Rendez-vous à Jo’burg

Au cur de l’économie sud-africaine, la ville mise sur les rencontres internationales.

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Jo’burg, Jozi, Egoli, la ville de l’or ou celle du crime… Johannesburg, capitale du Gauteng (prononcez « Raotengue »), de loin la province la plus riche d’Afrique du Sud, a autant de surnoms que de visages. Comme dans toute mégapole qui se respecte, on y trouve des banques, des bars, des cinémas, des théâtres, une place boursière, de la drogue, du crime, des parcs, des maisons cossues et des taudis insalubres, des hommes d’affaires et des femmes de ménage, des étudiants et des sans-abri. Mais à Johannesburg comme nulle part ailleurs sur le continent africain, la coexistence de deux mondes que tout oppose ne peut laisser le visiteur indifférent.
Les tour-opérateurs qui font venir en Afrique du Sud les touristes étrangers par dizaines de milliers depuis quelques années se gardent bien d’inscrire sur leur feuille de route une escale à Jo’burg, ne serait-ce que l’arrivée ou le départ via le très moderne aéroport international. Tous les circuits s’empressent de quitter la ville pour rejoindre la réserve du parc naturel Kruger et ses lions, ou les rivages de l’océan Indien au Cap. Les vigiles, concierges et maîtres d’hôtel ne manqueront pas de prévenir ceux qui restent une nuit à Jo’burg : « Si vous sortez faire un tour, c’est à vos risques et périls. » De la ville qui fêtera ses 140 ans en 2006, on ne connaît guère, en dehors des frontières sud-africaines, que le taux de criminalité et les ravages du sida. Sa mauvaise réputation est même colportée, voire amplifiée, par ses propres habitants. Dans les quartiers du nord de la ville, par exemple, les riches citadins restent enfermés derrière leurs hauts grillages, protégés par les employés d’entreprises privées qui font fortune à leur prodiguer protection et sécurité. Dans la plupart des cas, ces gens n’ont jamais mis les pieds dans les parcs publics environnants.
Certains d’entre eux, trop effrayés par l’image apocalyptique parfois dessinée de Jo’burg, préfèrent habiter à Pretoria, la capitale administrative, située à 60 kilomètres au nord, et doivent emprunter chaque jour l’autoroute N1 qui relie les deux plus grosses villes du pays. Signe du bien-être économique de ces Sud-Africains qui travaillent, les voitures sont rutilantes, climatisées et neuves. Signe de la croissance qui prévaut dans le pays depuis 1994, date de la fin de l’apartheid et de la naissance de la « nation Arc-en-Ciel » : la route est embouteillée le matin et le soir. Il faut parfois compter deux heures de trajet. Coincés dans le trafic, les automobilistes se prennent à rêver au « Gautrain », Arlésienne maintes fois promise et jamais réalisée. La liaison ferroviaire entre Johannesburg et Pretoria devrait enfin voir le jour d’ici à 2010. Un consortium qui regroupe les français RATP et Bouygues, le canadien Bombardier et des entreprises sud-africaines, a remporté l’appel d’offres. La construction de la ligne ferroviaire et des gares devrait débuter en 2006, tandis qu’à terme on mettra en place des bus qui assureront la liaison vers les stations à 10 kilomètres à la ronde.
Cette fois-ci, malgré la difficulté qu’il y aura à assurer la sécurité des passagers et des contrôleurs, on peut vraiment commencer à y croire. D’autant que, depuis le 15 mai 2004, le pays se dirige vers une nouvelle échéance : la Coupe du monde de football en 2010. En lui accordant le privilège d’organiser l’un des événements sportifs les plus populaires au monde, la Fédération internationale de football association (Fifa) a fait définitivement entrer l’Afrique du Sud dans la cour des grands. Elle devient le premier pays africain à recevoir les millions de spectateurs et les non moins nombreux revenus attendus de l’événement. Dix ans seulement après avoir intégré le concert des nations. Malgré le défi, Johannesburg ne devrait pas être pris au dépourvu par cet afflux soudain de visiteurs. En 2002 déjà, elle accueillait le sommet mondial du développement durable des Nations unies (WSSD), aussi nommé Sommet de la Terre : 18 000 participants et plus de cent chefs d’État. Le monde entier découvrait alors le centre international de conférences de Sandton, où se tiendra du 25 au 29 septembre le 18e Congrès mondial du pétrole (WPC), organisé lui aussi pour la première fois en Afrique. Vaste et ultramoderne, le Sandton Convention Center (SCC) n’a pas à rougir de la comparaison avec nombre de complexes similaires dans les pays riches.
