Rabat reprend le fil

Arrivée de nouveaux investisseurs, accès préférentiel aux marchés américain et euro-méditerranéens, plan de relance ambitieux… Les Marocains ne manquent pas d’atouts pour faire face à la déferlante chinoise.

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 4 minutes.

« Je ne m’inquiète pas pour l’avenir ! » Karim Tazi, président de l’Association marocaine de l’industrie du textile et de l’habillement (Amith), affiche un optimisme pour le moins discordant au moment où la planète tout entière tremble face à la déferlante de vêtements chinois sur les marchés internationaux. Un raz-de-marée qui, naturellement, atteint aussi les côtes du royaume, où le secteur textile a enregistré la fermeture d’une trentaine d’entreprises et la perte de 15 000 emplois depuis la disparition des quotas d’exportation sur le textile, le 1er janvier 2005. Le démantèlement de l’accord multifibre, instauré en 1974, a entièrement libéralisé le marché, qui ne répond plus qu’au seul diktat de l’offre et de la demande. La loi du « moins cher » régente désormais les échanges de marchandises. À ce jeu, les Chinois sont imbattables : ils offrent le meilleur rapport qualité/prix et peuvent répondre à des commandes colossales. Le salaire d’une ouvrière de la confection au Maroc est d’environ 200 euros par mois, contre 20 ou 25 euros en Chine. Un écart insurmontable pour les entreprises chérifiennes, qui ne peuvent plus être compétitives sur certains secteurs d’activité, comme la bonneterie. Les exportations marocaines de vêtements ont reculé de 12,9 % sur les six premiers mois de l’année 2005 : 8,401 milliards de dirhams (DH), soit 766,2 millions d’euros, contre 9,648 milliards l’année dernière. Pour le seul mois de juin, cette activité a accusé une baisse de 10,1 % par rapport à la même période en 2004.
Le groupe britannique Dewhirst s’apprête à quitter le Maroc, où il était installé depuis 1996, pour rejoindre la Chine. Présente sur sept sites de production, l’entreprise employait 10 000 personnes. Elle avait choisi le royaume en raison de sa proximité avec l’Europe, d’où elle importait toute sa matière première. Mais les arguments asiatiques auront eu raison de cette stratégie. Kindy, Nike et Puma ont également annoncé leur souhait de rejoindre l’empire du Milieu. « Nous payons actuellement notre incapacité à engager les réformes au moment opportun, affirme Tazi. Mais je suis certain que nous allons reconquérir des parts de marché dans les années à venir. » À preuve : la firme américaine Fruit of the Loom a signé, en mai, une convention d’investissement d’environ 1,4 milliard de dirhams (plus de 160 millions de dollars) pour la création d’une unité de filature, de tissage et de teinture pour la confection des tee-shirts, sweat-shirts et autres joggings à Skhirat, à 25 km au sud de Rabat. Elle devrait aussi étendre son activité de confection dans son unité de Bouknadel (région de Rabat). Un investissement qui devrait permettre la création à court terme de quelque 1 150 emplois. Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, les groupes espagnol Tavex et italien Legler ont annoncé le lancement de deux industries de production du tissu Denim, matière première entrant dans la fabrication des jeans. Ils souhaitent faire du Maroc une plate-forme d’exportation vers l’Europe et les États-Unis. Le royaume entend bien tirer profit de l’accord de libre-échange signé avec Washington, qui comprend une baisse de 35 % des droits de douane américains sur toutes les importations de textile. Rabat mise également, comme ses voisins méditerranéens et européens, sur le processus de Barcelone, qui a pour objectif la création d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne. Le 21 juillet 2004, lors d’une rencontre des ministres du Commerce de la zone, à Istanbul, en Turquie, ce processus d’intégration s’est accéléré. Sur proposition de la Tunisie, les pays participants ont accepté d’autoriser le cumul préférentiel d’origine entre les pays de la zone qui ont paraphé des accords bilatéraux de libre-échange, comme celui qui lie la Turquie au Maroc. Concrètement, cette décision signifie que les confectionneurs marocains peuvent désormais fabriquer des vêtements à partir de tissus turcs et les exporter vers l’Union européenne (UE) sans payer de droits de douane.
Un certain nombre de contraintes restent toutefois à lever pour favoriser le développement des entreprises textiles marocaines, qui emploient environ 200 000 salariés. Karim Tazi a énuméré une série de goulets d’étranglement lors de l’assemblée générale de l’Amith, qui s’est tenue le 14 juillet à Casablanca. Il a, entre autres, mentionné la faiblesse de l’offre locale en intrants (matières premières, fournitures et accessoires), les imposantes charges salariales et l’inadaptation de l’environnement administratif, fiscal et douanier face aux nouvelles exigences du commerce international. Son message a semble-t-il porté puisque les autorités ont signé son plan de relance du secteur. Ce document, qui devrait entrer en application d’ici à la fin de l’année, prévoit des mécanismes de financement relookés pour les opérateurs. Dans le cadre de l’accès au Fonds national de mise à niveau (Foman) des entreprises, la part de contributions des sociétés se limitera à 10 % au lieu de 20 % auparavant. Un fonds de restructuration sera également mis en place pour aider les entreprises à faire face à leurs dettes. Le montant des prêts sera plafonné à 20 millions de DH, accessibles à des taux compris entre 5,3 % et 6,8 %. D’autres mesures devraient suivre en 2006. Et Karim Tazi de conclure : « Pour regagner les emplois perdus à moyen terme, nous devons nous inspirer de l’expérience des fabricants de textile du Sentier à Paris, qui ont abandonné la confection de gros pour faire de la mode et du réassort [NDLR : commande de produits en rupture de stock] leurs coeurs de métier. »

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