Maurice Robert
L’ancien bras droit de Jacques Foccart est décédé le 9 novembre à 86 ans.
« C’est le vrai ministre de l’Afrique » : ainsi parlait le patron des relations extérieures de la France sous Georges Pompidou, Michel Jobert, lorsqu’on évoquait devant lui le nom de Maurice Robert. Barbouze, agent secret, nounou de chefs d’État, déstabilisateur, ambassadeur, porteur de valises, pétrolier, le vieil homme, décédé le 9 novembre à l’âge de 86 ans, aura tout incarné de la face cachée des relations franco-africaines. Avec lui disparaît l’un des derniers survivants de la « génération Foccart » alors même que la page du pré carré exclusif et de l’ingérence permanente est depuis longtemps tournée.
Celui qui fut jusqu’au bout le bras séculier de Jacques Foccart a un pedigree de baroudeur comme on n’en fait plus. Militaire, affecté en Mauritanie, il rejoint les Forces françaises libres en 1941 et participe à la libération de la France. De retour à Nouadhibou comme commandant de poste, Robert fait en 1947 la connaissance de Foccart, qui le recrute pour le compte du RPF (Rassemblement du peuple français). Les deux hommes ne se quitteront plus. 1948 : Maurice Robert est nommé directeur de l’École des enfants de troupe de Saint-Louis, au Sénégal. Parmi ses élèves figurent deux futurs chefs d’État : Mathieu Kérékou et Seyni Kountché. 1951 : escapade en Indochine où Robert, à la tête de ses commandos de choc, est blessé. 1953 : retour en France et entrée au SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, aujourd’hui DGSE), où il officiera pendant vingt ans.
Chef d’antenne à Dakar, Maurice Robert installe un réseau d’honorables correspondants couvrant toute l’Afrique de l’Ouest. Il tente de pénétrer les filières d’approvisionnement en armes du FLN algérien, puis monte avec minutie une demi-douzaine d’opérations de déstabilisation du régime « rebelle » de Sékou Touré en Guinée. Son but : « le rendre vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l’opposition »1. De la fabrication de faux billets à la mise en place de maquis dans le Fouta Djalon, Robert tente tout – sauf l’élimination physique de Sékou Touré. « Elle n’a jamais été envisagée », jurera-t-il plus tard.
En 1960, Maurice Robert prend du galon. Colonel, il est nommé directeur Afrique du SDECE et rejoint Paris. En quelques mois, il couvre son pré carré francophone de PLR (postes de liaison et de renseignement) autonomes, qui ne répondent qu’à lui. En février 1964, il dirige personnellement à Libreville l’opération de rétablissement au pouvoir du président gabonais Léon M’Ba par les parachutistes français. C’est lui qui organisera la Garde présidentielle, lui aussi qui favorisera l’ascension, puis l’installation, du futur président Bongo.
Pendant les années 1960 et le début de la décennie suivante, Maurice Robert est partout. Au Tchad, où il joue contre l’incontrôlable Ngarta Tombalbaye. Au Cameroun, où il participe à la liquidation des maquis upécistes et travaille main dans la main avec le terrible Jean Fochivé. Au Congo, où il échoue à remplacer le président « progressiste » Massamba Débat par son poulain Bernard Kolélas. En Centrafrique, où ses relations avec Bokassa sont orageuses. C’est lui aussi qui recrute et manipule un certain Bob Denard, dont il supervise les activités au Katanga, au Biafra et ailleurs.
En 1973, le nouveau patron du SDECE, Alexandre de Marenches, le pousse discrètement vers la sortie. Direction Elf, l’incontournable société pétrolière, au sein de laquelle Maurice Robert développe un service de renseignement très actif, exclusivement orienté vers l’Afrique. En 1979, c’est la récompense. Son ami René Journiac, le « monsieur Afrique » de Valéry Giscard d’Estaing, obtient pour lui le poste d’ambassadeur au Gabon. Le président Bongo, qui le connaît depuis près de vingt ans, est enthousiaste. Robert s’installe donc à Libreville, en quasi-proconsul.
Le rêve dure à peine deux ans. L’élection de François Mitterrand, en 1981, sonne le glas de Maurice Robert. Symbole d’une relation « françafricaine » directive et paternaliste dont le nouveau pouvoir ne veut plus (tout au moins pour l’instant), il est le premier ambassadeur à être limogé. De retour à Paris, il tente de regagner Elf, mais le PDG, Albin Chalandon, s’y oppose. Commence alors une longue retraite entrecoupée de quelques discrètes missions africaines pour le compte de Jacques Foccart, d’un éphémère retour chez Elf à l’époque de Philippe Jaffré et d’une expérience sans suite dans le conseil pour investisseurs. Après les généraux Jeannou Lacaze et Louis Martin, Maurice Robert est le troisième pilier de la galaxie Foccart à disparaître en 2005. La fin d’une époque…
1. Ministre de l’Afrique. Entretiens avec André Renault, Le Seuil, Paris, 2004.
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