Johannesburg est, il est vrai, le poumon économique du pays. De grandes entreprises et des banques solides sont cotées sur sa place boursière, le JSE (Johannesburg Stock Exchange), de loin la plus grande place financière du continent. Certes, les ressources minières, qui en font le premier producteur mondial d’or, de manganèse et de platine, restent essentielles dans le pays. Certes, les infrastructures sont excellentes : 60 000 kilomètres de routes, le premier parc automobile du continent, 12 millions d’abonnés au téléphone portable. Mais c’est désormais du secteur tertiaire, notamment des services, que proviennent les deux tiers (66 %) du PIB sud-africain. Le Gauteng, plus petite province, rassemble presque 9 millions d’habitants sur 17 000 km2 et produit 34 % de la richesse nationale. Autrefois puissante grâce à ses mines d’or, la région a su attirer les investisseurs étrangers et les grandes entreprises de télécommunications. Symboles du Black Economic Empowerment (BEE – la politique de discrimination positive), les propriétés luxueuses et bien gardées de Johannesburg ne sont plus habitées seulement par des Blancs. À l’inverse, ceux-ci sont bien rares à loger dans les habitations de fortune des townships entourant la métropole. Les plus curieux – ou hardis – des participants au Sommet de la Terre avaient pu constater avec stupeur le contraste entre la richesse du centre d’affaires et l’insalubrité du township d’Alexandra, situé à quelques encablures de Sandton.
C’est justement à cette pauvreté que les tour-opérateurs veulent échapper pour ne pas avoir à répondre à la question : où sont les « libertés » que la fin de l’apartheid promettait aux Sud-Africains noirs ? Celles que Nelson Mandela appelait de ses voeux lors de son premier discours à la nation, en 1994, en demandant à son gouvernement et à ceux qui lui succéderaient de créer une « société centrée sur le peuple, libérée du besoin, de la faim, de la dépravation, de l’ignorance, des confiscations et de la peur »… En 2004, environ 40 % de la population sud-africaine vit encore en dessous du seuil de pauvreté. Dans le palmarès du développement humain dressé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), l’Afrique du Sud est passé du 90e rang en 1994 au 111e en 2001. Le chômage, loin de se résorber, culmine à 40 % de la population active. Chez les Noirs, il atteignait presque 50 % en 2002, tandis que les Blancs connaissaient un taux de 10 % seulement. Les jeunes, encore plus touchés (75 % de chômage chez les 16-24 ans), se réfugient dans le secteur informel, dans le meilleur des cas, ou dans la criminalité. Certains quartiers des townships, où vivent plusieurs millions de personnes, offrent un environnement insalubre et dangereux. La moitié des foyers n’ont pas accès à l’eau potable, 30 % n’ont pas d’électricité. Et contrairement à la paranoïa développée dans les quartiers riches et par les Blancs, les principales victimes des violences sont bien les Noirs, ceux qui souffraient déjà de l’oppression étatique et policière sous l’apartheid.
Des signes porteurs d’espoir apparaissent pourtant dans les townships de Jo’burg et de la région. De nouveaux lieux d’habitation voient le jour, accessibles aux classes moyennes. À Soweto, les quartiers de Meadowland ou d’Orlando Ouest ressemblent à de petites banlieues cossues. Des panneaux indiquent dorénavant le nom des rues, des malls garnis de boutiques à la mode ont été construits et l’on croise dans la rue des BMW flambant neuves. L’ancien ghetto, autrefois symbole de la lutte contre l’apartheid, est en passe de devenir celui de la nouvelle Afrique du Sud. Une question d’image fondamentale. Dans le petit paradis ultramoderne de Melrose Arch, construit il y a deux ans à Johannesburg, on croit dur comme fer à une Afrique du Sud qui serait le premier pays à avoir réussi le pari du multiculturalisme. « Ready, Jet Set, Go », le slogan s’affiche sur les murs gigantesques qui délimitent l’enceinte de ce nouvel endroit à la mode, où les jeunes cadres dynamiques se retrouvent le soir. Blancs, Métis et Noirs dînent au restaurant Mojo, dansent au Kilimandjaro. Tous mangent une cuisine africaine, assaisonnée à la sauce européenne, dans un endroit dont le style et le mobilier concurrencent les endroits les plus branchés de Paris ou New York. Pour sentir le dynamisme qui vibre alors, pour voir la foi en l’avenir qui brille dans les yeux de ces jeunes nouveaux-riches, il faut aller à Johannesburg.

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