Rama Yade

La fougueuse secrétaire d’État française chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme propulsée sur le devant de la scène par l’affaire de l’Arche de Zoé.

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Elle a beau s’appeler Ramatoulaye Yade, être noire comme le jais et sénégalaise comme le baobab, elle ne voulait pas flirter de trop près avec l’Afrique. Pas dans l’immédiat en tout cas. La secrétaire d’État française chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme a, depuis sa prise de fonctions en juin dernier, évité le continent. Pour ses voyages officiels individuels, elle a d’abord choisi la Moldavie, Haïti, la Thaïlande et l’Indonésie, avant d’entamer sa première tournée africaine par le Soudan, à la fin d’octobre seulement.

Est-ce justement parce qu’elle est le seul membre du gouvernement né en Afrique et qu’elle s’est vue, ici et là, qualifiée de « caution noire de Sarkozy » que Rama Yade aurait, au fond, préféré s’occuper de tout autre chose que des relations entre le pays dans lequel elle vit depuis vingt-trois ans et le continent où elle a vu le jour en 1976 ? On ne se méfie jamais assez de ce que l’on connaît trop bien
Impatiente de la voir débouler dans ce qu’on a coutume d’appeler le « marigot », l’Afrique est donc venue frapper à sa porte, le 25 octobre. Neuf Français et sept Espagnols sont interpellés à Abéché, dans l’est du Tchad, pour tentative d’enlèvement de 103 enfants (voir pp. 67-69). Rama Yade était, à peine deux jours plus tôt, à 400 kilomètres de là, à El-Fasher, de l’autre côté de la frontière soudano-tchadienne. Et, hasard de calendrier, son ministre de tutelle, Bernard Kouchner, est en déplacement en Asie, où elle devait initialement l’accompagner, mais l’Élysée lui demande de rester pour prendre la tête de la cellule de crise.
Les micros fusent, les caméras la réclament, les yeux des députés se braquent sur elle quand elle prend le micro dans l’Hémicycle, le 30 octobre, pour rappeler, face à l’opposition, que son gouvernement a bien tenté d’empêcher l’opération menée par la sulfureuse ONG l’Arche de Zoé. Monter en première ligne sur la crise ouverte entre le Tchad et la France, deux partenaires au passé – et au présent – turbulent, relève d’un périlleux exercice d’équilibriste que les plus grands cirques ne confieraient pas à un acrobate débutant.
Mais Rama Yade, sourire enjôleur, physique de basketteuse, 30 ans seulement mais l’ambition et l’assurance chevillées au corps, n’a pas peur. Comme si, de Dakar au Quai d’Orsay, en passant par Colombes et les ors du Sénat, la vie lui avait donné ce tout petit supplément de hargne qui permet de ne douter de rien et d’oser tout. Tant pis si elle s’autorise quelques entorses au langage diplomatique dont elle ne maîtrise pas encore toutes les subtilités. Tant pis s’il y a, sur la route, des pots cassés et des dommages collatéraux. En témoignent ses déclarations de franc-tireur qui n’a pas pris soin de demander l’accord de ses supérieurs avant d’apporter son soutien aux squatteurs d’Aubervilliers fraîchement expulsés.

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Pour le moment, le feutre de la diplomatie n’a pas encore vraiment déteint sur la sincérité de la jeune Rama Yade, même si elle apprend petit à petit à rentrer dans le rang. « Je suis très spontanée, dit-elle. Mais je suis obligée de changer. Au-delà de ma personne, le moindre de mes propos engage le gouvernement français, dont je suis solidaire. » Elle peut compter sur la protection de celui qui l’a remarquée dans les rangs de l’UMP, puis propulsée au sein du gouvernement – Nicolas Sarkozy lui-même. S’avouant séduit par le naturel et la fougue de sa recrue, il lui accorde encore tout son soutien et une oreille attentive.
L’affaire de l’Arche de Zoé est le véritable baptême du feu de Rama Yade. La cour des grands, où elle est entrée avec quelques années d’avance, n’est pas toujours accueillante. Une fois encore, elle force son caractère et apprend à arrondir les angles. N’ayant pas de mots assez forts, au lendemain de leur arrestation, contre les responsables de l’ONG, une « bande d’illuminés » qui ont commis un acte « illégal et irresponsable », elle a dû ensuite rappeler que « la France [était] bonne mère » et qu’elle « sera[it] naturellement aux côtés de ses ressortissants ». Le règlement diplomatique de la crise ouverte le 25 octobre est, de toute façon, piloté depuis l’Élysée, et Rama Yade n’y joue qu’une partition de deuxième violon, mais sa mise en avant lui aura permis de s’aguerrir, prenant et esquivant les coups, et, surtout, d’aborder certains des thèmes qui lui sont chers. Ainsi retiendra-t-on sa retentissante formule lancée en plein Hémicycle : « L’Afrique de papa, c’est terminé ! » Même si la réalité est tout autre, surtout au Tchad, qui compte encore presque deux mille soldats français sur son sol. Mais le changement de ton est manifeste. Qui se serait permis de dire d’Omar Bongo Ondimba, comme elle l’a fait récemment à Jeune Afrique : « Je ne le connais pas personnellement. Il est d’une génération d’hommes politiques différente de la mienne » ? Qui aurait fait la forte tête et refusé de voir Denis Sassou Nguesso « pour une simple présentation. La prochaine fois que je serai amenée à le rencontrer, je le ferai pour avoir une discussion de fond sur les questions bilatérales et les droits de l’homme » ?

Le contraste est souvent frappant chez ce produit de la méritocratie à la française, assaisonné d’un zeste de discrimination positive à la mode, entre sa détermination et ses airs de petite fille sage. C’est d’un ton scolaire qu’elle a lu sa réponse à l’Assemblée, les yeux rivés sur ses notes. C’est en souriant timidement qu’elle a reçu, en septembre, les conseils de l’ex-députée néerlandaise d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali. « La politique est un sale milieu, lui avait glissé cette femme menacée de fatwa par des islamistes. Mais accroche-toi bien et tu atteindras ton but. » Et pourtant, c’est bien la même Rama Yade qui trouve « tout drôle », en juillet, de gravir les marches du palais présidentiel de Dakar au milieu de la délégation française et qui peut affirmer crânement : « Il y a des choses à dire sur le Congo, il faut pouvoir les dire », ou qui balaie d’un revers de la main les tam-tams qui l’accueillent à Oum Dawan Bam, banlieue de Khartoum sinistrée par les inondations. « On est là pour les victimes et les déplacés, on n’est pas là pour faire un spectacle. Allez, on s’en va ! »
Avec Rama Yade, l’enrobage ne fait pas partie de la livraison, il est confié au service après-vente. Histoire de tempérament. Histoire de génération aussi. Les baobabs qui ont dessiné les contours de la Françafrique ne sont pas de la même sève que les jeunes pousses qui en écriront demain l’histoire. C’est justement parce qu’elle s’appelle Rama Yade, qu’elle est noire comme le jais et d’origine sénégalaise qu’elle peut s’offrir le luxe de vouloir relier le « marigot » au fleuve des relations internationales de la France. En attendant de se consacrer, pragmatisme oblige, à son avenir politique personnel. Et là, tout sera permis.

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