Les limites de la « liste noire »

La publication des noms de compagnies interdites semble davantage destinée à rassurer les passagers qu’à rendre le ciel plus sûr…

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Tragique loi des séries ou brutale dégradation de la sécurité aérienne ? Quoi qu’il en soit, les cinq crashs survenus coup sur coup depuis le début du mois d’août ont fait 334 morts. De quoi susciter de nombreuses interrogations quant à la qualité des opérations d’entretien des appareils et le sérieux de certaines compagnies. Avec un total de 840 décès, l’année 2005 compte déjà plus de victimes en huit mois que pour l’ensemble de l’année précédente, observe le Bureau d’archives des accidents aéronautiques (BAAA) de Genève. Selon une étude menée sur dix ans par cet organisme, les vols charters ont 17 fois plus d’accidents que ceux assurés sur des lignes régulières.
L’accumulation de ces catastrophes aériennes souligne aussi le contexte économique plutôt agité. Sur fond de mondialisation et de « libéralisation du ciel », les opérateurs se livrent une bataille acharnée depuis l’apparition des compagnies à bas prix, les low-cost. La course à la rentabilité est-elle compatible avec l’exigence de sécurité ? Non, répondent la majorité des associations de pilotes. Plus mesurés, les organisations internationales et les États multiplient les initiatives pour tenter de concilier l’inconciliable. Les « listes noires » divulguées par la France et la Belgique sont censées aller dans ce sens. Simple poudre aux yeux pour rassurer des passagers inquiets ou réelle volonté de rendre le ciel plus sûr ?
Des compagnies interdites déjà absentes du ciel de l’Hexagone. Le gouvernement français a voulu faire preuve de transparence. Depuis lundi 29 août, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) diffuse sur Internet « la liste des compagnies interdites sur le territoire français ». Bel effort, mais à y regarder de plus près, il faut relativiser l’ampleur et les effets de la mesure. Seules cinq compagnies sont bannies des aéroports français, mais la décision remontait à plusieurs mois pour la plupart d’entre elles. Air Koryo (Corée du Nord) interdite en 2001, n’a entrepris depuis aucune démarche auprès des autorités françaises. Air Saint-Thomas (États-Unis) desservait jusqu’en mars 2004 les Antilles. International Air Service (Liberia) a subi un contrôle désastreux en avril de la même année. Air Mozambique (LAM, décembre 2004) reliait Mayotte et la Réunion. L’interdiction a été étendue au transporteur Transairways, affrété par LAM. Phuket Airlines (Thaïlande) a dû cesser ses liaisons en juin 2005. La DGAC indique que cette liste sanctionne notamment une « non-conformité aux normes internationales ». Dans ce cas, comment expliquer l’absence sur cette liste des compagnies mises en cause lors des derniers accidents ? « Cette liste noire est peut-être un leurre pour rassurer les passagers », déclare Stéphane Durand, secrétaire national du Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien (SNCTA). « Nous avons voulu montrer la voie et sensibiliser les agences de voyages », répond Paris. L’argument paraît mince. À terme, la France plaide aussi pour la mise en place d’un « label bleu » européen, déjà annoncé après la catastrophe de Charm el-Cheikh, en Égypte (148 morts en janvier 2004), mais cette proposition ne fait pas l’unanimité. De son côté, la Belgique écarte 9 compagnies « actives dans les vols cargos » : Africa Lines (République centrafricaine), Air Memphis (Égypte), Air Van Airlines (Arménie), Central Air Express (République démocratique du Congo), ICTTPW (Libye), International Air Tours Limited (Nigeria), Johnsons Air Limited (Ghana), Silverback Cargo Freighters (Rwanda) et South Airlines (Ukraine).
Laborieuse harmonisation internationale. L’initiative française constitue « un bon pas vers une liste européenne des compagnies douteuses », se réjouit le commissaire européen aux Transports, le Français Jacques Barrot, qui demande l’établissement de « critères communs ». C’est encore loin d’être le cas. En Italie, lorsqu’une compagnie ne répond pas aux normes de sécurité, elle ne vole pas. Mais dans la « liste blanche » italienne figurent Phoenix Aviation (Kirghizistan) et Phuket Airlines (Thaïlande), pourtant refusées au Royaume-Uni. De la même manière, les aéroports britanniques sont interdits à Air Mauritanie alors que Cameroon Airlines (Camair) est de nouveau autorisée. Londres refuse par ailleurs le survol de tout appareil affrété par une compagnie originaire de six pays jugés peu fiables : RDC, Guinée équatoriale, Liberia, Sierra Leone, Swaziland et Tadjikistan. Une disposition jugée très efficace mais qui pour l’instant n’est pas retenue dans les négociations internationales. Autre exemple de cafouillage : au moment de la catastrophe de Charm el-Cheikh, Flash Airlines était interdite en Suisse mais pas en France. Quant à la société charter turque, Onur Air, refoulée en mai dernier aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse et en France, elle avait été accueillie en Belgique. Aux États-Unis, curieusement, les autorités de l’aviation civile américaine (FAA) n’examinent pas concrètement le niveau de sécurité des compagnies mais mettent à l’index, depuis 1992, les pays dont la « conformité est insuffisante » avec les normes édictées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci). Il s’agit notamment de l’Argentine, de la Bulgarie, de la Côte d’Ivoire, de la RDC, du Nicaragua, du Zimbabwe, du Paraguay et du Venezuela.
Vers des contrôles renforcés ? « On oriente les contrôles vers les compagnies susceptibles de présenter des difficultés », c’est-à-dire les vols charters ou low-cost de préférence, explique le responsable des inspecteurs à la DGAC, Frédéric Le Puil. « On commence par un tour de l’avion, pour en observer l’état général, repérer des fuites de carburant ou du système hydraulique. On vérifie l’état des pneus et les témoins d’usure des freins. Puis le cockpit avec, notamment, la vérification des autorisations et la préparation du vol. Des contrôles fiables, mais dans la limite de ce qui est contrôlé », conclut-il. « Si l’on veut jouer la transparence, il faut faire parler les avions et ne pas se contenter des examens documentaires », estime pour sa part Antoine Hayem, commandant de bord et animateur d’Eurocockpit, site Internet consacré à l’aviation civile (www.eurocockpit.com). « Un simple ordinateur branché sur les prises adéquates » donnerait, selon lui, une vision instantanée des paramètres d’exploitation et pointerait les défaillances des appareils. Encore faudrait-il que de tels contrôles soient appliqués, de manière identique, au niveau international. Or la très prudente Oaci est uniquement chargée d’établir des normes minimales de sécurité. À charge ensuite, pour les 188 États membres de les faire appliquer. L’organisation des Nations unies reconnaît cependant que 30 pays sur les 111 audités présentent des carences, mais a longtemps refusé de divulguer ce genre d’informations. Afin de ne pas froisser les susceptibilités ? Il a fallu attendre juillet 2004 et la publication d’un rapport parlementaire français pour prendre connaissance de cette liste*. Les députés et sénateurs évoquent même des « pavillons de complaisance » dans certains cas. L’Oaci s’est engagée depuis à mettre en oeuvre un système d’alerte pour plus de transparence.

*Albanie, Belize, Biélorussie, Birmanie, Botswana, Burkina Faso, Cambodge, Cameroun, Chypre, Croatie, Ghana, Guyana, Hongrie, Kenya, Laos, Macédoine, Mali, Mongolie, Mozambique, Portugal, Niger, Ouganda, Palau, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Russie, Samoa, Sénégal, Togo, Tonga et Vanuatu.

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