Côte d’Ivoire : le retour des fils prodigues

Décidés à prendre en main le développement de leur pays d’origine, les Ivoiriens de l’étranger montent leurs propres projets. Et ça marche !

De plus en plus d’Ivoiriens de l’étranger montent des projets dans leur pays d’origine. DR

De plus en plus d’Ivoiriens de l’étranger montent des projets dans leur pays d’origine. DR

Publié le 7 février 2014 Lecture : 8 minutes.

Quand ils décident d’investir dans leur pays d’origine, les Ivoiriens résidant à l’étranger se heurtent bien souvent à un mur de procédures administratives, sans structures adéquates pour les accompagner. Membre du réseau des porteurs de projets soutenus par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Augustin Kouadio participe régulièrement à ses rendez-vous.

Comme ce 1er octobre 2013, à la Bourse de commerce de Paris, où a lieu la seconde édition du IT Tuesday, une soirée de rencontres entre entrepreneurs et business angels (investisseurs). « Je suis reparti déçu et frustré, car les fonds proposés ne concernaient que des projets franco-français », explique-t-il amèrement, lui qui se rêve un destin à la Larry Page, le cofondateur de Google.

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Même constat à la Fédération des associations de la diaspora ivoirienne (Fadiv). Créée en février 2012 et dirigée par le Dr Moussa Kader Diaby, la Fadiv conseille et oriente les membres de la diaspora ayant un projet, mais également les entreprises étrangères qui veulent investir en Côte d’Ivoire. Une cellule spéciale, le Club économique et d’affaires de la diaspora ivoirienne (Ceadi), a été lancée le 11 octobre 2013. Sa direction a été confiée à Hermann Kouassi, un ancien de la banque d’investissement du Crédit agricole en Normandie.

Je suis reparti déçu et frustré, car les fonds proposés ne concernaient que des projets franco-français

Combat

La Coordination générale des Ivoiriens de la diaspora (Cogid), de Jean-Paul Ouraga, mène le même combat. Selon Gervais N’Cho, son secrétaire général, l’organisation prévoit de créer cette année un cabinet international d’études et d’accompagnement des investisseurs et des entreprises ivoiriennes de la diaspora « afin de renforcer les partenariats passés avec le BNETD [Bureau national d’études techniques et de développement] et l’Inie [l’Institut ivoirien de l’entreprise] ». Un fonds d’investissement sera également lancé par la Cogid d’ici à la fin de l’année 2015 « afin de mutualiser les ressources financières pour accompagner et susciter l’esprit entrepreneurial ».

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Le Haut Conseil des Ivoiriens de la diaspora (HCID), présidé par Fofana Daouda, a pour sa part installé deux commissions. L’une, économique, « répertorie les porteurs de projets », l’autre, financière, « instaure des systèmes d’accompagnement et de sécurisation des investissements ».

Plus de deux ans après l’appel lancé à la diaspora par Alassane Ouattara à Paris, Bernard Allakagni Traoré, titulaire d’un doctorat en sciences de gestion obtenu à l’université de Rennes 1 (France), s’apprête à franchir le pas. Mi-février, il s’envole pour Korhogo, où un poste d’enseignant-chercheur l’attend à l’université Péléforo-Gbon-Coulibaly. L’appel semble avoir été entendu.

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Portrait de 6 enfants prodigues

Anselme Konan

Nettoyage industriel

Cote DIvoireJA2768p105La crise ivoirienne ne l’a jamais découragé. En pleine incertitude politique après l’attaque de l’avion du Premier ministre Guillaume Soro, Anselme Konan monte Fuzion Services à Abidjan en mars 2008. Une entreprise qui veut « professionnaliser le nettoyage industriel en Côte d’Ivoire ». Responsable d’exploitation chez Saphir, à Nantes (France), il confie les rênes de sa société à Hermann Konan, son frère cadet. Commence alors la course aux contrats.

