Branle-bas de combat

Publié le 6 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Beaucoup d’entre nous se sentent perdus dans le dédale d’un Moyen-Orient de plus en plus compliqué et dont les médias traitent jusqu’à saturation sans parvenir à nous donner les clés pour comprendre ce qui s’y passe.
À quoi jouent les hommes et les femmes politiques qui s’agitent sur ce théâtre d’opérations, en échangeant tantôt des promesses, tantôt des menaces ? Comment distinguer le vrai du faux dans les tombereaux d’informations – ou de propagande – qu’ils déversent sur nous par médias interposés ?
Où est donc le fil conducteur qui permettrait de s’extraire du labyrinthe et de retrouver la lumière ?
Ce fil d’Ariane, je crois l’avoir trouvé et vous propose que nous le suivions ensemble. Il nous conduira, je l’espère, à appréhender ce qu’il y a d’insaisissable dans la situation actuelle de cette région.

Elle a été secouée comme elle ne l’avait pas été depuis longtemps par la chute de Saddam Hussein en avril 2003, par la dislocation de l’armée irakienne décidée, quelques semaines plus tard, par le proconsul américain Paul Bremer.
Voulue par quelques néoconservateurs américains, parvenus au pouvoir à Washington dans le sillage de George W. Bush, et par l’extrême droite israélienne (personnifiée alors par Ariel Sharon et Benyamin Netanyahou), la disparition soudaine de l’Irak comme grand pays arabe indépendant et comme force militaire importante de la région a créé un vide béant.
Tétanisés par ce qui venait d’arriver à l’un des leurs, les dirigeants des pays arabes de la région s’inclinèrent un à un devant les vainqueurs et se gardèrent de toute initiative collective visant à combler ce vide.

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Israël, qui avait fait la paix avec l’Égypte et venait de signer un traité avec la Jordanie, s’attendait, lui – comme on le lui avait fait miroiter -, à ce que « le nouvel Irak » gouverné par des politiciens inféodés à l’Amérique soit le troisième grand pays arabe à le reconnaître et à accepter son leadership
Pour les dirigeants israéliens, l’heure de l’hégémonie politique et militaire de l’État hébreu sur la région avait enfin sonné.
À la mi-2003, n’ayant en face d’eux que des régimes arabes impopulaires et dociles, les États-Unis et Israël savouraient la victoire qui allait les mettre en situation de remodeler le Moyen-Orient et de disposer de ses richesses à leur guise
C’était compter sans l’Iran
Les dirigeants de ce grand pays prirent acte du vide créé par l’effacement de l’Irak et la carence des autres pays arabes. Et décidèrent de disputer à Israël la suprématie régionale.

Tout ce qui se passe dans la région depuis près de cinq ans obéit à une logique si l’on prend en compte ce fil conducteur :
– les États-Unis et Israël sont très remontés contre l’Iran, cet outsider qui prétend leur ravir les fruits de leur victoire ;
– l’Iran et Israël sont en guerre – froide jusqu’ici, mais sans merci – pour le rôle de puissance dominante du Moyen-Orient.
Israël dispose, au départ, d’un atout maître : il peut compter sur l’appui inconditionnel des États-Unis ! Ses dirigeants n’ont qu’une seule crainte, celle de voir, un jour, un président américain décider, dans l’intérêt de son pays, de se réconcilier avec l’Iran. Nixon ne s’est-il pas rendu à Pékin en 1972 pour sceller la réconciliation des États-Unis avec la Chine, après une brouille de vingt-cinq ans ?

