Terre d’accueil

Le camp de Comé accueille 1 600 Togolais qui ont fui leur pays lors des violences survenues à l’occasion du scrutin présidentiel du mois d’avril. Réfugiés politiques pour la plupart, ils refusent de rentrer chez eux.

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 6 minutes.

La petite ville béninoise de Comé n’a plus de terrain de football. Depuis le 27 avril, il est occupé par les quelque 135 tentes couleur poussière estampillées UNHRC (Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies). Aujourd’hui, 1 600 Togolais essaient d’y retrouver un semblant de vie normale, en attendant de pouvoir un jour, peut-être, regagner leur domicile de Lomé, d’Aného ou d’Atakpamé. Chassés par les violences qui ont éclaté au lendemain du scrutin présidentiel d’avril dernier, 23 000 Togolais, au total, se sont réfugiés au Bénin en laissant tout derrière eux : maison, commerce, famille et, surtout, la foi en un avenir meilleur. Quatre mois après l’élection de Faure Gnassingbé, et malgré les appels rassurants des autorités et du nouveau gouvernement, aucun n’envisage de rentrer au Togo, à quelque 50 kilomètres de là.
Kossi, un militant de l’opposition âgé de 25 ans, sait qu’il est attendu par les militaires d’Aného. Sa mère fait souvent le voyage pour lui donner des nouvelles de sa petite ville natale et de ceux qui y sont restés. À chaque visite, elle assène la même rengaine : « Si tu rentres, ils te tueront. » Kossi raconte : « Après la proclamation des résultats, nous avons barricadé la ville, et nous sommes allés saccager le commissariat. Nous ne voulions pas que notre victoire nous soit volée une fois de plus. Nous sommes allés jusqu’au domicile du maire, et nous avons mis sa maison à sac. Quelques minutes plus tard, les militaires sont intervenus et nous ont tiré dessus à balles réelles. J’ai perdu un ami dans la bataille. Nous avons fui et nous nous sommes cachés dans des maisons avant de traverser la frontière par la rivière, en pirogue. » Avant d’être classé « réfugié prima facie » (c’est-à-dire dès le premier entretien) par le HCR, Kossi, comme les autres, a subi un interrogatoire précis de la part des représentants des Nations unies. « Il ne fallait pas que les migrants économiques profitent de la situation pour quitter leur pays », insiste l’un de ces enquêteurs.
Aujourd’hui désoeuvré, Kossi n’ose même pas sortir du site pour tenter de trouver du travail en ville, à l’instar d’autres réfugiés. Il a peur de tomber sur des membres du RPT (Rassemblement du peuple togolais, parti au pouvoir) venus « espionner » et ficher comme dangereux opposants au régime ses concitoyens de Comé. « Nous avons eu effectivement affaire à des individus qui prenaient les réfugiés en photo à l’aide d’un téléphone portable dans les premières semaines qui ont suivi l’ouverture du site, déplore un coordinateur de la Croix-Rouge béninoise. Mais il n’y a plus de danger aujourd’hui et les forces de police béninoises dépêchées dans les camps veillent à ce que les Togolais ne se fassent pas justice eux-mêmes. »
Le HCR est conscient que la plupart des exilés stationnés sur les sites de Comé et de Godomey ou hébergés par des proches installés au Bénin – ils sont près de 14 000 dans ce cas – sont des activistes. « Bien sûr, nous avons eu un flux important de femmes et d’enfants au tout début de la crise. Mais la grande majorité des réfugiés sont des jeunes de 18 à 35 ans qui ont ouvertement milité dans l’opposition », admet un responsable. Les humanitaires ont également recueilli des enfants âgés parfois de moins de 10 ans. « Certains étaient dans les rues quand les violences ont éclaté. Ils n’ont pas pu rentrer chez eux et ont suivi la foule qui fuyait. Nous avions en juillet 192 enfants de 8 à 18 ans logés dans une partie sécurisée du camp de Comé. Nous effectuons des recherches, avec l’aide d’autres associations, pour qu’ils puissent rejoindre leur famille au plus vite. En l’espace de deux mois, une trentaine seulement ont pu être remis à leurs proches », explique un membre d’une ONG béninoise.
