Ce que les juifs tunisiens doivent à Moncef Bey
Quelques jours après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, les Allemands s’installaient en Tunisie sans coup férir. L’occupation nazie dura six mois et prit fin le 7 mai 1943 avec l’arrivée à Tunis des premiers éléments de la huitième armée britannique suivis le lendemain par les Américains.
Pendant ces six mois de tous les dangers, les juifs de Tunisie se sont trouvés seuls à la merci de l’armée allemande qui leur transmettait ses diktats par l’intermédiaire d’un conseil de la Communauté, une sorte de Judenrat nommé dans l’urgence. Or, de tous les pays occupés par les nazis, la Tunisie est le seul, mis à part le Danemark, dont la communauté juive s’en est sortie presque intacte. Comment expliquer ce véritable miracle ?
Il est vrai que malgré leurs succès militaires initiaux sur l’armée américaine, les Allemands se faisaient très peu d’illusions sur leurs chances de la vaincre. Les Alliés étaient à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Tunis au niveau de Medjez el-Bab, disposaient d’un armement considérable et étaient maîtres de la mer et du ciel.
Mais les choses auraient certainement très mal tourné pour les juifs si le souverain tunisien, Moncef Bey, l’avait voulu. Ce prince monté depuis peu sur le trône aimait assurer que les juifs étaient des citoyens tunisiens comme les autres. Il n’avait certes aucune possibilité d’empêcher les Allemands de prendre un certain nombre de mesures à leur encontre : réquisitions, racket, punitions collectives. Des milliers de jeunes furent astreints au travail obligatoire dans des Juden Arbeitslager, mais les juifs qui n’étaient pas dans les camps continuèrent à vivre presque normalement, à célébrer le shabbat et les fêtes et, pour Pessah par exemple, faisaient cuire leurs pains azymes comme d’habitude.
Je ne peux dire si Moncef Bey est intervenu d’une façon formelle en faveur de la communauté auprès des Allemands, mais je puis affirmer qu’à aucun moment il n’a favorisé la moindre propagande antijuive comme le firent les autorités de Vichy. Il aurait pu exciter l’antisémitisme latent de ses sujets, il ne l’a pas fait. Il n’eut jamais une attitude hostile à notre égard et, très habilement, refusa de collaborer d’une façon étroite avec l’occupant. Il était nationaliste, souhaitait certainement l’indépendance de son pays, mais, comme Bourguiba, ne voulait pas la devoir aux Allemands.
Malgré cela, le général de Gaulle décida de le détrôner au lendemain de la libération de Tunis et l’envoya en exil en Algérie d’abord puis en France.
J’ai tenu à rendre hommage aujourd’hui à ce prince, dont les juifs de Tunisie ont honoré la mémoire après son décès et le retour de ses cendres dans son pays natal, parce que son comportement contrastait avec celui de la quasi-totalité des gouvernements fantoches des pays occupés. Pendant que le maréchal Pétain et son administration favorisaient la chasse aux juifs, un prince musulman nous témoigna sa sympathie. En cette période où des campagnes haineuses envers les juifs se développent dans des pays musulmans, il est bon de rappeler que, si le judaïsme tunisien a survécu à l’un des plus grands dangers de son histoire, c’est en partie au moins à un prince musulman qu’il le doit.
* Médecin, écrivain, conteur. Animateur à radio Judaïques-FM (Paris). Dernier livre paru : Feuilles d’exil. De Carthage à Sarcelles (éditions Café noir, novembre 2004).
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