Couleur Algérie

Cette année encore, les éditeurs français sont particulièrement inspirés par l’Afrique. La nouveauté, c’est l’intérêt qu’ils portent désormais aux Aurès, à l’Oranais ou à la Casbah d’Alger.

Publié le 6 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

La tradition est bien établie. Chaque année, à l’approche des fêtes, une fois la saison littéraire close par les prix d’automne, l’actualité de l’édition est dominée par les beaux-livres. Chaque année aussi, l’Afrique apparaît comme une source intarissable d’inspiration pour les photographes. Ainsi le grand Raymond Depardon revient-il en librairie avec un pavé de 400 pages sobrement titré Afriques (éditions Hazan, 49,90 euros). Il y raconte plus de quarante ans de reportages et, surtout, de rencontres à travers le continent. Les photos ne sont regroupées ni par pays ni par thème. Seule l’inspiration de l’artiste en a décidé l’ordonnancement.
C’est un regard très différent qu’offre un autre grand photographe, britannique celui-ci, et qui s’est illustré sur le théâtre de nombreux conflits depuis un demi-siècle. En 2003 et 2004, Don McCullin a effectué plusieurs séjours dans la vallée de l’Omo, région éthiopienne limitrophe du Sud-Soudan. Les populations d’éleveurs qui vivent sur ces hauts plateaux ignorent tout de la modernité. Scarifié, tatoué, orné de peintures et de bijoux, le corps est chez eux au centre de nombreux rituels, qui forment la matière même de cet ouvrage étonnant (Don McCullin en Afrique, éditions de La Martinière, 176 pages, 48 euros).
Ce n’est pas tant aux hommes qu’aux paysages qu’est consacré Afrique, dans l’oeil des dieux, de Robert B. Haas. Les photographies aériennes réunies dans cet album édité par un spécialiste du genre, National Geographic (208 pages, 39 euros), sont en tout cas d’une grande beauté.
Au cours des années passées, deux espaces africains spécifiques dominaient la production éditoriale française : le Maroc et le Sahara. Ils n’ont certes pas disparu des librairies. Ainsi paraissent, en cette fin 2005, au moins deux nouveautés consacrées au désert des déserts : un ouvrage collectif, Sahara, rêve de dunes (éditions du Mont Iter, 120 pages, 34,90 euros), et Tibesti. Sahara interdit (éditions A. Sèbe, 192 pages, 59 euros) de Henri-Jean Hugot et Philippe Frey. Mais ce qui est tout à fait nouveau, c’est l’intérêt suscité désormais par l’Algérie. Longtemps boudé par les éditeurs de l’Hexagone – comme par les touristes, les deux phénomènes étant liés -, ce pays fait une percée remarquable dans la production 2005.
National Geographic, encore lui, a demandé à un jeune photographe algérien, Yacine Ketfi, de rendre compte, d’Oran à Annaba au Nord et jusqu’à Timimoun au Sud, de la diversité des paysages et des groupes humains de son pays. Articulé autour de trois thèmes – l’eau, la terre, les hommes -, Algérie, terre de contrastes et de passions (240 pages, 42 euros) est assurément un très bel album. Sébastien Cailleux, lui, n’est pas originaire de ce pays, mais il s’est coulé dans le quotidien de ses habitants, partageant leurs joies et leurs peines pendant un an. Commenté par Khaled Elraz, son reportage intitulé Mon Algérie (éditions Petit Futé, 192 pages, 29 euros) reflète avec bonheur cette immersion humaine.
Pour ceux qui s’intéressent plus particulièrement à l’une ou l’autre des grandes villes du pays, après Oran, la mémoire (182 pages, 30 euros) publié l’an dernier, Paris Méditerranée propose Constantine. Citadelles de vertige (186 pages, 30 euros), de Madjid Merdaci et Kouider Metair.
Mais le livre phare de cette petite déferlante éditoriale, simplement titré Algérie (La Martinière, 336 pages, 42 euros), est incontestablement celui de Yann Arthus-Bertrand. L’auteur du célèbre La Terre vue du ciel (La Martinière, également), dont il s’est vendu plus de 3 millions d’exemplaires depuis sa sortie en 1999, a été le premier à pouvoir survoler des zones jusqu’ici interdites, du massif des Aurès à l’Oranais en passant par la Mitidja et les plateaux sahariens. Les deux cent trente photos prises entre octobre 2004 et mai 2005 dressent un portrait inédit du pays, où les hommes, nécessairement, s’estompent au profit des paysages.
Voici un livre d’une qualité rare, qu’on ne finit pas de regarder et d’admirer, même si l’auteur n’a pas sacrifié à l’esthétisme pur afin de donner une valeur documentaire à son travail. Passé la surprise de découvrir tel ou tel site connu sous un angle inattendu, on revient sur chacune des images pour en scruter les détails. La Casbah d’Alger, c’est donc comme cela ? se demande-t-on. Le centre de Tlemcen, on le voyait tout autrement. Vus du sol, ces champs des environs de Khemis Miliana ne semblaient pas découpés de façon aussi régulière. Les légendes de Djamel Souidi et la préface de Benjamin Stora fournissent les clés nécessaires à la compréhension des images qui défilent.
Le regain d’intérêt pour l’Algérie se manifeste aussi par la multiplication d’ouvrages de photos anciennes. Déjà, à la fin 2004, et pour ne citer que celui-là, était sorti un très intéressant album, L’Algérie oubliée. Images d’Algérie (1910-1954) (Acropole, 208 pages, 35 euros), signé par Marc Combier et Gérard Guicheteau et constitué de documents inédits conservés au musée Niepce de Chalon-sur-Saône. Destinées à l’origine à la fabrication de cartes postales, ces photographies sont certes déterminées, dans le choix des sujets comme dans les poses, par un regard colonial. Mais, qu’on les aime ou non, ces scènes, ces ambiances ont existé et les traces qui en ont été conservées appartiennent à un pays qui redécouvre peu à peu son histoire.
Alger 1951. Un pays dans l’attente (112 pages, 32 euros), que coéditent aujourd’hui Le Bec en l’air (Manosque, dans le sud de la France) et Barzakh (Alger), donne une tout autre vision du même passé. Attentif au quotidien des gens, le photographe Etienne Sved s’est en effet attaché à capter l’âme du peuple algérien à la veille du déclenchement de la guerre de libération. Trois auteurs de renom, les écrivains Maïssa Bey et Malek Alloula ainsi que l’historien Benjamin Stora, venant apporter des éclairages originaux sur les 65 photos en noir et blanc réunies dans l’ouvrage1.
Chacun de ces livres – et d’autres que nous n’avons pas cités ici – est porteur d’une perception particulière du même pays. Certains intéresseront plus les lecteurs français, d’autres toucheront plus les Algériens. Mais, comme Yann Artus-Bertrand2 en a exprimé le souhait en entreprenant son périple aérien au-dessus des immensités algériennes, ils devraient tous participer un tant soit peu à la réconciliation de deux peuples liés par une histoire commune.

1. Le Bec en l’air publie en même temps Maalesh. Voyages en Égypte (144 pages, 35 euros), formé d’un récit de Jean Cocteau qu’illustrent des photos du même Etienne Sved.
2. En octobre, Yann Arthus-Bertrand a également publié, toujours chez La Martinière, Une France vue du ciel, avec un texte du journaliste Patrick Poivre d’Arvor.

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