Du dirigisme à la dictature

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Dans La Route de la servitude, publiée en 1944, l’économiste Friedrich Hayek explique que le dirigisme conduit à l’incompétence massive et aux longues files d’attente devant des magasins vides. La crise économique conduit à réclamer alors davantage de dirigisme. Mais l’interventionnisme est incompatible avec la liberté. La centralisation de la prise de décision au niveau économique s’accompagne de la centralisation du pouvoir politique. Lorsque, au bout du compte, l’échec du dirigisme devient patent, les régimes totalitaires réduisent les dissidents au silence – parfois par des meurtres massifs.
Entre 1999 et 2003, l’activité économique du Zimbabwe a reculé de plus de 30 %. L’année dernière, 80 % de la population active était au chômage, et le revenu par habitant était inférieur à celui de 1980 – l’année où Robert Mugabe est arrivé au pouvoir. L’espérance de vie est tombée de 56 ans en 1985 à 33 ans en 2003. L’inflation, après avoir augmenté de 500 % en 2004, est encore à trois chiffres. Les investissements directs étrangers (IDE) et le tourisme ont dégringolé. En janvier, plus de la moitié de la population du pays avait besoin d’une aide alimentaire d’urgence ; 3 à 4 millions de Zimbabwéens sur 13 millions ont quitté le pays.
Comment en est-on arrivé là ? En 2000, Mugabe a donné le feu vert à ses partisans pour s’emparer des exploitations agricoles, dont un grand nombre était détenu par des Zimbabwéens blancs. Le droit à la propriété privée de ces fermiers a été abrogé, et l’État a redistribué les terres confisquées à des petits producteurs traditionnels – dont beaucoup n’ont aucune expérience en agriculture. La production a dégringolé.
Le secteur bancaire, pour qui les terres constituaient un nantissement, s’est retrouvé dans l’impossibilité de recouvrer ses créances et a donc limité ses nouveaux prêts. L’industrie, qui reposait sur la transformation des produits agricoles, a fait faillite. À cause de la baisse de sa production nationale, le Zimbabwe a été privé d’un apport de devises étrangères et n’a pas pu importer de nourriture. La famine s’ensuivit.
La réponse du chef de l’État fut de truquer les élections et de resserrer l’emprise du gouvernement sur l’économie par le contrôle des prix, dont la plupart – y compris ceux du pain et du gaz – ont été revus à la baisse. Cela a créé une pénurie et favorisé le marché noir. Une part plus importante de l’économie étant devenue souterraine, les recettes fiscales se sont taries et les caisses de l’État, vidées.
C’est en partie parce que le marché noir s’est développé que le président Mugabe a décidé de lancer, en mai, l’opération « Murambatsvina » (littéralement « chasser les ordures »). Les forces de sécurité ont arrêté plus de 20 000 revendeurs et détruit leurs stands. Elles ont entièrement rasé les bidonvilles où les autorités ne pouvaient exercer de contrôle sur le commerce parallèle, laissant quelque 700 000 personnes sans abri. Les évêques catholiques du pays ont tiré la sonnette d’alarme : « Tous les ingrédients sont réunis pour un génocide ; nous sommes face à une tragédie d’une ampleur sans précédent. » Les faits semblent leur donner raison. Selon le ministre Didymus Mutasa, « le Zimbabwe s’en sortirait mieux avec une population limitée à 6 millions de personnes, constituée seulement des gens de notre race qui soutiennent la lutte de libération ». Les autres sont évidemment bons pour l’expulsion.
Comme l’affirmait Hayek, l’atteinte initiale à la propriété privée a conduit à intervenir dans l’économie et, parallèlement, à tuer la liberté politique au Zimbabwe. Si Mugabe persiste dans la même voie que les autres dictateurs socialistes, alors on peut craindre que le pays ne sombre dans une débauche de violence.

* Directrice adjointe du projet sur la Liberté économique globale à l’institut Cato de Washington.

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