La Chine passe à la vitesse supérieure

En prenant 20 % du capital de la Standard Bank sud-africaine pour 5,6 milliards de dollars, Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) confirme la stratégie de Pékin sur le continent.

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

« Investissez en Afrique », ne cesse de marteler le président chinois Hu Jintao. Après le pétrole, les mines et les infrastructures, c’est au tour du secteur bancaire de répondre favorablement à cet appel et avec zèle ! La première banque chinoise, Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), a bouclé fin octobre son entrée au capital du groupe sud-africain Standard Bank. Le géant asiatique a pris une participation de 20 %, pour 36,7 milliards de rands (environ 5,6 milliards de dollars) en cash, par le biais d’une augmentation de capital complétée par l’acquisition de titres existants.
« Beaucoup de nos clients importants cherchent à investir en Afrique, et la demande de services financiers s’intensifie, expliquait Jiang Jianqing, le PDG d’ICBC, au moment de l’annonce de l’accord, le 25 octobre. La Standard Bank, incontestable numéro un en Afrique du Sud, est, pour nous, le meilleur partenaire possible. » ICBC entend porter à 10 % la part de l’international dans son activité, contre moins de 4 % actuellement. L’opération se résume ainsi : la première capitalisation boursière bancaire au monde (377 milliards de dollars) investit massivement dans la plus grande banque d’Afrique par la taille de ses actifs. Il y a plus insensé…

Réactions très favorables à la Bourse de Johannesburg
Reste que le grand bénéficiaire de cet accord historique n’est sans doute pas chinois. « C’est une énorme preuve de confiance envers la Standard Bank, l’Afrique du Sud et l’Afrique en général », réagit le PDG du groupe financier sud-africain, Jacko Maree. Son holding avait besoin de capitaux pour financer ses ambitions de croissance et sa stratégie d’expansion sur les marchés émergents (lire encadré). Il en profite pour s’octroyer un accès privilégié à la croissance économique la plus rapide au monde et se voit confortée dans son rôle de facilitateur des échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Asie. Par ce nouvel afflux de capitaux, elle se prépare mieux au virage de 2008 et à l’entrée en vigueur des nouvelles exigences de régulation bancaire (Basel II).
L’autre gagnant de l’accord est le secteur bancaire sud-africain dans son ensemble. Dès qu’il a été annoncé officiellement, le titre Standard Bank a fait un bond de 4,8 %, à 116,32 rands, alors que la monnaie sud-africaine atteignait son plus haut niveau depuis dix-sept mois (6,57 rands pour 1 dollar). À la Bourse de Johannesburg, la totalité du secteur bancaire gagnait d’ailleurs 2,5 % en moyenne : 4,73 % pour FirstRand, 4,23 % pour Nedbank, 3,42 % pour Absa… Les marchés parient sur un nouvel afflux de capitaux dans le pays. À raison, semble-t-il : dans son édition du 29 octobre, The Economic Times of India croit savoir que la State Bank of India (SBI), la plus grande banque indienne, a des vues sur Capitec Bank, la douzième banque sud-africaine. Si l’information se confirme, la Standard Bank n’aura alors joué qu’un rôle de précurseur.
Sur les images diffusées à la télévision le 25 octobre, tous les protagonistes affichent un large sourire… Jacko Maree est aux anges. L’accord a été signé après quarante-cinq jours de négociations seulement, alors qu’il était en gestation depuis plus de deux ans. Il faut dire que Maree a bien préparé son coup : n’a-t-il pas distribué à ses dirigeants, quelques mois plus tôt, 900 exemplaires de China Shakes the World, le livre de James Kynge, ancien chef du bureau chinois du Financial Times ? N’a-t-il pas compris dès le mois de juin 2005, lors de son passage à la Conférence monétaire internationale de Pékin, qu’une collaboration étroite avec les Chinois, outre qu’elle serait souhaitable, est tout à fait envisageable ? Ce jour-là, il rencontre alors Jiang Jianqing.
Une personne joue alors un rôle capital dans les négociations entre les deux présidents : Colin Coleman, directeur des opérations sud-africaines de la banque d’investissement américaine Goldman Sachs (actionnaire d’ICBC), par ailleurs conseiller financier du groupe chinois. C’est lui qui, en mars, présente à Pékin l’intérêt stratégique croissant de la place sud-africaine. C’est également lui qui, deux mois plus tard, lors des assemblées générales de la Banque africaine de développement (BAD), à Shanghai, évoque l’idée d’un accord avec Jiang Jianqing. C’est enfin grâce à lui que le PDG chinois est invité à dîner chez Jacko Maree et qu’une délégation d’ICBC est accueillie au siège de la Standard Bank, à Johannesburg, le 1er juin. Jusqu’à la signature du texte, Colin Coleman facilite les échanges. Sa médiation est efficace : le 10 septembre, les bases de l’accord sont connues et, le 8 octobre, le conseil d’administration de Standard Bank donne son feu vert. Le 20, Jacko Maree reçoit un coup de téléphone salvateur : ICBC prend au moins 20 % de Standard Bank. Il ne reste plus qu’à obtenir l’aval des actionnaires et des autorités concernées. D’ici à fin mars 2008, ICBC devrait donc acquérir des actions nouvellement émises par Standard Bank et d’autres, existantes, cédées au cours moyen pendant les trente jours précédant l’accord, majoré de 15 %. Près de 60 % du capital de la Standard sont en Bourse, le reste appartenant à des institutions sud-africaines comme les assureurs Old Mutual et Sanlam.

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Prochaine étape : un fonds d’investissement
Les termes de l’accord d’acquisition prévoient également l’arrivée de deux directeurs chinois dans l’organigramme de Standard Bank. L’un d’entre eux pourrait devenir vice-président, même si ce point fait encore débat. « Le défi est là, juge un économiste du Cap. Tout dépend de la façon dont Chinois et Sud-Africains travailleront ensemble. Il va falloir trouver un langage commun. » Les deux partenaires se sont déjà mis d’accord pour créer, à l’horizon de mars 2008, un fonds d’investissement de 1 milliard de dollars dans les ressources naturelles africaines. « Nous devrions injecter 250 millions de dollars chacun, explique Standard Bank. Le reste viendra de l’extérieur. » La presse sud-africaine, elle, enjoint au continent de profiter de la conjoncture. « Il ne fait aucun doute que l’objectif prioritaire de la Chine est d’accéder aux ressources pétrolières, gazières et minières de l’Afrique, et de les préserver de l’offensive américaine, reconnaissait Business Report dans son éditorial du 26 octobre. Mais la réalité, c’est aussi que les États africains ont aujourd’hui, plus que jamais, l’opportunité d’obtenir le respect de leurs partenaires commerciaux. Espérons qu’ils le feront avec la Chine, et qu’ils l’obtiendront. »

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