Offensive sur l’Afrique

Même les plus regardants des groupes pétroliers multiplient les forages sur le continent, qui devient un partenaire énergétique incontournable des pays grands consommateurs. Les États subsahariens récoltent les fruits de leur volonté d’ouverture.

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 8 minutes.

La baisse escomptée à la fin de l’année dernière n’a pas eu lieu. Le prix du baril de pétrole continue à s’envoler, enchaînant les nouveaux records. Fin août, le brut de référence américain WTI a franchi la barre des 70 dollars, également frôlée par le Brent britannique de la mer du Nord, soit une hausse de 60 % par rapport à l’année dernière. Principales raisons invoquées par les spéculateurs pour cette nouvelle poussée de fièvre : les incertitudes sur la politique pétrolière de l’Arabie saoudite, premier producteur mondial d’or noir, à la suite du décès du roi Fahd et les tensions provoquées par la reprise du programme nucléaire civil en Iran, deuxième fournisseur de la planète. Sans oublier les craintes de difficultés d’approvisionnement aux États-Unis après le passage de l’ouragan Katrina, l’un des plus dévastateurs jamais connus par les Américains. Il a entraîné l’arrêt de 80 % de la production de pétrole dans le golfe du Mexique. Enfin, l’arrivée de l’hiver dans l’hémisphère Nord conduit les pays consommateurs à constituer des stocks pour assurer leurs besoins en chauffage.
L’aube du XXIe siècle a sonné le glas d’une époque où le pétrole était abondant et bon marché. Dans le contexte actuel d’augmentation rapide de la consommation, qui a été multipliée par trois depuis la fin 2004, la production peine à suivre. Ce décalage entre l’offre et la demande est le principal responsable de l’envolée des cours de l’or noir. D’autant plus que cet accroissement, dont le tiers provient des besoins de plus en plus importants de l’économie chinoise, a été mal anticipé tant par les spécialistes que par le marché. Pour l’instant, la catastrophe a été évitée. De justesse, puisque depuis plusieurs mois l’industrie pétrolière fonctionne à 99 % de sa capacité. Aujourd’hui, les experts s’accordent donc au moins sur un point : le maintien de prix élevés à court et moyen terme. La banque d’affaires américaine Goldman Sachs, qui vient de revoir ses prévisions à la hausse, table désormais sur un baril à 60 dollars en moyenne dans les cinq années à venir. De son côté, le Fonds monétaire international (FMI) n’exclut pas le chiffre de 100 dollars dans une décennie. Et certains économistes vont beaucoup plus loin… 200, 300 voire 400 dollars pour les plus pessimistes. Une aubaine pour les pays producteurs et pour les multinationales, soulagés de voir l’or noir sortir de la sphère des 20 dollars autour de laquelle il évoluait entre 1986 et 1998.
Ces cours élevés vont-ils pour autant déboucher sur la vague d’investissements nécessaires pour augmenter les capacités de production ? À première vue, les producteurs devraient se laisser tenter, lorsque l’on sait que le prix de revient d’un baril se situe entre 5 et 15 dollars. Mais, pour l’instant, « les compagnies internationales n’investissent pas massivement. Elles ne veulent pas prendre de risques, car nombre d’entre elles ont beaucoup perdu lors des baisses soudaines des années 1990 », explique Jean-Pierre Favennec, directeur du Centre économie et gestion de l’École du pétrole et des moteurs, affiliée à l’Institut français du pétrole (IFP). L’Agence internationale de l’énergie (EIA) estime cependant que 100 milliards de dollars devront être injectés annuellement dans l’industrie pétrolière jusqu’en 2020 pour satisfaire la hausse de la demande, qui devrait atteindre 107 millions de barils par jour d’ici à quinze ans, contre 84 millions aujourd’hui. Une bonne nouvelle pour certains pays du continent africain, dont les réserves en or noir attirent désormais toutes les convoitises.
D’après les prévisions des renseignements généraux américains, le National Intelligence Council, les États-Unis comptent importer 25 % de leur pétrole d’Afrique subsaharienne en 2015, contre 15 % actuellement. Dans le même temps, le premier consommateur d’or noir de la planète s’est engagé à investir 10 milliards de dollars par an sur le continent. « Sécuriser les approvisionnements extérieurs est devenu un enjeu géopolitique, voire militaire majeur, en particulier pour les États-Unis et la Chine », estime le Crédit agricole, première banque française, dans sa dernière note de perspective. Avec 10 % des réserves avérées de la planète et près de 11 % de la production mondiale, réparties à peu près équitablement entre les pays du Maghreb et du sud du Sahara, l’Afrique est devenue un partenaire énergétique incontournable des gros consommateurs. D’autant plus que la production de pétrole ne date que du milieu des années 1950 et que, de l’avis de nombreux experts, l’Afrique serait loin d’avoir révélé tout son potentiel. L’extraction y est désormais supérieure à celles de la Russie et des États-Unis, dont la production décline depuis plusieurs décennies.
Les campagnes d’exploration, qui fleurissent onshore et surtout offshore, ne cessent de mettre au jour de nouveaux gisements. La Mauritanie et São Tomé e Príncipe s’apprêtent à rejoindre les rangs des pays producteurs. Le Mali et le Niger pourraient suivre la même voie. Conséquence : l’Afrique de l’Ouest est la région du monde où la production a le plus augmenté ces cinq dernières années. Une tendance qui devrait se confirmer grâce à l’exploitation de nouveaux gisements en eaux profondes et très profondes du golfe de Guinée. Leur rentabilité semble assurée par le maintien de prix élevés et par les avancées technologiques. Le très influent groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies (CSIS) évalue en effet à 90 % la probabilité que la production de la région passe de 4 millions à 5,5 millions de barils par jour d’ici à 2009, soit une croissance de 37,5 %.
