zone de libre-échange avec l’Europe, les pays maghrébins sont appelés à développer une classe d’entrepreneurs tournés vers les marchés européens. Les anciens immigrés qui ont investi au pays pourraient jouer un rôle capital dans cette évolution et ouvrir de nouvelles perspectives aux jeunes Maghrébins résidant en France, qu’ils aient acquis ou non la nationalité de leur pays d’adoption. À l’heure où les autorités françaises, après les émeutes dans les banlieues parisiennes, recherchent les meilleurs moyens de traiter l’aspect économique et social de la crise, la création d’entreprises pourrait constituer une piste à explorer en priorité, et ce au profit des deux rives de la Méditerranée. Une chance qu’il ne faudrait surtout pas laisser passer.

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