Le rapport actuel des forces penche lourdement en faveur du tandem États-Unis/Israël. Bien qu’il soit riche en pétrole, l’Iran n’est qu’un pays moyen du Tiers Monde avec une population de 70 millions d’habitants et un revenu annuel par habitant de 2 500 dollars.
Son budget défense est de 6 milliards de dollars environ : c’est la moitié de celui d’Israël et moins de 2 % de celui des États-Unis.
Si l’Iran fait ce qu’il peut pour se doter de l’arme nucléaire, c’est précisément pour compenser ces faiblesses et tenter de dissuader « le grand et le petit Satan » de l’attaquer. Lorsque son président multiplie les fanfaronnades et les menaces inconsidérées d’« effacer Israël de la carte », il ne fait qu’utiliser le verbe, arme des faibles

Du côté des forts, on pratique l’excès inhérent à l’arrogance : « L’Iran d’Ahmadinejad, c’est l’Allemagne d’Hitler. Qui parle de le ménager tente, en fait, d’apaiser la dictature et serait un nouveau Chamberlain. »
« Le danger que représente cet Iran pour le monde est grave et imminent. Il faut bombarder. »
Et les dirigeants israéliens de faire le tour des grandes capitales pour rallier à leur « croisade » les tièdes ou s’assurer du soutien des bellicistes : à Ehoud Olmert, le Premier ministre, échoit le voyage de Moscou, Londres et Paris ; Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères, elle, visite Pékin. Tandis qu’Ehoud Barak, le ministre de la Défense, est, en secret, à Washington.
Le langage de ces voyageurs est réaliste : « Certes l’Iran n’aura la bombe, si on le laisse faire, que dans cinq à huit ans. Mais c’est maintenant qu’il faut agir, car il faut interdire à ses savants et à ses ingénieurs d’acquérir le savoir et le savoir-faire qui leur permettraient d’avoir la bombe, à terme. »
En France, ils décrochent le jackpot : le nouveau président, son ministre des Affaires étrangères et, pour faire bonne mesure, le ministre de la Défense, font chorus : en aucun cas il ne faut laisser à l’Iran la moindre chance d’avoir la bombe.
Mais c’est de Washington que parvient l’oracle.
« Si l’Iran accède au nucléaire militaire, ce sera le début de la Troisième Guerre mondiale », déclare George W. Bush. Il est relayé par Rudolph Giuliani, candidat républicain à l’investiture : « Il faut bombarder l’Iran dès que cela sera logistiquement possible. » Rien de moins !

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Face à ce déchaînement – verbal, pour le moment -, quelques rares intervenants tentent de faire entendre la voix de la raison.
1. Protégé par son prix Nobel de la paix, mais handicapé par son prénom, qu’on ne tardera pas à agiter pour mettre en cause son impartialité, Mohamed el-Baradei, le directeur général de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), répète calmement :
« Il y a toujours beaucoup de points d’interrogation. Mais avons-nous vu les éléments nucléaires qui peuvent être rapidement transformés en arme ? Non. Avons-nous vu un programme actif de militarisation du nucléaire ? Non.
« Bombarder d’abord, vérifier ensuite, n’est pas une démarche acceptable Plus vite nous appliquerons à l’Iran le modèle qui a été suivi avec succès pour la Corée du Nord, mieux cela vaudra »
2. En France, l’historien et démographe Emmanuel Todd, qui jouit d’un grand respect dans la communauté intellectuelle, ose rappeler des évidences :
« Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner dressent la France en posture conflictuelle vis-à-vis de l’Iran. [] Nous sommes une puissance nucléaire qui menace un pays qui n’a pas la bombe. C’est, pour l’Iran, une incitation supplémentaire à acquérir l’arme atomique !
« L’Iran est entouré d’États qui possèdent l’arme nucléaire : Pakistan, Israël, Inde, sans oublier les Américains installés en Irak et en Afghanistan. [] C’est un grand pays qui, au milieu d’une zone extrêmement mouvante, a des préoccupations de sécurité.
« L’Iran doté de la bombe ? Ce serait légitime, ce serait un élément stabilisateur. Le seul exemple d’utilisation de l’arme nucléaire, ce fut dans une situation d’asymétrie, c’est-à-dire quand les États-Unis étaient les seuls à la posséder. [] L’Inde et le Pakistan ont des rapports plus apaisés depuis qu’ils sont tous deux des puissances nucléaires »

Ce branle-bas de combat est-il simple gesticulation ou bien annonce-t-il des actes graves ? Nul ne le sait. Mais avez-vous remarqué le silence complice des dirigeants des pays arabo-musulmans ?
On s’apprête à bombarder l’un des leurs et ils n’ont rien à dire, rien, absolument rien, à faire.

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