« L’Afrique n’est pas un nouveau Moyen-Orient, mais plutôt une nouvelle mer du Nord. Ce qui n’est déjà pas mal ! » affirme Jean-Pierre Favennec. En d’autres termes, le pétrole africain, de même que le Brent de la mer du Nord, provient de différentes zones de production. Et d’ajouter que l’or noir africain bénéficie de nombreux atouts : sa qualité, sa situation et surtout la politique d’ouverture aux investissements étrangers et de partage de la manne pétrolière menée par la plupart des États subsahariens. Même si les prétentions des géants angolais et surtout nigérian sont plus élevées que celles des petits États producteurs. La région du golfe de Guinée est aujourd’hui, avec la mer Caspienne, au centre de la nouvelle géopolitique pétrolière et de la stratégie de développement des majors. Shell, Total et Chevron y réalisent respectivement 15 %, 30 % et 35 % de leurs activités d’exploration et de production. ExxonMobil, historiquement moins bien introduite dans la région, mais néanmoins très présente au Nigeria, investit fortement dans les forages offshore en Angola et en Guinée équatoriale. Mais l’exploration de gisements onshore reste encore négligée. L’instabilité politique et les troubles réguliers font craindre des problèmes de sécurité et provoquent des réticences à investir rapidement, analysent les économistes de l’Agence française de développement (AFD). Pour tenter de résoudre ce problème, le Pentagone a parrainé en avril dernier, au Nigeria, un séminaire consacré aux différentes manières de sécuriser les gisements africains.
Les majors sont loin d’être les seules à renforcer leur présence sur le continent. De nombreuses petites sociétés tentent également de se positionner sur ce marché prometteur. En relançant l’activité sur des champs délaissés par les grandes ou en s’attaquant à des zones vierges, dans des pays comme le Sénégal ou le Ghana. Une stratégie risquée, mais potentiellement très rentable en raison de la flambée des prix de l’or noir. Ce n’est pas la junior française Maurel & Prom qui dira le contraire : son chiffre d’affaires s’est littéralement envolé grâce à ses investissements dans l’exploration-production au Congo en 1999 : + 175 %, à 138,6 millions d’euros en 2004, + 212 % sur le seul premier semestre 2005 pour atteindre 125,8 millions d’euros ! Société de transport maritime créée au XIXe siècle, Maurel & Prom a opéré récemment un virage stratégique. Elle dispose de contrats de partage de production avec la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) qui lui permettent d’espérer une production de 30 000 barils par jour d’ici à la fin de l’année.
Croissance des besoins énergétiques oblige, des sociétés asiatiques, coréennes, chinoises, indiennes mais également malaisiennes, s’intéressent d’encore plus près au pétrole africain. Pour combler leur retard sur leurs homologues occidentales, elles mènent une politique agressive tant en Afrique de l’Ouest que du Nord. Particulièrement au Soudan, où elles sont implantées depuis plusieurs années, contrairement aux pétroliers européens et américains qui avaient dû se résoudre à quitter ce pays dans les années 1980 et 1990 lorsque la guerre faisait rage au Sud. Depuis la signature de l’accord de paix en janvier 2005, l’industrie pétrolière est en plein boom. La production journalière du Soudan, dont les réserves pourraient s’élever à plusieurs milliards de barils, devrait atteindre 500 000 barils à la fin de l’année, 750 000 fin 2006 et plus de 1 million l’année suivante. La Chine a prévu d’investir 8 milliards de dollars dans l’exploration d’ici à 2007. Et l’Inde est invitée à en faire autant. Quant à la Malaisie, sa société Petronas, qui a réalisé en 2004 le quart de son chiffre d’affaires sur le continent, devrait assurer la construction d’une raffinerie à Port-Soudan.
Du côté du gaz, dont la demande mondiale devrait augmenter de 60 % entre 2002 et 2020, les perspectives se situent essentiellement en Afrique du Nord et au Nigeria. En Algérie, bien sûr, deuxième exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), qui pourrait satisfaire 50 % des besoins européens en 2020 contre 10 % en 2002. Mais également en Libye, considérée par les experts comme l’une des principales sources à développer, avec l’Asie centrale.
Reste à connaître les conséquences de ce nouveau boom énergétique sur le développement économique du continent. Pour l’instant, à en croire l’exemple du Nigeria ou de la Guinée équatoriale, l’or noir semble s’apparenter à une malédiction. L’utilisation des revenus pétroliers suscite des interrogations croissantes au sein des institutions financières internationales, tout comme de la part de plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), qui réclament davantage de transparence. Aussi bien du côté des États producteurs que des multinationales. Le cas du Tchad, dont les recettes pétrolières sont placées sur un compte à Londres pour garantir leur redistribution aux populations locales, pourrait faire école. L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (EITI), proposée par le Premier ministre Britannique Tony Blair en 2002 à Johannesburg, pourrait permettre de sortir de l’opacité en révélant la part de la manne touchée par les uns et les autres. Si elle aboutit… Puisque, sans grande surprise, personne ne semble se précipiter pour l’adopter !

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