L’Inde, sixième puissance nucléaire

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le Premier ministre indien Manmohan Singh a été reçu fin juillet à la Maison Blanche, en grande pompe, avec tous les honneurs réservés aux hôtes de marque. Cet accueil chaleureux aurait pu à lui seul retenir l’attention : il n’y a pas si longtemps, considérés comme des alliés de Moscou et surtout comme d’incorrigibles anti-Américains, les dirigeants indiens – en particulier ceux issus comme Singh du Parti du Congrès créé par le chantre du combat anti-impérialiste Nehru – étaient tout simplement, sauf cas particulier, persona non grata à Washington. D’autant plus que les États-Unis avaient décidé depuis les années 1980 de faire du grand rival de New-Delhi, la Chine, désormais engagée dans la voie du capitalisme et de la Realpolitik, un allié privilégié.
Mais le voyage de Manmohan Singh pourrait bien marquer une date mémorable pour une raison plus précise. George W. Bush, en effet, a accepté de négocier puis de signer à cette occasion un accord de coopération avec le chef du gouvernement indien dans le domaine du nucléaire. Certes, il s’agit seulement, en théorie, de permettre un accès plus facile de New-Delhi aux technologies de production d’électricité dans des centrales civiles. Mais en pratique, et personne ne s’y est trompé, le président américain vient surtout par là d’accueillir l’Inde dans le club totalement fermé des grandes puissances nucléaires – États-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine. Le traité de non-prolifération dont les « cinq » sont les garants interdit en effet normalement toute exportation de technologie nucléaire, même civile, vers un pays qui a refusé d’en accepter les règles et, plus encore, ce qui est le cas de l’Inde, de le signer.
Cet adoubement de l’Inde comme une puissance nucléaire « présentable » suscite, on s’en doute, un vif débat. Et d’abord aux États-Unis mêmes. Car il pourrait porter un coup sévère sinon mortel au traité de non-prolifération dont l’objectif était de limiter à jamais le nombre des pays admis à posséder « légalement » un arsenal nucléaire et de décourager tous les autres prétendants, notamment en imposant des sanctions aux contrevenants. Pourra-t-on, désormais, continuer à faire respecter par d’autres des règles que l’on n’impose plus à l’Inde ? Comment réagiront ceux qui ont déjà franchi le pas du nucléaire militaire (Pakistan, Israël voire… la Corée du Nord) ou qui en ont la capacité (Afrique du Sud, Brésil, Japon, Corée du Sud, etc.) ? Ne va-t-on pas relancer le débat sur la légitimité du monopole que se sont attribué de facto les « cinq » ? Voilà pourquoi la ratification par les parlementaires américains de l’accord signé par Bush, bien qu’il comporte des clauses supposant une réduction des programmes de développement d’armes par l’Inde, ne sera pas aisé.
Pour l’Inde, en tout cas, il ne fait aucun doute que la négociation de cet accord, quoi qu’il advienne par la suite, représente un grand succès. À plusieurs points de vue. D’abord, évidemment, sur le plan militaire, puisqu’il ne sera sans doute plus jamais question de parler, même à titre d’hypothèse improbable, d’un renoncement du pays à la possession d’armes nucléaires. Mais aussi parce que Washington vient de confirmer le nouveau statut de « grande puissance » respectée d’une Inde à laquelle depuis quelques années tout réussit – un boom économique sans précédent, une percée diplomatique spectaculaire, une baisse de la tension au Cachemire, etc.
Bénéficiant en outre de son image de plus grande démocratie du monde, l’Union indienne apparaît de plus en plus comme un poids lourd de l’Asie qui n’a rien à envier au mastodonte chinois. C’est d’ailleurs sans aucun doute la volonté de Washington de signifier à Pékin que le face-à-face est terminé et qu’il existe un concurrent dans sa région qui explique pour une bonne part le développement de liens étroits et amicaux avec son rival. Il s’agit là d’une décision stratégique à un moment où il devient de plus en plus nécessaire et difficile de « contenir » une Chine déterminée à redevenir véritablement l’empire du Milieu. Quitte à prendre quelques risques quant à la sécurité de la planète ?

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