Mai 2008 : rendez-vous est pris avec un important groupe hôtelier à Abidjan. Le nouveau patron s’envole pour un séjour de quarante-huit heures. L’affaire ne sera finalement pas conclue. Anselme Konan en tire les leçons : « Je privilégie désormais l’e-mail et le téléphone et ne me déplace que lorsque c’est vraiment nécessaire. »

Six ans plus tard, sa petite entreprise est une affaire qui roule. « Même si, peste-t-il, nous avons perdu énormément de temps à cause de la crise postélectorale. » Entre-temps, en décembre 2011, il a fondé Fuzion Services France, à Nantes. Mais sa fierté, il la tire du contrat passé avec Pierre Fakhoury Operator (PFO) pour « la remise en état de l’esplanade de l’Hôtel Ivoire ».

Aujourd’hui, Anselme Konan et ses équipes veulent « sensibiliser les Ivoiriens à l’hygiène et au tri sélectif des déchets ». D’où le partenariat entre Fuzion Services et Evolictis, un cabinet de formation installé à Nantes et dirigé par Martial Kouadio. Premier public visé : le personnel de l’usine de transformation de noix de cajou appartenant au groupe asiatique Olam, à Bouaké.

Michel Bayeron

Cocody et Issy-les-Moulineaux, main dans la main

Si Michel Bayeron est injoignable à Paris, c’est qu’il est sur le continent. Il a ainsi passé le réveillon de la Saint-Sylvestre sur les bords de la lagune Ébrié, à Abidjan. Pour se ressourcer en famille bien entendu, mais aussi pour régler les derniers détails du projet de partenariat entre Cocody et la ville française d’Issy-les-Moulineaux, en région parisienne. « Je voudrais que Cocody connaisse le même développement économique. » Le dossier est en bonne voie. Mathias Aka N’Goan, le maire de cette commune d’Abidjan, a rencontré André Santini, son homologue français, le 21 novembre 2013, lors d’un déplacement en France.

Docteur en droit public et ancien membre du Conseil économique et social d’Issy-les-Moulineaux, Michel Bayeron, auteur d’État de droit et Constitutionnalisme – l’exemple de la Côte d’Ivoire (2011), a récemment rejoint le Réseau CLE, un cabinet d’une soixantaine d’avocats dirigé par Me Henri de Langle, qui le présente comme un spécialiste au « parcours universitaire brillant ». Selon Me de Langle, « le continent constitue aujourd’hui le nouveau monde économique, et la Côte d’Ivoire la plateforme de développement de l’Afrique de l’Ouest ». En 2014, d’importants projets d’investissement – conseillés par le Réseau CLE – verront le jour en Côte d’Ivoire et sur le reste du continent.

Dogad Dogoui

Réseau de PME

Après avoir assuré la promotion de la communauté noire en France avec Africagora, Dogad Dogoui veut constituer le premier réseau mondial de PME d’Afrique et des diasporas, mais aussi de PME de pays émergents ou de membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) liées au continent. Pour ce faire, il a fondé le club Africa SMB (Small & Medium Business) en septembre 2012, à Paris.

Cette année, l’entrepreneur franco-ivoirien se lance un nouveau défi : organiser une rencontre internationale d’affaires au Maroc, l’Africa SMB Forum. Elle se tiendra du 12 au 14 mars à Casablanca sur le thème « interconnecter et financer les PME pour l’emploi et la croissance inclusive ».

Le 20 septembre 2013, Dogad Dogoui s’est rendu à Abidjan, où il a pris contact avec la Chambre de commerce et d’industrie, la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), le Mouvement des petites et moyennes entreprises (MPME) et une cinquantaine de dirigeants de PME. Il espère qu’une délégation ivoirienne participera à la première édition de l’Africa SMB Forum. « Je veux mettre mon réseau au service des entreprises africaines en général et ivoiriennes en particulier », glisse-t-il.

Aujourd’hui, Dogad Dogoui est sans conteste l’une des personnalités les plus en vue de la diaspora ivoirienne, voire africaine, en France. Notamment pour avoir contribué à la naissance des Assises nationales de l’intégration républicaine en 2002, à la Semaine de la diversité en 2004 et au programme Talents de la diversité la même année. Un homme à suivre.

Hermann Kouassi

Au service des collectivités

« Nous avons plus à apporter à la Côte d’Ivoire qu’à la France. » Arrivé à Paris en 2005 pour y poursuivre ses études, Hermann Kouassi est détenteur d’un master en management financier international de la Rouen Business School. En 2007, il devient analyste financier pour la banque de financement et d’investissement Crédit agricole CIB (ex-Calyon).

