Retour de flamme

La lutte contre la xénophobie n’est pas encore gagnée. Mais la suppression de la carte de séjour pour les étrangers fait sauter un verrou. Et conforte la réconciliation avec le voisin du Nord.

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Rétablissement total de la libre circulation des personnes et des biens, rencontres, coups de fil réguliers entre les présidents Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré La Côte d’Ivoire et le Burkina n’en finissent plus de célébrer leurs retrouvailles depuis la signature de l’accord politique interivoirien de Ouagadougou, le 4 mars. Dernier épisode en date de ces élans d’amitié : la rencontre entre Gbagbo et la communauté burkinabè, le 28 octobre, au complexe sportif de Yopougon (Abidjan Nord). Le chef de l’État y a annoncé la suppression toute prochaine de la carte de séjour, source selon lui de la plupart des maux dont souffrent les étrangers.

« Les craintes que j’avais depuis 1990 [année où la carte de séjour a été instaurée, NDLR] se sont révélées justes. Premièrement, la carte de séjour ne met pas assez d’argent dans les caisses de l’État et, deuxièmement, elle induit des fraudes sur l’identité ivoirienne », a indiqué Gbagbo à son auditoire. De fait, beaucoup d’étrangers préféraient faire établir de fausses cartes ivoiriennes pour éviter de payer 35 000 F CFA (53 euros). « Ça gâte le nom du pays. On dit que nous sommes xénophobes. Nous allons supprimer les racines de cette réputation », a précisé Gbagbo, qui rappelle au passage que c’est Alassane Dramane Ouattara, alors Premier ministre, qui a fait de ce document une obligation pour tous les non-Ivoiriens de plus de 16 ans.
Fini donc pour les étrangers les tracasseries de tous ordres. La seule possession de la carte d’identité nationale de leur pays d’origine suffit. Elle leur permettra de résider et de circuler librement sur le territoire ivoirien. Depuis les tensions liées à « l’ivoirité » à partir de 1995, puis à la tentative de coup d’État en septembre 2002, les immigrés ne demandaient plus – ou peu – de cartes de séjour de crainte d’être repérés par ceux qui menaient des actions punitives. Le camp Gbagbo reprochait, en fait, au Burkina d’être la cause de tous les problèmes du pays. Et d’offrir le gîte et le couvert aux rebelles du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI). Ces discours xénophobes ont attisé la haine contre les ressortissants du voisin du Nord. Au plus fort de la crise, certains d’entre eux se sont même vu refuser l’accès aux soins, faute de pouvoir présenter le fameux document que les corps habillés, et autres miliciens, n’hésitaient pas, parfois, à déchirer lors de contrôles intempestifs.

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Pour autant, tout n’est pas totalement réglé. La sécurisation des activités des étrangers est loin d’être satisfaisante. Et leurs déplacements restent encore limités. « Le problème, ce n’est pas la carte de séjour, mais le racket des corps habillés et des milices sur les routes. Tant que les autorités ne parviendront pas à le combattre efficacement, nous serons terrorisés », explique Abdoulaye Sawadogo, planteur. Enfin, si le président et ses proches affichent leurs bonnes intentions, beaucoup de cadres du Front populaire ivoirien (FPI, parti présidentiel) ont du mal à dissiper leur rancur. « Nous sommes sur la bonne voie. Mais il faudra du temps pour retrouver la sérénité », conclut Sawadogo.
En clair, la suppression de la carte de séjour n’aura véritablement de portée que si elle va au-delà du symbole, car il ne suffit pas de casser le thermomètre pour faire baisser la température. En attendant, un verrou a sauté, celui des tracasseries policières et administratives, du racket et du bakchich ainsi que des humiliations de toute nature. Reste le plus dur, faire tomber, brique après brique, le mur de la méfiance que de longues années de discours xénophobes ont érigé et entretenu au sein de tout ou partie de l’opinion. Ce qui s’avérera certainement plus long et plus compliqué que la simple signature au bas d’un décret. Gbagbo ne l’ignore pas, qui entend bien changer les mentalités, y compris dans son premier camp où l’on a longtemps stigmatisé le Mossi, c’est-à-dire le Burkinabè. Mais le chef de l’État doit d’ores et déjà croiser le fer avec ses adversaires, qui voient dans cette décision, annoncée à la veille d’une tournée dans le nord du pays, une pure et simple manuvre politique. Les opposants se font fort de rappeler les conditions dans lesquelles ce document a été instauré en 1990 et comment feu Émile Boga Doudou, ministre de l’Intérieur de Gbagbo, en avait revu les modalités d’obtention. Ils accusent également le chef de l’État d’être en campagne électorale permanente et de chercher à leur couper l’herbe sous le pied en s’emparant d’un argument susceptible d’emporter l’adhésion d’une partie des populations du Nord. Surtout celle des quelque 15 000 ressortissants burkinabè qui avaient été naturalisés ivoiriens avant l’arrivée au pouvoir du FPI.

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