Moubarak for ever

Le président sortant sera triomphalement réélu le 7 septembre, à l’issue d’un scrutin qui n’aura de démocratique que l’apparence. Qu’importe, puisque le protecteur américain s’en contentera !

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Le 7 septembre, 32 millions d’électeurs égyptiens – sur une population totale de 72 millions d’habitants – seront invités à élire leur président pour les six prochaines années. Combien d’entre eux prendront le chemin des bureaux de vote ? Difficile à dire. Le scrutin diffère, au moins dans sa forme, de tous ceux qui l’ont précédé. Cette fois, il ne s’agira pas de faire élire un candidat unique par les deux chambres du Parlement, puis de faire entériner ce choix par un référendum populaire, mais de départager dix candidats au suffrage universel direct.
Parmi eux, bien sûr, le président sortant, Hosni Moubarak, 77 ans dont vingt-quatre au pouvoir, soutenu par le Parti nationaliste démocratique (PND). Ses adversaires les plus sérieux sont Noaman Gomaa, 70 ans, du Néo-Wafd, et Ayman Nour, 41 ans, d’Al-Ghad (Demain). Les sept autres ne feront que de la figuration tant les partis qu’ils représentent sont minoritaires. Cela ne les empêche pas de sillonner le pays avec conviction depuis le 17 août, date du lancement de la campagne. Ils n’ont d’ailleurs pas lésiné sur les moyens : affichage urbain, meetings populaires, bains de foule, spots télévisés, échanges de noms d’oiseau, etc.
Les électeurs, qui assistent pour la première fois à une campagne présidentielle véritablement pluraliste et contradictoire, semblent apprécier l’évolution. Certains espèrent même qu’elle aboutira, à terme, sinon à un bouleversement du paysage politique, du moins à un développement des pratiques démocratiques dans un pays qui en est depuis bien longtemps privé. Pour eux, ce scrutin présidentiel new-look ne sera qu’une sorte de répétition générale avant les élections législatives du mois de novembre, dont ils attendent des changements plus substantiels.
Candidats, militants, représentants des pouvoirs publics, journalistes ou membres des ONG, tout le monde joue le jeu, fait comme si l’enjeu était réel ou feint de croire que l’affaire est loin d’être entendue. Même si, naturellement, personne ne se fait la moindre illusion quant à l’issue du scrutin. Car en dépit des apparences, les conditions d’une compétition électorale digne de ce nom ne sont pas réunies. Pis : tout semble avoir été mis en place pour assurer au sortant une réélection triomphale, face à de faux adversaires – ou à de vrais comparses – qui lui servent, dans le meilleur des cas, d’alibis démocratiques. Grâce à la puissante machine électorale du PND et à ses méthodes désormais bien rodées – un redoutable mélange de clientélisme, de matraquage médiatique et d’intimidation policière -, la victoire de Moubarak dès le premier tour semble, en effet, déjà acquise.
D’où le sentiment mitigé d’un grand nombre d’Égyptiens, qui semblent déterminés à aller voter, mais souhaiteraient éviter de cautionner du même coup une consultation qui n’offre aucune garantie de transparence. D’autant que, dans ce pays habitué aux fraudes électorales massives, le refus d’autoriser un contrôle des opérations de vote par des experts étrangers – ou indépendants – n’est pas pour les rassurer sur les intentions des autorités. « L’Égypte n’étant pas un territoire sous mandat [de puissances étrangères], pourquoi devrait-elle accepter que des observateurs étrangers supervisent son élection présidentielle ? » a lancé Oussama al-Baz, le conseiller politique du président, lors d’un rassemblement à Alexandrie, le 13 août.
Selon la Commission électorale désignée par Moubarak (celle-ci s’est déjà signalée par plusieurs décisions d’une franche partialité), treize mille juges égyptiens seront appelés à superviser le déroulement du scrutin. Ces derniers n’auront sûrement pas été choisis parmi les éléments les plus hostiles au candidat du PND ! Surtout que le puissant Club des magistrats, qui regroupe quelque huit mille juges indépendants, a annoncé au mois de juillet qu’à défaut de garanties quant à la transparence des opérations de vote il boycotterait l’élection. Ces garanties, il les attend toujours…
