Locales au Sénégal : qui s’emparera de Ziguinchor ?
La capitale de la Basse-Casamance est très convoitée. Parmi les candidats aux élections du 23 janvier, trois hommes tiennent la corde : le sortant Abdoulaye Baldé, Benoît Sambou, investi par Macky Sall, et l’opposant Ousmane Sonko. Chacun y joue son avenir politique.
Locales au Sénégal : les enjeux du scrutin
Ce sont certes des locales qui se tiennent au Sénégal le 23 janvier 2022 mais, pour la majorité comme pour l’opposition, leurs enjeux n’en sont pas moins nationaux. Reportages, analyses, interviews… Retrouvez tous nos articles sur le sujet.
Pour le meilleur ou pour le pire, Ousmane Sonko sait toujours faire parler de lui. Fin décembre, à quelques jours du début officiel de la campagne pour les élections locales, le président du parti Pastef dévoilait l’une de ses propositions pour sa région d’origine : la mise en place d’une monnaie locale complémentaire, indexée sur le F CFA, censée faciliter les échanges commerciaux.
Ousmane Sonko n’entend pas supprimer le F CFA à brève échéance – il aspire à une sortie progressive et ne s’en cache pas – ni faire de la Casamance une région à part, mais sa proposition a été vivement critiquée et assimilée à une provocation. Une de plus, diront les détracteurs de l’opposant.
Un fils de Casamance évoque une ambition pour sa région, et l’opinion le taxe de rebelle
L’ancien député de la majorité Moustapha Diakhaté a ainsi évoqué une « ineptie indépendantiste monétaire ». Réponse de Djibril Sonko, le coordinateur de Pastef dans le département (qui n’est pas un parent direct du député) : « Il suffit qu’un fils de Casamance évoque une ambition pour sa région pour que l’opinion le taxe d’irrédentiste ou de rebelle. » Djibril Sonko évoque la « stigmatisation » et la « violence gratuite » dont est, selon lui, victime l’opposant. « La Casamance subit une situation difficile, certes, mais cette monnaie locale n’a pas pour objet de l’isoler du reste du pays. L’idée est simplement de développer les échanges et le commerce entre les acteurs économiques de la zone. »
Cette situation difficile, c’est le conflit larvé qui oppose depuis près de quarante ans les séparatistes du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) et l’État du Sénégal. D’ailleurs, en mars 2021, lorsque le pays s’embrase à la suite de l’arrestation d’Ousmane Sonko, accusé de viol, il est aussitôt soupçonné d’avoir recruté des rebelles du MFDC pour participer aux émeutes. Et dans la région, à Bignona notamment, le bilan des débordements sera particulièrement lourd – au moins quatre morts.
Préparer 2024
Populaire dans sa région d’origine, Ousmane Sonko a été désigné tête de liste de sa coalition Yewwi Askan Wi pour Ziguinchor. Et il n’a pas le droit à l’erreur : pour son parti, ces élections seront le premier scrutin local – le dernier remonte à 2014, année de création de sa formation politique. Le jeune inspecteur des impôts était alors inconnu du grand public.
Pour Sonko, les enjeux sont énormes. 2024 se prépare aujourd’hui
Cette fois-ci, c’est fort du statut de principal opposant à Macky Sall qu’il entend récupérer Ziguinchor. Arrivé troisième à la présidentielle derrière Idrissa Seck, depuis rallié à la majorité, l’opposant avait réalisé une percée fulgurante en Casamance, où il avait obtenu 57,25 % des voix.
Une victoire dans la capitale régionale marquerait une consolidation de son statut et lui ouvrirait un peu plus la voie vers la présidentielle de 2024. « Les enjeux sont énormes, reconnaît Djibril Sonko. Il lui faut montrer que Ziguinchor est bien son fief, mais aussi parvenir à remporter le maximum de collectivités locales avec la coalition. 2024 se prépare aujourd’hui. »
Juste après le lancement de la campagne, Ousmane Sonko a quitté Ziguinchor pour sillonner la Casamance – Sédhiou, Bignona – avant de se rendre dans le nord du pays pour prêter main forte aux candidats de sa coalition. À plus de 400 km au nord, à Dakar, il espère bien voir son allié Barthélémy Dias remporter lui aussi la victoire. Pour le chef de l’État, le revers serait cuisant.
