Wade veut jouer les prolongations

Le président de la République propose de reporter d’un an les élections législatives de 2006 pour financer la construction de logements en faveur des sinistrés des récentes inondations. L’opposition dénonce une manuvre politicienne et réclame le strict r

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Le 28 août, à la surprise générale, le président Abdoulaye Wade s’invite au journal de la télévision publique pour annoncer le couplage des législatives et de la présidentielle en 2007. En clair, il souhaite prolonger d’une année supplémentaire le mandat des députés, donc de la majorité détenue par le Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir). Motif avancé par le chef de l’État ? Sa volonté d’utiliser les 7 milliards qui devaient servir à financer le scrutin de l’année prochaine pour compléter l’enveloppe de 52 milliards du plan Jaxaay (« l’abeille », en wolof). Ce plan conçu par Wade est destiné à construire des habitations pour reloger les victimes des inondations dont la capitale sénégalaise a été victime au cours de la troisième semaine du mois d’août. L’argument aurait pu paraître imparable si la décision présidentielle n’était pas précédée d’une série d’événements qui suscitent nombre d’interrogations, notamment au sein de l’opposition.
Le 14 août, plusieurs jours avant les intempéries, le chef de l’État avait en effet annoncé la couleur par l’intermédiaire de Djibo Kâ, un ancien adversaire devenu son ministre de l’Économie maritime. Kâ avait mis à profit son passage sur les ondes d’une radio privée dakaroise pour développer avec sa verve habituelle les arguments en faveur d’un couplage des deux scrutins. Les réactions hostiles de l’opposition à cette première sortie n’ont pas empêché Wade de prendre cette décision. Quitte à exaspérer ses adversaires et la société civile, qui dénoncent « une entorse au calendrier républicain, à la Constitution et à la démocratie ».
Dans un bloc compact, le Cadre permanent de concertation (CPC, regroupement des principales formations de l’opposition), le G10 (un groupe de dix partis adversaires du régime) et la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT d’Abdoulaye Bathily) ont commencé, le 29 août, par démonter l’argument financier censé justifier la décision présidentielle. « Wade aurait pu puiser les 7 milliards dans les 10 milliards prévus pour construire sur la colline de Ouakam un monument de la Renaissance », a suggéré le leader de l’Alliance des forces de progrès (AFP), Moustapha Niasse. Avant de dénoncer le train de vie de l’État, avec la quarantaine de ministres, dont les salaires ont plus que triplé en 2004, et les quelque 70 ministres conseillers à la présidence. L’argument de l’économie budgétaire tient d’autant plus difficilement que le pays connaît une prospérité financière exceptionnelle : ses recettes sont passées de 500 milliards de F CFA en 2000 à plus de 1 300 milliards dans la loi de finances de 2005.
Difficile donc d’invoquer des raisons pécuniaires, d’autant que le régime a décidé d’annuler le fichier électoral à la base de la présidentielle de 2000 et des législatives de 2001 pour le remplacer par un dispositif biométrique, avec cartes d’identité et d’électeur numérisées. Coût de l’opération : 13,8 milliards, alors que les législatives de 2006 auraient pu coûter, avec les anciennes listes mises à jour, seulement 7 milliards.
Le couplage des élections procéderait-il de calculs d’une tout autre nature ? La démarche serait partie de sondages secrets commandités par les proches du chef de l’État. Les investigations des services secrets sénégalais et les études des organismes privés ont conclu à une chute vertigineuse de la cote de popularité du chef de l’État. Les enquêtes menées sur la plate-forme Idi 2006 (conglomérat de partis et de mouvements de soutien, embryon d’une liste aux législatives de 2006 qu’entend diriger l’ex-Premier ministre, Idrissa Seck, soupçonné de malversations financières et d’atteinte à la sûreté de l’État et incarcéré depuis le 15 