Odes à l’Afrique
Dans le sillage du succès mondial du Roi lion, actuellement en France, le spectacle Kirikou et Karaba ainsi que l’opéra du Sahel Bintou Wéré triomphent à Paris. Et préparent leurs tournées sur le continent.
En cette fin d’automne parisien, les couleurs de l’Afrique sont à l’affiche. Trois spectacles vivants, joués, chantés et dansés, racontant tous une histoire dont le cadre et les personnages sont africains, attirent les foules et aiguisent les appétits des producteurs. Dans le sillage du succès mondial de la comédie musicale américaine Le Roi lion, qui débarque en France, le spectacle Kirikou et Karaba et l’opéra africain Bintou Wéré font recette.
Depuis sa première apparition en 1997 à New York (où elle se produit depuis sans interruption), la comédie musicale Le Roi lion, adaptation d’un succès planétaire de Walt Disney, a été représentée devant plus de 40 millions de spectateurs dans le monde. Elle est actuellement jouée par plusieurs troupes à Londres, Hambourg, Tokyo ou Johannesburg (où elle a été prolongée de trois mois), et deux tournées sillonnent les États-Unis. Mais elle s’est aussi rendue en Chine et en Corée du Sud aux mois de juillet et d’août. En Europe, elle est exploitée en franchise par la société néerlandaise de spectacles Stage Entertainment (ex-Endemol Live Entertainment), qui possède 23 théâtres en Europe et aux États-Unis. Le groupe, qui afficherait un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros selon le magazine Variety, a racheté en 2005 le Théâtre Mogador pour en faire, après neuf mois de travaux intensifs, le nouveau temple parisien des comédies musicales américaines.
Et ça marche ! Au 30 octobre, Le Roi lion avait déjà vendu 100 000 billets pour les douze semaines d’exploitation prévues et a annoncé quatre mois de prolongation. Un succès qui tient avant tout à la mise en scène réalisée, il y a dix ans, pour Broadway par Julie Taymor. Pleine d’humour, elle évite les clichés de mauvais aloi sur l’Afrique. L’essentiel de la musique est l’uvre du Sud-Africain Lebo M, originaire de Soweto. La chorale zouloue et la chanteuse de gospel Zama Madugulela, qui interprète le rôle féminisé du singe Rafiki, s’en donnent à cur joie.
Le travail plein d’inventions visuelles sur les décors, les ballets, les 200 masques et les 400 costumes achève de donner vie à un ensemble qui ne compte pas moins de 40 chanteurs et comédiens accompagnés par un orchestre de 17 musiciens. En tout, 115 personnes s’échinent quotidiennement sur ce show dont le budget, vraisemblablement faramineux, demeure secret. Les décors sont certes éblouissants, mais la forme a tendance à l’emporter sur le fond. Résultat : l’Afrique chantée est une Afrique exotique de carte postale.
Directement inspiré de l’expérience africaine du réalisateur français Michel Ocelot, qui a vécu toute son enfance en Guinée, l’univers de Kirikou est tout aussi magique. Et sur les planches du Casino de Paris, le spectacle tiré du film d’animation fait un tabac : 60 000 billets vendus en moins de vingt jours pour les trois mois de représentations dans la capitale Le producteur Victor Bosch, qui avait déjà produit Notre-Dame de Paris, est soulagé. Le défi était grand de porter à la scène l’histoire du plus célèbre bambin africain : « Pendant deux ans, Ocelot s’est arraché les cheveux avant de penser à la technique du bunraku, ce théâtre japonais ancien dont les pantins sont manipulés à vue », confie-t-il. Pour Kirikou, ils sont trois danseurs hip-hop et contemporains à avoir appris le métier de marionnettiste. La performance des jumeaux nigérians Taiwo et Kehinde Awaiye et du Congolais Legrand Bemba-Debert est pour beaucoup dans la magie du spectacle, au même titre que celle de la Malienne Fatoumata Diawara, qui incarne à la perfection une Karaba envoûtante et pleine de fiel (voir encadré page suivante).
La clé du succès de Kirikou sur scène ? C’est incontestablement le talent des artistes, la plupart d’origine africaine : Côte d’Ivoire, Mali, Togo, Cameroun, Guinée, Nigeria, Congo et Sénégal sont ainsi représentés dans une production qui aura coûté au total 4,5 millions d’euros. La mise en scène minimaliste du chorégraphe britannique Wayne McGregor fait la part belle à la danse africaine et permet à de nombreux jeunes danseurs de s’exprimer et de commencer à se faire un nom sur la scène française. Désormais, la troupe comme le producteur n’ont qu’une envie : partir en tournée sur le continent.
Un rêve d’Afrique qui est également partagé par les interprètes de Bintou Wéré, « le premier opéra africain », comme le revendique son directeur artistique, le Sénégalais Wasis Diop. Mais trouver de nouveaux financements pour un projet aussi important (une cinquantaine d’artistes) n’est pas facile. En attendant, cet « opéra du Sahel » voyage au gré des accords de production. Après une première mondiale à Bamako en février, puis une série de représentations aux Pays-Bas en juin, il s’est établi du 25 au 27 octobre en plein cur de Paris. Sous les ors du prestigieux Théâtre du Châtelet, qui coproduit le spectacle avec la République du Mali sur une initiative de la Fondation du prince Claus des Pays-Bas, un public huppé se pressait pour découvrir la tragédie épique de Bintou Wéré, opéra écrit, mis en scène et interprété par des artistes ouest-africains. Preuve que le succès des grosses productions comme Kirikou et Le Roi lion n’empêche pas, bien au contraire, celui de créations entièrement africaines.
Le rôle-titre, interprété par la Malienne Djénéba Koné, est celui d’une ancienne enfant-soldat qui décide d’émigrer en Europe afin d’assurer à l’enfant qu’elle porte un avenir meilleur. Autour de Bintou s’organise une caravane de prétendants à la paternité menée par un passeur ambigu à souhait dans une périlleuse traversée du désert jusqu’aux barbelés de l’enclave espagnole de Melilla, au nord du Maroc.
En intégrant la tradition musicale des griots, l’uvre renouvelle le genre lyrique. Chanté et dialogué en quatre langues (wolof, malinké, bambara et créole de Guinée-Bissau) sur des musiques composées par le Bissauguinéen Zé Manel Fortes pour des instruments traditionnels sahéliens (ngoni, bolon, kora, balafon, touné, flûte peule, sabar, doudoumba, calebasses d’eau), Bintou Wéré rassemble trois générations de chanteurs sahéliens : griots traditionnels (dont le Malien Abdoulaye Diabaté), musiciens modernes et jeunes chanteurs de pop.
Le résultat, acclamé par le public, est à la hauteur des ambitions de Wasis Diop et de Koulsy Lamko (Tchad), coauteurs du livret de l’opéra : Bintou Wéré est un drame poétique et universel, « fondé sur les rapports Nord-Sud » et s’adressant à un public aussi bien européen qu’africain. « Il porte un tel espoir qu’il devrait être joué partout en Afrique, au bord des rivières ou dans les villages », s’exclame la chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny. L’histoire pathétique de Bintou Wéré s’achève par une promesse d’avenir : en mourant sur les barbelés – alors qu’elle a le choix de laisser son enfant de l’un ou l’autre côté de la frontière -, l’héroïne préfère le rendre à l’Afrique.
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