En l’absence d’observateurs étrangers et, selon toute vraisemblance, de superviseurs locaux indépendants, quelque vingt-deux ONG égyptiennes, parmi lesquelles le Groupe pour le développement démocratique (GDD), l’Organisation égyptienne des droits de l’homme (OEDH) et le Centre Ibn-Khaldoun d’études sociologique et politique, que dirige l’universitaire égypto-américain Saâd-Eddine Ibrahim – éphémère candidat à la présidence -, se sont organisées pour mettre en place un dispositif indépendant d’observation du scrutin. Et elles ne se privent pas de dénoncer le fait que l’amendement constitutionnel censé instaurer le pluralisme des candidatures ait en réalité abouti à exclure les candidats indépendants.
Les ONG ont eu beau recevoir des États-Unis une aide de 250 000 dollars, leur dispositif n’a pas été autorisé par la Commission électorale. Ce qui signifie que leurs cinq cents militants ne pourront être présents à l’intérieur des bureaux de vote et devront se contenter de prendre place à l’extérieur. En espérant que les forces de l’ordre ou une poignée de baltagia (« voyous ») dûment rémunérés ne les empêcheront pas de s’acquitter de leur tâche.
Voici pour l’ambiance, mais quid des forces en présence ? Jouant à fond le rôle du candidat soucieux de convaincre ses électeurs, Moubarak a multiplié les déplacements à l’intérieur du pays, cherchant à apparaître comme un leader proche de son peuple. Cette mise en scène a été conçue par de jeunes communicateurs choisis par Gamal, son fils, qui préside le comité politique du PND.
Évitant de faire la moindre allusion à ses rivaux, le président sortant prend soin lors de chacun de ses meetings de marteler son programme pour les six années à venir : création de 4 millions d’emplois nouveaux ; lutte contre le chômage, qui touche officiellement 10 % de la population active (en réalité, 20 %) ; doublement des salaires des petits fonctionnaires (qui ne dépassent guère actuellement 30 euros par mois, en moyenne) ; construction de cinq cent mille nouveaux logements ; abrogation de l’état d’urgence en vigueur depuis 1981…
Ce programme « pharaonique » fait sourire les compatriotes de Moubarak. « Pourquoi ne l’a-t-il pas lancé plus tôt ? Et ne risque-t-il pas de l’oublier aussitôt la comédie électorale terminée ? » entend-on de tous côtés. Ils sont convaincus que le raïs sera réélu sans problème, mais pas parce qu’il serait très aimé des Égyptiens, comme le répètent à l’envi ses thuriféraires, mais parce qu’il s’est prémuni contre toute mauvaise surprise !
Alternant menaces et promesses, Moubarak est en effet parvenu à diviser ses opposants en trois grands « clans ». D’abord, les partisans du boycottage, qu’ils soient nassériens, marxistes membres du Tagammou (Rassemblement) ou partisans du mouvement Kefaya (« Ça suffit »). Ensuite, les Frères musulmans, qui ont appelé à voter, mais sans cautionner aucun des candidats de l’opposition, se contentant de conseiller à leurs adeptes de « ne pas soutenir un oppresseur » et de « ne pas coopérer avec un corrompu ou un tyran ». Allusion transparente au raïs ? Bien sûr… Enfin, les partisans d’Ayman Nour et Noaman Gomaa.
Ces derniers espèrent attirer le vote protestataire mais risquent bien d’être déçus. Surtout si les candidats dits « de décor » parviennent à acheter un certain nombre de voix, selon une coutume bien ancrée sur les rives du Nil, afin d’accroître la représentation parlementaire de leurs fantomatiques formations. Ils disposent pour cela des subventions généreusement allouées par les pouvoirs publics.
Une telle dispersion des voix ferait évidemment l’affaire de Moubarak, dont la base électorale se recrute dans toutes les couches de la société : paysans, classe moyenne, milieu d’affaires (ou plutôt d’affairistes), islamistes modérés, coptes… Pour faire bonne figure démocratique et complaire à ses protecteurs américains, qui ne cessent de l’exhorter à montrer l’exemple au reste de la région, aura-t-il la « sagesse » de se contenter d’un taux de participation moyen (entre 55 % et 60 %) et d’un score qu’on puisse faire semblant de juger crédible (disons, entre 52 % et 55 %) ?

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