Le choix de Cristina

La nouvelle présidente rompra-t-elle avec le dirigisme de son prédécesseur et mari pour mener les réformes douloureuses qui s’imposent ?

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Placés sous le signe – et la férule – du charme, les quatre ans du mandat de Cristina Fernández de Kirchner, 54 ans, élue présidente de l’Argentine le 28 octobre, s’annoncent passionnants. Non pas parce que « la plus jolie sénatrice du monde », dixit George Bush père, succède à son époux, Nestor Kirchner, à la tête d’un pays à peine remis de la crise phénoménale de 2002. Ni même parce que sa complicité avec Michelle Bachelet, la présidente du Chili, et avec Hillary Clinton, la probable candidate démocrate à la présidence des États-Unis, pourrait changer la donne diplomatique, au moins sur le continent américain. En fait, tout le monde attend surtout de voir comment elle va se dépêtrer des guêpiers que son complice et mari lui laisse en héritage.

À voir son look glamour, ses lèvres pulpeuses et sa démarche de mannequin, on pourrait se méprendre. Certes, « la poupée courageuse », comme l’appelle la presse argentine, a commencé à se maquiller à outrance dès ses années de collège, chez les bonnes surs de la Miséricorde de La Plata, où elle est née en 1953. Un jour, lors d’une mutinerie dans la police de Patagonie dont Nestor était gouverneur, elle refusa de quitter à la hâte la salle de bains conjugale, comme l’en suppliait son mari. Sa réplique ? « Je ne sortirai jamais sans parfum ni maquillage, même si les marines venaient me prendre ! » Évidemment, elle adore Hermès, Versace, Gucci et la chirurgie esthétique.
Cristina est aussi une femme de tête. Elle commence sa carrière dans les jeunesses péronistes, où elle rencontre son futur mari en 1974. Elle suit les mêmes études de droit que Nestor, puis crée avec lui un cabinet d’avocats qui fera fortune en se spécialisant dans le rachat des propriétés de débiteurs insolvables. En 1989, quand il est maire de Santa Cruz, elle en est députée. En 1995, quand il gouverne la Patagonie, elle en est sénatrice. En 2003, quand il devient chef de l’État, elle est sa plus proche conseillère, mais refuse le titre de « première dame » d’Argentine pour s’octroyer celui de « première citoyenne » et veut qu’on l’appelle Cristina, à la rigueur Fernández, mais jamais Kirchner.

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Excellente oratrice, mais peu communicante au point de n’accorder aucune interview, elle bouscule les caciques de son parti, demande la démission de tel ou tel ministre pourtant péroniste, participe à la relance des procès liés aux crimes de la dictature, pourfend le Fonds monétaire international (FMI), ou traite les journalistes « d’ânes ». Sa biographe, Olga Warmat, la décrit comme « intelligente, forte, cyclothymique, généreuse, arrogante et implacable ». Si elle a écrasé ses rivaux le 28 octobre, c’est un peu grâce à la popularité de Nestor. Car ce dernier, qui n’était pas le vrai père du redressement de l’Argentine, a su habilement l’exploiter. Forçant les créanciers de son pays à accepter de ne percevoir que le tiers de leur dû, il est le héros de la classe laborieuse, d’autant qu’il a tenu tête au FMI auquel il a remboursé par anticipation, en 2006, 9,5 milliards de dollars.
En 2002, année de l’effondrement, le PIB argentin recule de 11 % et le chômage culmine à 21,5 % de la population active. Avec un rythme de croissance situé entre 8 % et 9 % l’an, le chômage est retombé aujourd’hui à 8,7 %. De 57 %, le taux de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté a été ramené à 30 %. La dette s’élevait à 140 milliards de dollars ; elle a été renégociée, et les réserves en devises atteignaient 33 milliards de dollars à la fin de 2006.
Pourquoi Nestor Kirchner n’a-t-il pas profité de l’aubaine, préférant mettre en avant sa femme ? Certains disent que le temps du populisme et des largesses budgétaires est fini et qu’il préfère laisser à Cristina la tâche impopulaire de remettre de l’ordre. D’autres croient savoir que le président sortant est gravement malade. D’aucuns, enfin, pensent que, la Constitution interdisant plus de deux mandats, Nestor et Cristina vont alterner à la tête de l’État jusqu’en 2019. Une dynastie conjugale en quelque sorte.
Voici Cristina à la manuvre. Elle a promis « le changement dans la continuité », ce qui veut dire qu’elle se souciera de la politique étrangère beaucoup plus que Nestor, mais ne changera rien à sa politique économique. Et c’est là que le bât risque de blesser. Car l’Argentine vit une double crise sur les fronts de l’inflation et de l’énergie. La première s’élève officiellement à moins de 10 %, mais les chercheurs de l’Institut national des statistiques (Indec) se sont mis en grève pour dénoncer les maquillages du gouvernement ; on estime que l’inflation réelle est comprise entre 16 % et 20 %, malgré les blocages de prix plus ou moins officiels. La crise énergétique est tout aussi menaçante. Les mesures de rationnement de l’électricité pour les entreprises, du gazole pour les taxis, des exportations de gaz vers le Chili se multiplient parce que les compagnies pétrolières et les exploitants électriques n’ont pas investi. Et ils n’ont pas investi parce que leurs prix étaient bloqués.

Pour sortir de ce cercle vicieux, Cristina devrait libérer les prix, mettre fin à la politique du peso faible et contenir les dépenses publiques, c’est-à-dire faire le contraire de Nestor. Dilemme. Restera-t-elle fidèle au dirigisme de celui-ci, proche du Vénézuélien Chávez ? Ou parviendra-t-elle à vendre aux Argentins un changement de cap façon Lula le Brésilien qui réconcilierait l’économique et le social ? Le tango inauguré par les Fernández-Kirchner promet virevoltes et chavirements.

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