Souriez, vous êtes surveillé !

Pour faire échec à la menace terroriste – et aux malfaiteurs de tout poil -, les autorités de la planète recourent de plus en plus à des outils de contrôle plus sophistiqués les uns que les autres. Revue de détail.

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

George Orwell, l’écrivain britannique né il y a plus de cent ans, passe pour un visionnaire. À raison. Secoué par les attaques terroristes, le XXIe siècle s’apparente de plus en plus à la société sous haute surveillance décrite dans son 1984. Bientôt, la planète sera truffée de ces outils imaginés par les auteurs de romans futuristes : capteurs olfactifs dans les lieux publics pour détecter toute trace d’explosif, caméras ultraperfectionnées capables d’identifier un individu à sa démarche ou à la forme de ses oreilles, laboratoires miniatures installés dans les aéroports analysant l’odeur ou le halo de chaleur dégagé par chaque passager, scrutateur de pensées… Depuis les attaques du 11 septembre, les scientifiques travaillent sans relâche sur ces nouvelles technologies sécuritaires. Et les entreprises privées spécialisées ne cessent de se développer. Il est vrai que le marché est juteux. Selon l’International Biometric Group, un cabinet d’études américain, il représente quelque 1,8 milliard de dollars (1,46 milliard d’euros) et pourrait atteindre 5 milliards de dollars (4 milliards d’euros) d’ici à 2008.
Cette surveillance à outrance pose évidemment des problèmes éthiques puisqu’elle peut constituer dans certains cas une atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles. Mais à l’heure où les terroristes sèment la mort de Bagdad à New York en passant par Dar es-Salaam, Nairobi, Casablanca, Madrid, Istanbul et Londres, il semblerait que le besoin de sécurité ait supplanté la peur de Big Brother.
D’autant que les oeilletons électroniques, qui, à Londres, filment un même citadin trois cents fois par jour en moyenne, se sont révélés efficaces après les attentats survenus dans la capitale britannique les 7 et 21 juillet. Grâce aux 4 millions de vidéocaméras installées en Grande-Bretagne – on en dénombre 500 000 dans la seule capitale -, Scotland Yard, s’il n’a certes pas déjoué les attaques, a au moins réussi à identifier rapidement leurs auteurs. La Grande-Bretagne est depuis longtemps pionnière dans le domaine de la télésurveillance. Pays le mieux équipé au monde, c’est aussi celui qui utilise les techniques de biométrie les plus novatrices. Ainsi, dès 1998, la petite ville de Newham, dans la banlieue de Londres, a eu recours à un système de vidéosurveillance biométrique capable d’isoler les visages des criminels fichés par la police. Le logiciel auquel sont reliées les trois cents caméras de la ville décompose les traits de l’individu – lignes supérieures des orbites, emplacement du nez, zones autour des pommettes… – en prenant les yeux pour point d’ancrage. En cas de ressemblance détectée par l’ordinateur, il appartient néanmoins encore à l’homme d’intervenir et de trancher…
La France, jusqu’alors assez réfractaire à ces méthodes intrusives, envisage désormais de calquer le modèle britannique. Un projet de loi, qui devrait entrer en vigueur à la fin de l’année, prévoit de doter chacun des 4 000 bus parisiens d’une caméra tandis que 9 000 autres appareils scruteront les rames et les accès aux stations de métro. Quant au projet Ines (Identification nationale électronique sécurisée), présenté en avril, il vise à délivrer à chaque Français une carte d’identité biométrique à compter du 1er janvier 2007. État civil, empreintes digitales, photo numérisée : rien ne pourra plus échapper aux inspecteurs. Pis : on envisage d’y incorporer une puce permettant le contrôle à distance, donc à l’insu du citoyen. Le gouvernement français ne rechigne pas à payer le prix de cette sécurité, pourtant jugée « liberticide » par certaines organisations telles que la Ligue des droits de l’homme : 205 millions d’euros par an jusqu’à l’adoption généralisée de ces papiers d’identité high-tech. Dans le même ordre d’idée, un passeport électronique intégrant des données biométriques devrait voir le jour dans les pays de l’Union européenne d’ici à trois ans.
Les empreintes digitales, tout comme la reconnaissance de l’iris, ne sont cependant pas fiables à 100 %. Les premières peuvent facilement être reproduites ou falsifiées à l’aide de latex tandis qu’un scanner ne peut authentifier les détails de l’oeil à distance. Une entreprise américaine, Sarnoff Corporation, spécialisée dans la reconnaissance de l’iris, affirme faire des progrès rapides. Mais la commercialisation d’un tel scanner ne se fera probablement pas avant une dizaine d’années. En attendant, les Japonais préfèrent opter pour un système qui repose sur le dessin formé par les veines de la paume de la main. Introduite au Japon en 2004, cette nouvelle technologie a été officiellement lancée dans le reste du monde en juin par Fujitsu. « Au cours des trois prochaines années, nous estimons que les commandes atteindront 725 000 dollars [600 000 euros] », annonce l’entreprise, qui refuse néanmoins de révéler le prix de cet équipement.
Autre nouveau pisteur : un détecteur d’ondes millimétriques à distance. Tout corps émet des rayonnements hyperfréquences, et c’est en analysant ces ondes, à des niveaux d’énergie extrêmement bas, qu’il est possible de capter la présence d’un objet métallique, par exemple. Beaucoup plus discrète que les portiques à rayons X des aéroports, cette caméra nouvelle génération présente néanmoins l’inconvénient d’être onéreuse. Brijot Imaging Systems l’a mise sur le marché en mars au prix de 60 000 dollars [49 000 euros].
La sécurité n’a plus de prix. Surtout aux États-Unis où le département de la Sécurité intérieure a annoncé en 2004 qu’il était prêt à dépenser quelque 60 milliards de dollars en deux ans pour faire du pays une véritable forteresse. Depuis, les subventions aux entreprises privées ont afflué, les budgets alloués aux laboratoires de recherche des universités ont considérablement augmenté, et le gouvernement n’a pas hésité à acquérir des matériels coûteux, tels que le détecteur d’agent explosif mis au point par General Electric et Smiths Detection. Prix : 150 000 dollars.
En attendant la mise au point d’un capteur universel, capable de détecter et d’analyser les molécules chimiques et biologiques ainsi que les données biométriques – ce « tout-en-un » de la surveillance appartient encore à la science-fiction -, les autorités continuent de scruter les communications. Grâce à Échelon, le réseau mondial d’écoute mis en place par l’Agence de sécurité nationale américaine et par ses partenaires en Australie, au Royaume-Uni, au Canada et en Nouvelle-Zélande, tous les appels téléphoniques, courriels et autres sites Internet visités sont répertoriés. Le moindre document présentant des informations classées « terroristes » est ensuite traduit et analysé non plus par des ordinateurs mais par des hommes. Reste que ces informations, glanées par Échelon ou par d’autres « grandes oreilles », ne demeurent pas forcément strictement confidentielles. Des sociétés se sont spécialisées dans la collecte des données privées et, surtout, dans leur revente au prix fort. Aux États-Unis, ChoicePoint, un fournisseur privilégié du gouvernement, peut ainsi, grâce à des listes de réservations d’hôtel, de voitures, des retraits d’argent et divers autres achats, traquer les individus. Où que vous soyez, Big Brother vous regarde…

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