Etats-Unis : la carte camerounaise

Après le secteur de l’électricité, les Américains misent sur les mines. Objectifs : accroître leurs parts de marché et sécuriser leurs approvisionnements énergétiques en provenance de la région.

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Six milliards de dollars : tel est le montant que serait prêt à débourser un groupe d’entreprises américaines pour développer l’exploitation d’un gisement de bauxite, dans le nord du Cameroun, à Minim-Martap (voir encadré). Depuis la mise en service, en octobre 2003, du pipeline de 1 000 km – financé par le consortium emmené par la major ExxonMobil – reliant le champ d’hydrocarbures tchadien de Doba au terminal maritime camerounais de Kribi, il s’agirait du plus gros investissement américain en Afrique subsaharienne. La construction de l’oléoduc s’était alors élevée à 4,4 milliards de dollars Pas de doute, l’intérêt de Washington pour le Cameroun se confirme et la liste de ses investissements dans le pays ne cesse de s’allonger.

163 millions de dollars en 2003
En 2001, l’entreprise américaine AES a conquis le secteur de l’électricité camerounaise en remportant l’appel d’offres lancé par Yaoundé pour la privatisation de sa compagnie nationale, la Société nationale d’électricité (Sonel). En 2003, une autre société basée aux États-Unis, Geovic, a obtenu un permis pour exploiter, à partir de 2009, un énorme gisement de cobalt et de nickel dans l’est du pays. Ses réserves sont estimées à 1 milliard de tonnes de minerais. Une compagnie de transport urbain et interurbain, Transnational Automotive Group, assure, quant à elle, la liaison entre Yaoundé et Douala ainsi que la desserte de plusieurs quartiers de la capitale.
Selon la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), les investissements directs étrangers (IDE) au Cameroun ont connu un boom depuis 2003. Cette année, ils ont atteint 383 millions de dollars, dont 163 millions pour les États-Unis, qui sont ainsi devenus les premiers investisseurs étrangers dans le pays. En 2006, les IDE se sont élevés à 309 millions de dollars. De son côté, la banque camerounaise Afriland First Bank a signé, en 2003, un accord avec Eximbank, un établissement américain qui finance les opérations de commerce extérieur menées par Washington. Le texte doit permettre aux entreprises camerounaises d’obtenir des financements pour développer leurs activités sur le marché américain.
Ces échanges devraient s’accroître au cours des années à venir. En 2007, en effet, l’ambassade américaine au Cameroun a ouvert un bureau à Douala, la capitale économique du pays. À la même période, une chambre de commerce américaine a également été inaugurée, à Douala toujours, pour remplacer l’American Business Association, devenue trop « étroite » pour ses membres. Pas de quoi effrayer, cependant, les entrepreneurs européens installés depuis longtemps au Cameroun. « Plus les investisseurs étrangers sont nombreux, mieux c’est », commente, beau joueur, un diplomate européen.

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25 % des importations de pétrole
Mais derrière l’activisme de Washington se profilent, en réalité, des intérêts qui dépassent le seul développement économique camerounais : le pays est aussi, et surtout, la tête de pont d’une zone devenue stratégique pour les Américains. « Les attentats du 11 septembre 2001 ont fait comprendre aux États-Unis que le golfe Persique est désormais une zone dangereuse. Ils ont une autre lecture de la géopolitique et se tournent vers le golfe de Guinée : plus sûr, celui-ci regorge en outre de réserves de pétrole, qui ont souvent l’avantage d’être offshore », explique le politologue Jean-Emmanuel Pondi.
Les États-Unis comptent ainsi faire passer de 18 % à 25 % la part de pétrole qu’ils importent de cette région d’ici à 2015. Dans cette perspective, les projets de sécurisation de la zone se multiplient. En début d’année, Washington a installé des radars dans l’espace maritime de São Tomé, tandis qu’un bateau militaire navigue le long des côtes pour former des militaires africains et renforcer les capacités de surveillance des pays de la zone. « La sécurité maritime revêt une importance capitale pour le commerce américain. Les pays du golfe de Guinée accueilleront encore plus d’investissements étrangers s’ils coopèrent pour protéger les gisements pétroliers et les routes de navigation », expliquait la sous-secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines, Jendayi Frazer, en 2006.
Si le Cameroun ne figure pas parmi les plus gros pays pétroliers de la zone, sa position géographique en fait toutefois une base arrière intéressante dans le dispositif américain : ouvert sur l’océan Atlantique, il a des frontières communes avec le Nigeria, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale et le Gabon, qui, tous, produisent et fournissent du brut aux États-Unis. Quant au pipeline de Kribi, prévu à l’origine pour fonctionner pendant une trentaine d’années, il pourrait être utilisé pour transporter la production d’autres gisements de la région frontalière entre le Tchad, le Cameroun et la République centrafricaine, où des opérations d’exploration sont en cours. Enfin, la « stabilité » politique du pays représente aussi un atout sur lequel les États-Unis s’appuient pour sécuriser leurs investissements dans la région.
Seul l’environnement des affaires, qui reste très mauvais, notamment à cause du haut niveau de corruption, constitue un handicap. Avec une liberté de ton jusque-là inhabituelle, l’ambassadeur américain Niels Marquardt, en poste à Yaoundé jusqu’en juillet dernier, n’a pas hésité à multiplier les critiques publiques pour y mettre un terme : « Les pots-de-vin sont devenus si banals que certains observateurs se demandent si le mot corruption n’a pas une autre connotation au Cameroun », lançait-il par exemple en 2006. Abondamment relayées par la presse, les déclarations du diplomate ont laissé penser à l’opinion publique que les arrestations de plusieurs anciens patrons d’entreprises publiques, début 2006, dans le cadre de l’opération Épervier de lutte contre la corruption, avaient été faites à sa demande.

La Camair dans la ligne de mire ?
Autre ombre au tableau : le fonctionnement d’AES-Sonel, très critiqué. « Les prix ont augmenté et la qualité du service ne s’est pas améliorée. Dans mon usine, on compte en moyenne 14 coupures d’électricité par jour. Nulle part ailleurs on a vu une privatisation aussi désastreuse », fulmine un chef d’entreprise de Douala. Quant à l’annonce de l’investissement record pour le gisement de bauxite de Minim-Martap, elle laisse, elle aussi, un certain nombre de personnes dubitatives : le contour d’Hydromine, l’entreprise qui l’exploitera, reste flou, et ses responsables au Cameroun difficilement joignables. En 2006, une rumeur selon laquelle la compagnie nationale aérienne, la Camair, allait être reprise par United Airlines a couru, sans que la diplomatie américaine n’apporte de démenti. « Or United Airlines sortait tout juste d’un long redressement judiciaire ! » s’amuse un diplomate européen, avant de conclure : « Il y a beaucoup d’esbroufe de la part des Américains. Mais rien de plus normal : business is business ! »

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