Littératages

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

En 2006, chacun s’en souvient, un auteur inconnu, américain de surcroît, dominait outrageusement la rentrée littéraire en France. Avec Les Bienveillantes, pavé de neuf cents pages sur les ressorts psychologiques du nazisme, qui s’est vendu depuis à plus de 400 000 exemplaires, Jonathan Littell raflait le Grand Prix du roman de l’Académie française et, surtout, le Goncourt. Le plus prestigieux des prix lui semblait promis dès la première sélection, et personne n’aurait compris qu’il lui échappât.
Cette année, les jeux étaient beaucoup plus ouverts, aucun livre ne paraissant mériter le Goncourt (dont la remise a eu lieu ce 5 novembre) plus qu’un autre. Il n’en a pas toujours été ainsi, et certains ratages sont restés dans les annales. En 1913, Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier ne recueillait que cinq voix contre six au Peuple de la mer de Marc Elder, que tout le monde a oublié depuis belle lurette. Deux décennies plus tard, en 1932, c’est Céline qui faisait les frais de la cécité des jurés. À son époustouflant Voyage au bout de la nuit, ils préféraient Les Loups de Guy Mazeline.
Parmi les autres célébrités oubliées par les jurés du Goncourt, André Gide, Valéry Larbaud, Jean Giraudoux, Henry de Montherlant, François Mauriac, Jean Giono, Marcel Aymé. Sans oublier Georges Simenon, dont aucun des quelque deux cents romans ne leur a semblé digne d’être consacré.
Il est arrivé que des écrivains remarquables aient la malchance de concourir en même temps que d’autres auteurs eux aussi talentueux. C’est ainsi que Georges Perec échoua en 1978 face à Patrick Modiano, La Vie mode d’emploi s’inclinant devant Rue des boutiques obscures. Antoine de Saint-Exupéry connut un autre type d’infortune en 1931. Le Goncourt, dont il était le grand favori, lui fila entre les mains après que son livre, Vol de nuit, eut reçu le Femina.
Reste que les livres primés par le Goncourt depuis 1903 ont été en général de qualité. Les jurés des autres grands prix n’ont, eux non plus, pas toujours fait preuve d’un grand discernement. Il est de toute façon des livres qui, échappant à la sagacité (ou à la vigilance) des cénacles littéraires, font de très belles carrières par eux-mêmes. Ce fut le cas, par exemple, de Vipère au poing (Grasset, 1948) d’Hervé Bazin et de La Bicyclette bleue (Fayard, 1981) de Régine Deforges, qui se sont vendus à plus de 250 000 exemplaires chacun. Plus récemment, L’Élégance du hérisson (Gallimard, 2006) de Muriel Barbery a atteint des sommets (plus de 650 000 exemplaires écoulés en à peine plus d’un an) sans l’aide des prix ni même des médias.
Que penser des choix du Nobel, qui a récompensé cette année une écrivaine, l’Anglaise Doris Lessing, dont le nom était cité parmi les lauréats possibles depuis de très longues années (voir J.A. n° 2440) ? Si, depuis 1901, date de sa création, le « prix des prix » a presque tout le temps couronné de grands écrivains, il en a laissé quelques-uns sur la touche, et pas des moindres. Dans son numéro d’octobre, le magazine Lire, qui a pu consulter les archives de l’Académie de Suède, raconte comment Émile Zola, Léon Tolstoï, Sigmund Freud ou encore Margaret Mitchell ont été recalés. Les mêmes archives révèlent aussi qu’André Malraux est passé très près de la distinction suprême à trois reprises, en 1947, 1957 et 1967.
Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les lots de consolation qui manquent. Rien qu’en France, on dénombre pas loin de deux mille concours et prix littéraires

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