juillet) ont donné le tournis au palais. Leurs résultats, en cas de duel Wade-Seck, corroborent les informations circulant dans les chancelleries occidentales à Dakar : 68 % d’opinions favorables à Idrissa Seck au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), contre 28 % au chef de l’État et 4 % d’indécis. Sur la population globale, les études ont donné 58 % d’opinions favorables à Seck à Dakar, et 87 % à Thiès, l’agglomération dont il est le maire (située à 70 km de la capitale), contre respectivement 18 % et 3 % au chef de l’État. Aucune des estimations n’a donné plus de 30 % des sièges de l’Hémicycle à une liste du PDS qui serait opposée à Idi 2006 et à une liste commune des partis membres du CPC.
Décryptage : il fallait du temps au chef de l’État pour remettre de l’ordre dans ses troupes, réduire les effets du divorce avec les pro-Seck à défaut de trouver un compromis avec eux. Vaste chantier, si l’on sait que l’ex-Premier ministre s’est radicalisé après son emprisonnement suivi de son exclusion du PDS, le 5 août. Il a confié à des proches, du fond de sa cellule, sa volonté de s’allier avec l’opposition pour renverser Abdoulaye Wade par les urnes. Il s’apprêterait même à créer un journal pour mener ce nouveau combat.
Pour éloigner le spectre de la défaite électorale, Wade entend également s’attaquer à la dynamique unitaire de l’opposition. Même si les discrets pourparlers initiés par le palais au cours de ces dernières semaines en direction de Moustapha Niasse et d’Amath Dansokho (leader du Parti de l’indépendance et du travail) n’ont encore rien donné.
Le président de la République a brutalement constaté que sa confortable majorité en 2001 s’est dangereusement effritée et que son parti subit les affres du conflit qui l’oppose à Idrissa Seck, handicaps qui n’ont pu être résorbés par le soutien de nouveaux partenaires. L’Union pour le renouveau démocratique (URD) de Djibo Kâ (passé de 162 374 voix aux législatives de 1998 à 69 000 voix à celles de 2001), And-Jëf (AJ) de Landing Savané (76 000 voix en 2001) et la lilliputienne Convention des démocrates et des patriotes (CDP Garab gui, aujourd’hui dissoute dans le PDS) d’Iba Der Thiam n’ont pu atténuer le recul dans l’opinion de la mouvance présidentielle.
En l’espace de cinq ans, le chef de l’État a remplacé dans de nombreuses localités du pays les responsables de son propre parti par des « transhumants », ces transfuges passés avec armes et bagages du Parti socialiste (PS, anciennement aux affaires) au PDS. Ceux-là mêmes qui avaient été désavoués par les électeurs en 2000 et en 2001 : Assane Diagne et Aïda Mbodj à Bambey ; Adama Sall et Sada Ndiaye à Matam ; Mbaye Jacques Diop à Rufisque ; Abdourahmane Sow à Louga ; Salif Bâ à Kaolack… Les Sénégalais rejettent ces figures usées de la vie politique, incarnation des griefs qui les ont conduits à voter pour l’alternance en 2000.
Abdoulaye Wade aura fort à faire pour surmonter ces nombreux handicaps, même d’ici à 2007. Encore faudrait-il que son forcing pour coupler les élections triomphe de la mobilisation de l’opposition et de la société civile. Le CPC, le G10 et la LD/MPT peaufinent un « plan de combat » qu’ils mettront en oeuvre dès le lendemain de leur rencontre avec le chef de l’État, le 8 septembre. Si ce dernier ne revient pas sur sa décision, ils entendent sensibiliser les autorités religieuses et coutumières, initier des rencontres avec la société civile, organiser des manifestations diverses (marches de protestation, sit-in, etc.). Ils vont, parallèlement, attaquer en justice le projet du chef de l’État de modifier par le biais de sa majorité parlementaire, donc par la loi et non par référendum, une mandature fixée à soixante mois par l’article 60 de la Constitution.
Si cette autre démarche n’aboutit pas, la plupart des députés de l’opposition cesseront de siéger à l’Assemblée nationale dès le 30 juin 2006, date d’expiration de leur mandat. Le modèle démocratique sénégalais va au-devant de sérieuses empoignades.

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