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L’ex-rébellion annonce qu’elle récuse la médiation sud-africaine, jugée trop favorable à Laurent Gbagbo. L’élection présidentielle du 30 octobre ? Une chimère… Que faire ?

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Un mot de travers, une phrase ambiguë peuvent faire basculer Abidjan dans la panique, et les Ivoiriens dans la terreur d’un dérapage incontrôlé. L’imbroglio politico-diplomatique créé par Aziz Pahad, vice-ministre sud-africain des Affaires étrangères, est à cet égard fort révélateur. Lors d’une conférence de presse à Pretoria, le 30 août, le numéro deux de la diplomatie sud-africaine a en effet annoncé la fin de la médiation de son pays en Côte d’Ivoire, sans autre forme de procès. Un pavé dans la mare ! Pourtant, Pahad connaît bien le dossier ivoirien pour l’avoir décortiqué avec le président Thabo Mbeki depuis le début de leur médiation, le 6 novembre 2004. Mais, comme d’autres avant lui, il s’est lassé des promesses déçues et des propos radicaux que la presse et certains représentants politiques tiennent chaque jour. En voulant annoncer que Pretoria avait conclu le dossier du processus politique préélectoral, sous forme d’un bilan qui devait être présenté le lendemain à New York devant le Conseil de sécurité, il s’est emballé, et a peut-être affirmé tout haut ce qu’il pense tout bas. Rapidement rattrapée par Pretoria, qui a assuré que l’Afrique du Sud poursuivait bel et bien sa médiation, la « gaffe » du ministre n’en révèle pas moins le climat de tension qui prévaut en Côte d’Ivoire. Et l’impasse dans laquelle Thabo Mbeki semble s’être engagé.
Accusé par les Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) de parti pris en faveur du président Laurent Gbagbo, depuis qu’il a affirmé que les lois promulguées le 15 juillet par le chef de l’État en vertu de l’article 48 de la Constitution étaient conformes aux accords de Pretoria I et II, Thabo Mbeki a perdu la confiance de Guillaume Soro. Et du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Alassane Dramane Ouattara (ADO) du RDR (Rassemblement des républicains) et Henri Konan Bédié du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) ont été fort surpris par les déclarations de Pahad, ainsi que par le bilan dressé par Mosiuoa Lekota, ministre sud-africain de la Défense, devant le Conseil de sécurité, le 31 août. À New York, les Sud-Africains ont estimé que le blocage du processus de paix était imputable aux rebelles et à l’opposition puisque le président Laurent Gbagbo, lui, a honoré les engagements pris à Pretoria, le 6 avril, puis le 29 juin. ADO et Bédié avaient pourtant reçu un tout autre son de cloche de la capitale sud-africaine.
Dans une lettre en date du 14 août, Mbeki leur écrivait, presque un mois après leurs réclamations sur les lois controversées : « Nous sommes d’accord que l’exclusion de certains Ivoiriens du processus politique est au coeur de la crise actuelle. Le rapport de la médiation établit ainsi que la loi qui exclut tous les mineurs nés de parents étrangers jusqu’en 1961 est caduque et qu’ils doivent bénéficier de la nationalité. » Le 20 août, Mbeki précisait même à Guillaume Soro que « les décrets nécessaires seront promulgués pour donner force légale aux observations » concernant la Commission électorale indépendante (CEI), les commissions locales et l’INS. Depuis, ces décrets destinés à lever les ambiguïtés des lois du 15 juillet n’ont toujours pas été promulgués par Gbagbo, et Mbeki reste étonnamment silencieux, laissant son entourage s’exprimer à sa place, parfois dans la confusion.