Puis il a fallu soigner les victimes. Le HCR a dénombré une cinquantaine de blessés par balle. Adjesso est l’un d’entre eux. Il ne peut toujours pas utiliser sa main gauche, et sa jambe, touchée également par un projectile, le fait toujours souffrir. Lui aussi vient d’Aného. Et lui aussi militait avec les « Jaunes » (la couleur de l’Union des forces du changement de Gilchrist Olympio). Aujourd’hui, il envisage de trouver un emploi de peintre en bâtiment au Bénin. « Je ne veux pas retourner chez moi. J’ai trop peur », souffle-t-il dans sa langue natale, le mina.
Depuis le mois de mai, très peu de réfugiés ont tenté de traverser la frontière en sens inverse. « Ils veulent des garanties, explique un responsable du HCR. Ils craignent qu’à leur retour les milices débarquent de nouveau chez eux et commettent des exactions. D’autres attendent que « les résultats véridiques », c’est-à-dire la victoire de l’opposition, soient proclamés. »
Pour l’heure, ces réfugiés doivent cohabiter avec la population locale, laquelle ne montre aucune hostilité à leur égard. « Les habitants de Comé ont l’habitude d’accueillir des exilés. En 1993, près de 150 000 Togolais avaient fui au Bénin, et le camp de Comé était alors bien plus vaste qu’aujourd’hui. Il est vrai aussi qu’il y a une proximité culturelle et linguistique entre le sud du Togo et le département du Mono, au Bénin », souligne un coordinateur. Reste que beaucoup de Togolais, qui se contentaient de survivre dans leur pays sinistré par la pauvreté, savent que la vie au Bénin ne sera pas plus facile. « Ici aussi, il y a des problèmes de chômage », déplore Naïma, qui vient d’accoucher et qui espère pouvoir, un jour, rejoindre sa soeur à Londres. « Comment voulez-vous que je reste dans ce camp avec un nouveau-né ? » interroge-t-elle. « Je ne manque de rien, ni de nourriture, ni d’eau potable, ni d’un toit. Je manque d’avenir, que ce soit ici ou de l’autre côté de la frontière », assène cette ingénieur de formation qui a connu dix années de chômage pour finalement s’improviser commerçante à Lomé.
En attendant de reconstruire leur vie, les réfugiés de Comé s’organisent. Le « village », présidé par une femme arrivée le jour de l’ouverture du camp, le 27 avril, est divisé en quartiers, baptisés par leurs habitants eux-mêmes « Pentagone City » ou « Washington District ». Chaque quartier est dirigé par un chef élu. Certains ont trouvé un petit emploi de zemidjian (taxi-moto) ou de menuisier en ville, tandis que d’autres ont installé de petites échoppes à l’intérieur du camp, où ils vendent condiments et autre denrées qui améliorent le morne quotidien des réfugiés. Les enfants suivent les cours dispensés par l’Unicef et jouent au ballon entre les fils à linge. Les samedis sont consacrés au nettoyage du site par les réfugiés eux-mêmes. En cette saison des pluies, chacun s’est mis à creuser des rigoles pour éviter que les tentes, où logent une dizaine de personnes, ne soient inondées.
« On a tenté de redonner aux gens leurs repères en recréant une vie aussi proche que possible de celle d’un village », expliquent les humanitaires. À Godomey, une ville située à 35 km de Comé où vivent plus de 7 500 personnes, les artistes exilés exposent leurs oeuvres. « Il faut bien passer le temps », conclut Séverine, venue avec ses 21 enfants et petits-enfants.
Mais le temps semble pour l’instant s’enraciner dans la poussière des camps. « Le camp, c’est l’une des solutions durables que le HCR propose aux réfugiés, en incitant notamment les déplacés à s’intégrer dans la vie de la communauté locale », admet un coordinateur. Les réfugiés de Comé devraient être transférés prochainement sur un autre site, plus vaste, à 3 km de là. Et les jeunes de Comé pourront de nouveau jouer au football.

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