Deux ans plus tard, il prend la route de l’Espagne et pose ses valises à la banque Caixa. Sa principale mission : mettre en place des projets de développement. « Certains d’entre eux m’ont fait penser à la Côte d’Ivoire, un pays où beaucoup reste à faire. »

Fin 2009, il profite d’un bref séjour sur place pour créer le Cabinet Maurlane Consulting Group. Objectif : aider les collectivités territoriales à se renforcer via des fonds privés et publics. Les responsables des mairies de Djébonoua, du Plateau et de Bonon sont contactés, des négociations lancées. Kouassi songe à des pépinières d’entreprises pour dynamiser le tissu économique, mais n’oublie pas le conseil en développement durable. Malheureusement, la crise postélectorale éclate fin 2010. Les activités de Maurlane Consulting Group sont mises en veille. L’année qui commence sera synonyme de renouveau pour celui qui, depuis octobre 2013, est directeur exécutif du Club économique et d’affaires de la diaspora ivoirienne (Ceadi).

Marc Amani Yao

Alternative immobilière

Parce qu’ »un petit chez-soi vaut mieux qu’un grand « chez-les-autres » », Marc Amani Yao souhaite aider les Ivoiriens de la diaspora à devenir propriétaires dans leur pays. Et leur éviter ainsi des surprises désagréables. « Très souvent, constate-t-il, on confie le projet immobilier à un ami ou à un membre de la famille. À l’arrivée, l’argent a bien été dépensé, mais pas dans l’achat d’une maison ! » Voilà pourquoi ce père de trois enfants propose une alternative plus professionnelle et moins risquée. « L’accédant monte son projet avec nous en France et y règle ses factures. En contrepartie, nous exécutons les travaux en Côte d’Ivoire avec un contrat en bonne et due forme. »

Ce diplômé en agroéconomie de l’Institut national supérieur de l’enseignement technique (Inset) de Yamoussoukro est venu à Paris en 1994 pour « importer de l’ananas ivoirien en France ». À la suite du coup d’État de 1999, il arrête tout, travaille comme directeur de supermarché. Puis se forme au droit immobilier avant de lancer Aznet, en 2002, une société spécialisée dans l’investissement immobilier dotée d’une adresse prestigieuse sur les Champs-Élysées.

Marc Amani Yao est aussi à l’origine de la Foire africaine de Paris, lancée en 2011. La 3e édition de cette grande fête culturelle et économique aura lieu du 18 au 21 avril 2014.

Constant Couassi-Blé

Envie d’optique

Opticien de formation, Constant Couassi-Blé le constate avec amertume : « Plus de 90 % des personnes souffrant de troubles de la vue dans le monde vivent dans les pays en développement, et particulièrement en Afrique. » C’est pour y remédier qu’il a lancé le projet Envie d’y voir, destiné à rendre les lunettes accessibles au plus grand nombre.

« L’objectif est de développer une douzaine de magasins d’optique en Côte d’Ivoire », avant d’implanter le projet au Sénégal, au Bénin et au Togo en 2015 via des franchises. À terme, ce sont les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de l’Afrique francophone qui sont visés.

Né en 1964 en Côte d’Ivoire et arrivé en France à l’âge de 16 ans, M. Constant – comme l’appellent affectueusement ses clients – est propriétaire de deux magasins d’optique dans le nord de la France. Pour monter Envie d’y voir, il s’est associé à Jimmy Adjovi-Boco, ancien capitaine des Écureuils du Bénin, diplômé de l’École supérieure de commerce de Lille, qui a cofondé, en 2000, l’association Diambars (avec Saer Seck, Bernard Lama et Patrick Vieira). Ensemble, ils ont choisi Essilor, numéro un mondial des verres correcteurs, comme partenaire technique, et prévoient de travailler en étroite collaboration avec des sociétés locales.

Ce 29 janvier, Constant Couassi-Blé participe au forum Investir en Côte d’Ivoire (ICI 2014), à Abidjan, en compagnie de deux amis et investisseurs potentiels : Marc Grolin, de Projex, et Alain Dolium, fondateur d’Obad Mobile Marketing.

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