Ce que je (lui) dois

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

« Mieux vaut partir cinq ans trop tôt que cinq minutes trop tard. » Ce précepte de Charles de Gaulle, Béchir Ben Yahmed, doyen des journalistes tunisiens encore en activité, le citait souvent à propos des chefs d’État africains et arabes qui restaient très longtemps au pouvoir au mépris des lois de la nature et du bon sens politique. À chaque fois, certains membres de la rédaction de Jeune Afrique, à laquelle j’ai eu le privilège d’appartenir entre 1994 et 2006 comme rédacteur en chef délégué, aimaient à railler leur patron, sans méchanceté du reste, en disant qu’il ferait bien d’appliquer lui-même le précepte.
« BBY » – ainsi que l’appellent ses journalistes – a cité cette même phrase pour annoncer, cette fois-ci, sous le titre « Nécessaire évolution », sa décision d’abandonner la direction de la rédaction du magazine et de confier cette responsabilité à François Soudan, son bras droit depuis près de deux décennies. Choix judicieux s’il en est, car ce quinquagénaire est à la fois le disciple de BBY et son alter ego. Il est aussi l’homme qui maîtrise le mieux le système BBY pour avoir largement contribué à sa mise en place, et qui connaît les rouages de la maison comme sa poche.
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique à Tunis, le 17 octobre 1960, sous le titre d’Afrique Action. Le jeune magazine hebdomadaire francophone qui commençait à avoir une certaine audience hors des frontières tunisiennes a dû transférer son siège, d’abord à Rome, en mai 1962, puis à Paris, en 1964, où il paraît depuis sans discontinuer.
Officiellement, Jeune Afrique a quitté la Tunisie pour fuir la censure bourguibienne qui commençait alors à se faire lourdement sentir. Ce n’était pas une mauvaise décision, puisqu’il est aujourd’hui, du haut de ses quarante-sept ans, le newsmagazine français qui résiste le mieux aux assauts de la vieillesse.
Comment expliquer cette « longévité exceptionnelle », selon les termes mêmes de son fondateur ? Parmi les explications qui pourraient être avancées, j’en retiendrai une seule, celle relative à la personnalité même de Béchir Ben Yahmed, sa grande puissance de travail, sa boulimie journalistique et livresque, ses qualités d’animateur d’équipe qui sait tirer le plus – à défaut du mieux – de ses collaborateurs, qui recrute les journalistes à tour de bras, mais ne garde – à défaut des meilleurs – que ceux qui s’intègrent le mieux dans son système. Car il y a un système BBY, où les faibles de caractère – même s’ils ont du talent – se font écraser au bout de quelques semaines, tout autant d’ailleurs que les grandes gueules qui finissent par perdre pied, foi et voix.
Dans ce système, il n’y a donc souvent de place que pour les gros travailleurs qui se lèvent très tôt le matin, écoutent les informations et arrivent à la réunion quotidienne de 8 h 30 prêts à répondre aux questions du patron et à proposer des sujets d’articles, en s’engageant à les traiter et à les remettre dans les meilleurs délais, afin qu’ils puissent être lus et annotés par ses collègues et réécrits par lui une, deux et même trois fois (pour les moins talentueux) avant d’être publiés.
« BBY presse ses journalistes comme un citron », disent ceux qui n’ont pu se faire une place dans Jeune Afrique. Personnellement, moi qui y ai appartenu une bonne dizaine d’années, je peux affirmer aujourd’hui que cela m’a fait aimer davantage mon métier et m’a appris à l’exercer avec rapidité et rigueur. Et rien que pour cela, je resterai toujours reconnaissant à BBY d’avoir cru en moi, de m’avoir jeté dans la « piscine » – c’est ainsi qu’on appelle la salle de rédaction – et d’avoir contribué à ma formation de journaliste par ses remarques griffonnées à l’encre verte sur du papier vergé, et qui m’énervaient tant.

*L’éditorial dont nous reproduisons ici l’essentiel a été publié dans le n° 2 de ce nouvel hebdomadaire tunisien.

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