Documentaire : les Africains-Américains face à la gentrification
Dans « Residue », son premier film, Merawi Gerima livre un témoignage poétique et politique sur le quartier de son enfance, à Washington, où planent les fantômes de ses anciens habitants noirs.
« Tu as cru qu’un film pouvait nous sauver ? », s’interroge le narrateur dès le prologue, à moins qu’il ne s’agisse de la voix intérieure du protagoniste, elle-même reflet de la pensée de Merawi Gerima ? Dans Residue, son brillant long-métrage à la croisée de l’autobiographie et du docu-fiction, le cinéaste américain d’origine éthiopienne, fils des réalisateurs Haile Gerima et Shirikiana Aina – figures du cinéma noir indépendant et du mouvement L.A Rebellion – assume la mise en abyme.
Rescapés de la gentrification
Quinze ans après son départ pour Los Angeles, Jay, qui est aussi réalisateur, retourne dans les ruelles de son enfance, dans le quartier historiquement africain-américain d’Eckington, situé à Washington, District de Columbia. Là où Gerima a lui-même grandi. Caméra au poing, le « déserteur » souhaite raconter la vie de ceux qui ont partagé son enfance et son adolescence. Mais les habitants de la première heure ont disparu.
Les Noirs ne représentent plus que 46% de la population de la ville, contre 75% il y a quarante ans
« Le quartier a été nettoyé », observe l’une des nouvelles résidentes – une Blanche –, en assistant, depuis sa fenêtre, à l’une des rares courses-poursuites du quartier, rebaptisé NoMa, « contraction à la new-yorkaise de North Massachusetts Avenue », apprend-on. Le voisinage a pâli et s’est embourgeoisé. Désorienté par ce choc démographique et social, entre errances et désillusions, Jay évoque ses souvenirs d’enfance en allant à la recherche des quelques rescapés de la gentrification. Mais bientôt sa quête prend des allures de chasse aux fantômes… Il faut « montrer qu’on existe », lance-t-il à l’un de ses anciens camarades, dans une capitale où les Noirs ne représentent plus que 46% de la population, contre 75% il y a quarante ans, malgré l’élection, en 2015, d’une maire africaine-américaine, Muriel Bowser.
Chasse aux fantômes
Gerima, qui s’est attelé à la réalisation, à la production, au scénario et au montage du film, a misé sur un casting exclusivement composé des habitants de son quartier, tous acteurs non-professionnels. D’où la présence infime des personnages blancs à l’écran. Un film fait par, avec et pour les habitants de « Q Street », telle était la volonté du cinéaste pour ce projet à petit budget. Tourné durant les étés 2017 et 2018, soit deux ans avant la mort de George Floyd et l’irruption du mouvement Black Lives Matter, Residue a une dimension prémonitoire. Le réalisateur se concentre toutefois moins sur les violences policières que sur la violence systémique et le déterminisme social, et donc racial, dont sont victimes les Africains-Américains.
Le cinéaste parvient à trouver de la grâce même dans le chaos de la drogue et des gangs de jadis
« Ils sont tous en prison », « ne retourne pas en prison »… Voilà les bribes de dialogue qui cadencent ce film peu bavard, subtilement rythmé par des monologues intérieurs et des conversations flirtant avec la fantasmagorie. C’est pourtant un témoignage politique et social bien ancré dans son époque que livre ici Gerima. Mais en ressuscitant le passé et les heures les plus sombres de la vie de ses anciens camarades, il parvient à trouver de la grâce jusque dans le chaos de la drogue et des gangs qui gangrenaient autrefois le voisinage.
Au moyen de séquences à l’esthétique vintage, où les gamins d’alors faisaient exploser des feux d’artifice pour célébrer la fête nationale du 4 juillet, qui commémore la déclaration d’indépendance de 1776, Gerima montre avec poésie des élans de communion collective. Un vent de liberté qui ne semble aujourd’hui souffler que sur une certaine frange de la population. Au détriment de la vie des Noirs, dont il ne reste que des résidus, et à qui le cinéaste rend ici hommage.
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