La fin des tabous

Malgré une conjoncture difficile, le pays dispose de réels avantages comparatifs. Mais il doit aussi perdre ses mauvaises habitudes.

Publié le 5 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

« Le Cameroun va atteindre le point d’achèvement », se réjouit François, chauffeur de taxi à Douala. À n’en pas douter, le jargon des fonctionnaires internationaux a perdu de son mystère au Cameroun. Grâce à un fort battage médiatique, la rue s’est approprié une expression jusqu’alors réservée à quelques spécialistes triés sur le volet. François poursuit : « C’est pour bientôt : la dette va être annulée. » Tout juste, ou presque.
Après plusieurs mois de brouille causée par des dérapages budgétaires à Yaoundé, le Fonds monétaire international (FMI) s’est finalement prononcé pour une relance de la coopération financière avec le Cameroun en approuvant le 24 octobre dernier un programme triennal pour la période 2005-2008. À la clé : un crédit d’ajustement de 26,8 millions de dollars (14,5 milliards de F CFA) pour financer la poursuite des réformes et 8,2 millions supplémentaires (4,4 milliards de F CFA) en annulation de dette. Mais le plus important est à venir.
« Nous devons encore travailler pour respecter les engagements pris auprès de la communauté internationale. Une revue du FMI est prévue pour la fin de janvier 2006. Si les conclusions sont positives, nous pouvons atteindre le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) durant le premier semestre 2006 », confirme le Premier ministre camerounais Ephraïm Inoni à l’issue d’un Conseil de cabinet extraordinaire réunissant tous les ministres, le 17 novembre. À terme, plus de la moitié de la dette publique (6,9 milliards de dollars, soit 52 % du PIB) pourrait être annulée. Dans ce cadre s’ajoute la promesse française d’une reprise de la coopération sous la forme d’un Contrat de désendettement et de développement (C2D). Les sommes en jeu sont loin d’être négligeables : 100 millions d’euros par an sur une période de quinze ans. Le premier C2D d’une durée de trois ans pourrait être validé au cours du premier semestre 2006 avec un accent mis sur le financement d’infrastructures (routes et pistes rurales). « Cela fait beaucoup de marge de manoeuvre, mais gare au relâchement », insiste-t-on à Paris. « Les efforts doivent se poursuivre et porter sur les dépenses publiques mais aussi la gouvernance, reconnaît le chef du gouvernement. Nous devons éliminer la corruption. Il n’y a plus de tabou et j’ai eu des instructions très fermes du chef de l’État Paul Biya. Et j’ai des armes pour frapper très fort. » Cette évolution attendue avec impatience par les bailleurs de fonds va-t-elle suffire à convaincre les institutions de Bretton Woods ?
« Ce serait une bonne chose, mais cela ne suffira pas », juge Martin Abega, le secrétaire exécutif du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), qui rassemble 180 sociétés. Quant au président de l’organisation et directeur général des Brasseries du Cameroun, André Siaka, il ne cesse de plaider en faveur d’une amélioration de l’environnement des affaires et de la sécurité juridique pour restaurer la confiance et attirer de nouveaux investisseurs. Il faut « remettre de l’essence dans le moteur », car l’économie du pays est actuellement en panne.
Après les années folles du pétrole, après la brève euphorie du pipeline de Kribi acheminant le brut tchadien exploité dans les champs de Doba, le Cameroun se retrouve quelque peu démuni. Le potentiel agricole n’a pas été suffisamment valorisé, la filière bois est en crise, et l’industrie souvent liée à des intérêts étrangers subit les effets de la concurrence internationale. Quant aux services, trop souvent cantonnés dans l’informel, ils ne jouent pas l’effet de levier attendu. Pour 2005, les prévisions de croissance initiales (3,9 %) ont été revues à la baisse en tablant sur un petit 2,8 %. En 2006, le gouvernement mise sur 4,3 %. Un optimisme qui demandera à être confirmé.
« La conjoncture est restée sur une tendance morose depuis le début de l’année 2005, du fait principalement de la faiblesse de la demande et du repli dans les activités industrielles », constate la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) dans une note de conjoncture publiée le 9 novembre dernier. Tous les secteurs, excepté les banques et la téléphonie, sont affectés par cette apathie. « L’assainissement des finances publiques, la baisse du train de vie de l’État et la hausse de la fiscalité ont entraîné un ralentissement économique », expliquent les milieux d’affaires, unanimes pour demander une pause fiscale alors que la loi de finances 2006 est en discussion au Parlement. « Tout a augmenté depuis quelque temps : les impôts, les taxes et les salaires, se lamente le patron d’une entreprise du BTP. Sur Douala, les contrats se font rares et j’ai réduit mes effectifs à vingt-cinq personnes au lieu d’une centaine », poursuit-il. Le Gicam dénonce par ailleurs un climat de harcèlement fiscal. « Je subis actuellement trois contrôles », tempête un homme d’affaires. « Le taux de pression fiscale est seulement de 15 % au Cameroun. Nous n’avons pas atteint le niveau de recettes suffisant pour décréter une pause fiscale. En revanche, nous allons élargir l’assiette [le nombre de contribuables] alors que 60 % de l’économie est informelle », réplique Ephraïm Inoni. Avant de préciser : « À chaque fois qu’un contrôle fiscal injustifié nous a été signalé, nous avons rectifié le tir. » « Il convient de souligner les performances budgétaires accomplies par le gouvernement. Le budget de l’État ferait rêver n’importe quel fiscaliste », admet un économiste en poste à Yaoundé. Habituellement avare de compliments, le FMI a lui aussi adressé un satisfecit. Problème : si cette rigueur budgétaire était un passage obligé, l’orthodoxie qui en découle a tendance à essouffler l’économie dans un pays où l’espérance de vie est de 45 ans et le PIB par habitant de 776 dollars.
Le salut est certainement dans « la diversification et le développement de nouvelles activités génératrices de revenus et d’emplois », estime le chef du gouvernement. Avec, en premier lieu, le secteur primaire, qui ne représente que 27,5 % du PIB. Un « plan de relance » est annoncé pour réactiver des plantations de riz et la culture du manioc. Des financements sont par ailleurs promis pour favoriser la transformation et l’écoulement des produits agricoles. L’autre volet jugé prioritaire concerne l’énergie et les mines. Après la privatisation de la Société nationale d’électricité (Sonel) et les importants investissements envisagés par le géant canadien Alcan, dans l’aluminium, le gouvernement a accordé des permis de recherche sur des gisements de bauxite et de cobalt. Le Cameroun, qui représente 70 % du PIB régional, a encore de sérieux atouts à faire valoir.

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