L’homme qui ne savait rien

Un businessman inculpé de complicité de génocide : il vendit naguère à l’Irak des produits qui servirent à fabriquer des armes chimiques.

Publié le 5 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

« Frans Cornelis Adrianus Van Anraat est un ressortissant des Pays-Bas, né à Den Helder le 9 août 1942. De sexe masculin, il mesure 178 centimètres et a les cheveux grisonnants. Il porte des lunettes et peut-être s’est-il laissé pousser la barbe. Il parle néerlandais, italien et anglais. Au cours des dernières années, il s’est rendu en Suisse, en Italie et aux Pays-Bas. Il se trouve à présent à Bagdad, en Irak. »
C’est en ces termes que le FBI décrivait il y a quelques années le seul Néerlandais à s’être jamais hissé dans ce hit-parade du crime que constitue sa Most-Wanted List. Les autorités judiciaires américaines avaient établi qu’il était impliqué dans quatre livraisons de thiodiglycol, un produit de base du gaz moutarde, des États-Unis vers l’Europe. Le thiodiglycol avait ensuite été livré aux Irakiens. Van Anraat, qui était à la tête de onze sociétés établies dans divers pays, avait été arrêté en 1989 en Italie, mais il avait fui vers l’Irak – d’où sa présence sur la liste du FBI – et y était resté jusqu’en 2003, date à laquelle il était revenu aux Pays-Bas. Pour des raisons inexpliquées, les États-Unis avaient retiré en 2000 leur demande d’extradition. De ce fait, les autorités néerlandaises n’avaient pas de base juridique pour l’arrêter.
Les nouveaux ennuis judiciaires du négociant ont commencé en 2004 lorsqu’il fut nommément mis en cause, devant un responsable néerlandais, par un responsable irakien du programme d’armements chimiques. Le 6 décembre de cette même année, la police néerlandaise put l’arrêter à son domicile. Selon le procureur spécial pour les crimes de guerre, Frans Van Anraat aurait fourni dès 1984 des produits utilisés par Saddam Hussein pour fabriquer des armes chimiques, lesquelles furent par la suite effectivement utilisées, notamment lors du massacre de Kurdes à Halabja en 1988.
Van Anraat est la première personne à passer en jugement aux Pays-Bas pour « complicité de génocide », alors que la loi qui en traite date de l’immédiat après-guerre et n’a donc pas été utilisée une seule fois en soixante ans. Beaucoup de Néerlandais ont du mal à croire que cet homme d’apparence banale, qui se définit comme un homme d’affaires comme les autres, puisse avoir commis le crime le plus grave en droit international. Et pourtant, les faits sont accablants.
Le procès de Van Anraat a commencé le 21 novembre devant le tribunal de La Haye. L’ex-homme d’affaires est resté impassible. Lorsque les juges ont tenté de l’interroger, il a répondu : « Il ne s’agit pas d’un manque de respect envers ce tribunal, mais j’invoque mon droit à garder le silence. » On sait qu’au cours de l’instruction il n’avait pas contesté la vente de ces produits, mais avait assuré qu’il en ignorait l’usage final. « C’était simplement quelque chose que j’ai fait en passant, ce n’était pas au coeur de mes affaires », avait-il déclaré au cours d’une émission de la télévision néerlandaise. Les journalistes avaient mis en doute ces arguments puisqu’il semble que Van Anraat avait continué la livraison de ces produits après l’attaque de Halabja, qui fut largement médiatisée.
L’issue du procès, qui coïncide dans le temps avec celui de Saddam Hussein à Bagdad, constituera sans doute un précédent dans les questions de complicité de génocide. Une chose est déjà certaine : les Néerlandais, qui font partie de la coalition qui a attaqué l’Irak de Saddam, sont un peu gênés que ce soit l’un des leurs qui inaugure la liste des condamnés pour fabrication d’armes de destruction massive…

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