Dans quelques jours, il devrait dévoiler l’intégralité de son programme. Il entend mettre l’accent sur la mise en place d’une économie sociale et solidaire, l’amélioration du cadre de vie des populations, une refonte fiscale de la municipalité, le sport, l’éducation et la santé… Ce programme, il l’a nommé Burok (travail, en diola). Le ton est donné.
Majorité divisée et joyeux bazar
Face à lui, deux adversaires jouent, eux aussi, leur avenir politique. Le premier est le maire sortant, Abdoulaye Baldé, qui a rallié la majorité en 2019. À la tête de la ville depuis 2009, cet ex-ministre d’Abdoulaye Wade a claqué la porte de la coalition présidentielle à la fin de 2021 lorsque Macky Sall lui a refusé l’investiture pour les locales. Aujourd’hui, il ne cache pas son amertume.
« La coalition BBY avait décidé de reconduire tous les maires en poste. Mais sous la pression de son parti à Ziguinchor, Macky Sall a décidé de ne pas appliquer cette règle », peste-t-il. Une injustice qui l’a poussé à monter sa propre coalition, l’Union des centristes du Sénégal (UCS), dans laquelle on retrouve un peu de tout : des mouvements de la société civile, des responsables de l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse et de Rewmi, le parti d’Idrissa Seck… Et même quelques membres de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall. Parmi eux, Doudou Ka, un temps pressenti pour être investi par la coalition présidentielle.
Un joyeux bazar qui n’a rien de nouveau de ce côté-ci du fleuve Gambie. Depuis longtemps, la majorité présidentielle est divisée à Ziguinchor. En sa qualité de maire sortant, Baldé espérait être préféré aux notables locaux du parti présidentiel que sont Doudou Ka, le directeur général de l’aéroport de Dakar, Seydou Sané, son premier adjoint, ou encore l’ancien ministre Benoît Sambou. C’est ce dernier qui a finalement été investi par Macky Sall.
Des cartes rebattues en 2019
Candidat en 2014, Benoît Sambou était pourtant sorti perdant du scrutin. Aujourd’hui, il assure avoir « tiré les leçons de [sa] défaite ». « Il faut se rendre à l’évidence : les jeunes n’ont pas voté en notre faveur », analyse-t-il, citant la crise économique et le manque d’emploi qui touchent la zone. « Les jeunes ne votent pas, ils sanctionnent », ajoute-t-il, avant de proposer des pistes de solution pour relancer l’activité économique. Ancien ministre de l’Emploi et de la Jeunesse, il évoque la mise en place d’un fonds d’investissement pour mobiliser les capitaux privés et des programmes d’agriculture urbaine ou de transformation des produits horticoles.
Il se dit confiant face à la menace que représentent à la fois Ousmane Sonko, dont la percée de 2019 est venue bousculer les équilibres locaux, et Abdoulaye Baldé, qui l’a battu aux dernières élections communales. Et tant pis si ce dernier est soutenu par des membres de son propre parti, l’APR : « J’avais prévu qu’il y aurait du sabotage », glisse-t-il.
Benoît Sambou sait qu’il a derrière lui toute la machine de la coalition présidentielle et compte bien capitaliser sur les projets réalisés par l’État dans la région. « La Casamance était à l’agonie avant l’arrivée de Macky Sall, défend l’ancien ministre. Sans ces investissements, qui sont des gages de paix, on serait encore en train de ramasser nos morts. »
Si Abdoulaye Baldé dresse un constat amer de son compagnonnage avec Macky Sall – « Mon parti ne s’est jamais retrouvé dans cette alliance », assure-t-il aujourd’hui – il mentionne cependant un aspect bénéfique de son passage dans la majorité : « Cela m’a permis de drainer beaucoup d’investissements dans ma commune, de financer des projets d’éclairage public, de voirie ou d’assainissement. » Un bilan « insuffisant » selon ses adversaires. « Bien sûr, il a quelques réalisations à son actif, reconnaît Djibril Sonko. Mais en douze ans de mandat, on est en droit d’en attendre beaucoup plus d’un maire. »
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