Le changement, et après ?

Vingt ans après la prise du pouvoir par Zine el-Abidine Ben Ali, le pays a réa lisé d’indéniables progrès. Reste à transformer l’essai sur le terrain du pluralisme politique.

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

En cette première semaine de novembre, les Tunisiens célèbrent le 20e anniversaire du « Changement » par lequel le Premier ministre Zine el-Abidine Ben Ali a pu accéder à la présidence de la République en remplacement du père de l’indépendance, Habib Bourguiba (1956-1987), devenu trop âgé pour continuer à gérer les affaires du pays. Écarté du palais de Carthage, il mourra le 6 avril 2000, à l’âge de 87 ans, dans sa ville natale de Monastir. Son héritage n’a pas été détruit par Ben Ali, au contraire. Renforcé, il a servi de tremplin à l’essor que connaît la Tunisie depuis deux décennies. Le pays ne ressemble plus à ce qu’il était il y a vingt ans, sauf en ce qui concerne sa vie politique, malgré certaines évolutions. Le président de la République a accru ses propres pouvoirs, au détriment notamment de ceux du Premier ministre et des autres institutions républicaines. Tout émane de lui, de la plus grande à la plus petite des décisions. Le parti présidentiel n’est certes plus unique, mais sa prédominance et sa puissance sont telles qu’il écrase tout sur son passage. Il emporte les élections avec des taux supérieurs à 90 % des suffrages. Ici comme ailleurs, le système majoritaire à un tour tue n’importe quelle opposition dans l’uf.
Pour sortir de l’impasse, le président de la République a créé des sièges supplémentaires à l’Assemblée nationale, qui sont attribués aux candidats vaincus. C’est ainsi que quelques députés de l’opposition ont pu faire leur première entrée au Parlement en 1994 : ils disposent aujourd’hui de 37 sièges sur 189 (20 %). Ce système de quota – considéré comme une étape vers la démocratisation – a été étendu aux élections municipales. Il permet également de garantir une certaine représentativité aux femmes. Un rééquilibrage en faveur de l’opposition et de la société civile a été également introduit au Conseil économique et social ainsi qu’à la Chambre des conseillers (inaugurée en 2005). Il concrétise notamment un vu de Ben Ali lancé le 26 octobre 1988 de « renforcer le débat national autour des options qui intéressent la marche de la nation et d’y associer le plus largement possible les forces sociales, économiques et intellectuelles en leur donnant le loisir d’exprimer leur point de vue sur notre politique de développement. L’ère nouvelle que vit la Tunisie exige de toutes les couches de la population non seulement une participation active à la réalisation du changement, mais également de l’audace dans la réflexion et la capacité de concevoir les solutions pour que notre processus de réforme soit profond, global et tourné vers l’avenir. »

L’avenir, justement. Aujourd’hui, vingt ans après, cet avenir est toujours entre les mains de Ben Ali. Il a forcé le parti unique afin qu’il admette une certaine forme de multipartisme. Mais ce parti, dont il est lui-même président, appelle aujourd’hui Ben Ali – qui avait dénoncé la présidence à vie et la reconduction automatique à la tête du pouvoir – à présenter de nouveau sa candidature à la présidentielle de 2009. Explication d’un cadre du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) : « Nous avons besoin de tranquilliser l’opinion publique nationale et internationale sur la stabilité politique du pays et la pérennité de ses choix économiques, notamment notre libéralisme tempéré (qui respecte les équilibres sociaux et régionaux) et notre ouverture sur l’extérieur (fondée sur un partenariat renforcé avec l’Union européenne à partir de janvier 2008). Les investisseurs étrangers, lorsqu’ils viennent chez nous aujourd’hui, s’inquiètent de l’après-Ben Ali. Alors nous leur disons que Ben Ali sera encore là jusqu’en 2014. »
Un pays se construit économiquement sur une longue période et sans à-coups. Sans trancher l’éternel débat sur la priorité à donner à la démocratie ou au développement, l’expérience des pays asiatiques, connus sous le nom de « Dragons », montre que le développement commence juste avant la démocratie, mais que celle-ci l’accompagne et le renforce tout au long du processus de transformation économique et sociale. Sans cet accompagnement, les économistes estiment qu’un pays perd 1 à 2 points de pourcentage de croissance économique chaque année. Car les progrès économiques, sociaux et technologiques ne sauraient être décrétés sur ordonnance. Ils ont besoin pour s’épanouir de la diversité et de l’interaction des opinions, de la liberté dans la recherche, dans la création et dans l’expression scientifique, artistique et politique. Ils ont besoin de transparence dans la gestion, dans la prise de décision et le choix des nominations. Ils ont besoin, enfin, que le pouvoir politique et économique rende des comptes aux institutions parlementaires, aux organes de contrôle et à l’opinion publique. Sans cela, les énormes progrès accomplis par le gouvernement Ben Ali resteront inachevés, avec le risque de retour en arrière.
Aujourd’hui, le Tunisien moyen vit à l’aise avec un revenu six fois plus important qu’en 1987 – de 1 000 à 6 000 dinars tunisiens (DT1) – alors que la dette extérieure ne représente plus que 50 % du PIB, contre 60 % en 1987. L’espérance de vie à la naissance s’est accrue de six ans (de 68 à 74 ans), signe d’une amélioration globale de la santé. Le nombre d’étudiants est passé de 44 000 à 375 000 (+ 752 %), alors que la population nationale n’a augmenté que de 32 % (de 7,6 millions à 10,2 millions d’habitants). Rares sont désormais les foyers qui ne disposent pas de l’électricité ni de l’eau potable à domicile (voir pp. 52-53). Les engagements pris pour l’avenir deviennent du coup crédibles parce qu’ils sont fondés sur un volontarisme d’État : 8 000 DT de revenu par tête en 2016, 78 ans d’espérance de vie, maintien du taux de croissance économique à 5 % ou 6 %, comme dans les années 1987-2007, réduction de moitié de l’accroissement démographique (à 1,04 %), etc.

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Aucun système économique n’est à l’abri de l’imprévu. La Tunisie n’est qu’un petit pays qui pèse 41 milliards de DT de PIB (30 milliards de dollars en 2006) et qui occupe le 74e rang mondial (sur 209 économies). Mais avec presque la même population, le Portugal produit six fois plus et la Hongrie quatre fois plus. Alors pour se hisser au niveau des pays développés, il faut porter l’effort sur les investissements créateurs d’emplois (donc de revenus et de pouvoir d’achat) et de valeur ajoutée. Pour les attirer, il faut davantage que des pôles technologiques ou des zones industrielles. Tout cela, les concurrents de la Tunisie peuvent l’offrir. Dans un monde en perpétuelle compétition, le pays qui gagne est celui qui offre le meilleur climat d’affaires et la plus grande protection de l’investissement. Sur ce plan, la Banque mondiale (2) classe la Tunisie au 88e rang (sur 177), loin derrière la Turquie (57e) et Singapour (1er).

1. 1 dinar vaut en moyenne 0,75 dollar américain et 0,60 euro.
2. Doing Business in Tunisia, rapport 2008, 76 pages.

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