A-t-il été offusqué par les accusations de conflit d’intérêts portées à son encontre par l’opposition ? Il s’en défend en tout cas dans sa missive du 20 août à Guillaume Soro : « Certaines personnes pensent qu’au moyen de cette médiation le gouvernement sud-africain essaye de faire profiter de façon déloyale des compagnies sud-africaines des activités économiques en Côte d’Ivoire. Telle n’est absolument pas l’intention du gouvernement sud-africain. Les entreprises sud-africaines privées et publiques sont extrêmement actives dans le monde entier. »
Mbeki est-il vraiment passé « de l’autre côté », comme l’en accusent les FN ? Son panafricanisme ardent, son hostilité, qu’il partage avec le clan Gbagbo, à l’intervention de l’Occident en Afrique, l’amitié historique liant le Congrès national africain (ANC) et le Front populaire ivoirien (FPI) pourraient le laisser penser. L’habileté du chef de l’État ivoirien a également influencé l’opinion des leaders sud-africains : il a accepté que Ouattara se présente à l’élection présidentielle ; il a promulgué de nouvelles lois et a calmé le jeu dans les rues d’Abidjan. Évitant de mettre de l’huile sur le feu, Gbagbo a laissé les ex-rebelles, agacés par la tournure des événements, monter au créneau, et ce sont ces derniers, cette fois, qui ont rompu le pacte, d’abord en refusant de désarmer, ensuite en récusant officiellement le médiateur, le 31 août. Une chose est sûre : Mbeki a été véritablement poussé à bout par les déclarations agressives des FN à son égard. Goutte d’eau qui a fait déborder le vase : les accusations selon lesquelles Pretoria aurait vendu des armes au régime d’Abidjan, rumeurs qui ont couru au début d’août. À Soro, Mbeki assure que « ces allégations ne correspondent en rien à la vérité. Nous sommes prêts à recevoir toute information concrète que vous auriez à ce propos. Nous apporterons aussi à ce sujet des éclaircissements aux Nations unies ».
Au final, Mbeki n’a-t-il pas, tout simplement, pris du recul par rapport à cette médiation ? Dans les couloirs de l’Union Building de Pretoria, on reconnaît que le président sud-africain s’intéresse moins à la médiation ivoirienne, dans laquelle il a investi tellement de moyens et d’énergie de novembre 2004 à juin 2005. Confronté tour à tour au limogeage de son ancien vice-président Jacob Zuma, aux grèves qui ont secoué le pays en juillet, puis à la mort de John Garang ou encore aux élections au Burundi (deux pays où les médiations sud-africaines ont contribué à la paix), Mbeki se serait défaussé du dossier Côte d’Ivoire sur son ministre de la Défense, moins diplomate. La « gaffe » de Pahad ne serait alors qu’un lapsus révélateur : le président sud-africain transmettrait volontiers le relais de la médiation à une tierce partie. À Addis-Abeba et à Abuja, en tout cas, on penche vers cette hypothèse. Alpha Oumar Konaré a été pour le moins surpris par les déclarations de Pahad et de Lekota. Personne n’avait prévenu le président de la Commission de l’Union africaine (UA) que le médiateur désigné par l’institution jetait officieusement l’éponge. Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’UA, pourrait décider de reprendre en main la médiation. Les Nations unies ont pourtant renouvelé leur confiance à Mbeki, non sans rappeler que les sanctions individuelles de la résolution 1572 pouvaient être appliquées à tout moment. Mais, et c’est une première, l’ONU a exprimé un doute, par la voix de son haut représentant pour les élections, Antonio Monteiro, sur la possibilité d’organiser le scrutin présidentiel à la date prévue, le 30 octobre. En vérité, plus personne ne croit à cette échéance, sauf, en apparence, les Sud-Africains. Mais il reste à élaborer le scénario alternatif…
L’ONU, la France et Abidjan semblent favoriser un simple décalage de la date des élections. Gbagbo lui-même a déclaré, le 1er septembre, sur Onuci-FM : « La Constitution nous imposait de fixer les élections en octobre. Mais si on n’est pas prêt le 30 octobre, étant donné qu’on est en crise, on choisit une autre date, c’est tout. » L’opposition réclame une phase transitoire, éventuellement sous tutelle de l’ONU, en tout cas sans Gbagbo. D’autres (voir la contribution d’Albert Tévoédjrè, ancien représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, page 12) prônent l’application stricto sensu des accords de Marcoussis : un transfert réel des pouvoirs exécutifs au Premier ministre, Seydou Diarra. À charge pour lui seul, avec l’aide de l’ONU, d’organiser des élections auxquelles il ne prendra pas part. Gbagbo demeurerait président, une sorte de René Coty ivoirien dépourvu de fonctions exécutives, mais qui aurait tout le loisir de faire campagne.
Quoi qu’il en soit, la « bourde » de Pahad aura eu le mérite de souligner le besoin urgent de réfléchir à l’après-30 octobre. Si elle a fait doucement sourire dans certaines chancelleries, elle a une nouvelle fois montré qu’à force de palinodies et de valse-hésitation (un pas en avant, deux pas en arrière), la Côte d’Ivoire se retrouve, deux mois avant la date « théorique » de l’élection présidentielle, quasiment au même point qu’en novembre 2004.

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