Cheikha Rimitti

Chanteuse algérienne

Publié le 6 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Cinq ans après la sortie de Nouar, la doyenne du raï remet ça. Depuis le 28 novembre, N’ta Goudami, son tout dernier album, est dans les bacs. Le 2 décembre, à Paris, elle se produisait au fameux Cabaret sauvage. Cheikha Rimitti est donc en promo et accorde des interviews. On propose un rendez-vous dans un café de son quartier de prédilection, le 18e arrondissement parisien, où elle vit, dit la rumeur, dans une petite chambre d’hôtel.
Son manager explique qu’elle préfère rencontrer les journalistes hors de son QG. Soit. Nous avons donc rendez-vous dans un café sur les Champs-Élysées. La grande dame arrive escortée de son manager. Elle nous tend sa main tatouée au henné. L’entretien peut commencer. Bien sûr, elle répond aux questions… presque jamais à celles qu’on lui pose mais plutôt à celle qu’elle aimerait qu’on soulève. À commencer par l’ingratitude des chebs et chebbas qui l’ont pillée. « Le raï, c’est moi qui l’ai enfanté », assure-t-elle en tapotant son ventre. Elle s’attarde aussi sur sa jeunesse miséreuse.

Née le 8 mai 1923 dans la région d’Oran, fief du raï, Saâdia Bedief, de son vrai nom, perd ses parents prématurément et se trouve dans la nécessité de se débrouiller seule. « J’ai fait des ménages chez les Français », se souvient celle qui, faute de toit, dormait parfois dans les hammams. Elle a une vingtaine d’années lorsqu’elle rencontre une troupe de musiciens et s’improvise danseuse. Entretemps, la Seconde Guerre mondiale éclate. La misère autour d’elle se fait plus criante. Elle lui inspirera ses premiers vers, qui prendront la forme de quatrains. « C’est le malheur qui m’a instruite », confie-t-elle.
C’est la nuit que cette noctambule insomniaque compose ses vers coquins et gouailleurs. « Les chansons trottent dans ma tête et, comme des abeilles, elles n’arrêtent pas de me piquer. J’en perds le sommeil », poursuit la chanteuse, qui, depuis les années 1940, ne cesse de faire résonner sa voix rocailleuse d’abord dans son pays, puis dans le monde entier. Ses textes, elle les mémorise, « pas besoin de papier ni de stylo » et, de toute façon, la doyenne du raï n’a jamais appris à lire et à écrire.

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On aimerait l’interroger sur l’Algérie, qu’elle a quittée à la fin des années 1970 et où elle retourne régulièrement. D’autant que nous la rencontrons le jour où ses compatriotes votent pour le référendum, mais impossible de la questionner à ce propos. Et puis son manager, qui ne la quitte pas d’une semelle, veille à ce qu’on évite les questions qui pourraient fâcher. Au bout de vingt minutes, estimant avoir dit tout ce qu’elle avait à dire, la grande dame nous gratifie de bises sur les joues et prend congé, laissant dans son sillage un parfum entêtant.
Heureusement, un autre rendez-vous est pris pour le lendemain. À 21 h 30, la mamie du raï se produit sur la scène de l’Entrepôt, petite salle du 14e arrondissement. Elle a dénoué sa longue chevelure de jais et s’est coiffée d’une tiare dorée. Elle a troqué sa djellaba de la veille contre une longue robe traditionnelle rose bonbon. Parée d’une ceinture en or, de bracelets, et d’un triple rang de perles au cou, Cheikha Rimitti est sur son trente et un pour dévoiler ses nouveaux titres.
Côté texte, elle chante encore et toujours l’amour, les trahisons et autres déboires. Musicalement, les haïkus rimittiens ne sont plus ce qu’ils étaient. Dès 1994, la légende vivante du raï a pris un virage et n’a pas hésité à mixer les traditionnels gasba (flûte en roseau) et guellal (percussions) de ses débuts avec des instruments électriques. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis de toucher un nouveau public – qui est probablement le même que celui de Khaled. Le chanteur même qui a fait un tube de sa propre « Camel » et qu’elle accuse de plagiat ! Sauf que Rimitti oublie que la jeune génération de chebs, en donnant un nouveau souffle au raï dans les années 1980, a indirectement contribué à ce qu’elle ne tombe pas aux oubliettes.

De Rimitti, tout le monde connaît la « Camel », évocation de la vie des ouvriers qu’on attribue à tort à Khaled, mais s’il fallait citer un autre de ses titres, ce serait indubitablement « Charrag gatta » (déchire, lacère). Morceau phare grâce auquel elle s’impose dans les années 1950 et qui fait scandale car il n’est pas complètement farfelu d’y voir une dénonciation du culte voué à la virginité. Elle est, on l’aura compris, une femme aux moeurs libres. Elle ne cesse de chanter les amours clandestines, les égarements qu’induisent les vapeurs d’alcool… celles-là mêmes auxquelles elle doit son nom de scène. C’était en 1954 : voulant offrir une tournée générale à des clients qui l’avaient reconnue, elle dit à la patronne du bar « rimitti, rimitti » (remettez ça), avec son inimitable accent. Ce jour-là, une star est née.

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