Du Cap à Johannesburg, le paradis des « lesbigays »

Une seule pièce manque au dispositif juridique sud-africain pour que l’égalité entre hétéros et homos soit totale : le mariage, encore refusé aux seconds.

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Dans les jardins du centre culturel de l’Artscape au Cap, le 18 décembre 2004, les 10 000 convives de la soirée Jungle Fever, déguisés en oiseaux de paradis, en papillons ou en zèbres, ont célébré, comme chaque année depuis onze ans, la culture queer africaine. Gay friendly, la ville du Cap, et plus généralement l’Afrique du Sud, peuvent en effet se targuer de posséder la législation la plus avancée de tout le continent dans la défense des droits des homosexuels.
Aujourd’hui, une seule pièce manque au dispositif pour que l’égalité juridique entre hétéros et homos soit totale : le mariage, dont les seconds sont encore privés. Pour le reste, l’Afrique du Sud est incontestablement devenue un pays d’avant-garde. Sur le continent et même au-delà.
La Constitution de 1996 ne souffre pas le doute : l’article 9 sur l’égalité (un pilier de la nation Arc-en-Ciel) garantit la non-discrimination sur des critères de race, de religion, d’âge, de langue, de croyance, d’origine sociale, de sexe, mais aussi d’orientation sexuelle. Depuis 1995, 35 points de la législation ont été modifiés dans un sens plus favorable aux homosexuels.
Et, comme si cela ne suffisait pas, l’Afrique du Sud a même instauré, dans sa loi de 1998 sur les réfugiés, le droit des gays et lesbiennes persécutés dans leur pays à demander l’asile sur le territoire sud-africain. En 2004, Pretoria a ainsi accueilli une dizaine d’homosexuels africains qui fuyaient des régimes homophobes.
De plus en plus, les homosexuels revendiquent leur mode de vie et, peu à peu, les mentalités évoluent. La nouvelle Afrique du Sud offre désormais un festival annuel de cinéma gay et lesbien au Cap, des Gay Prides dans les plus grandes villes du pays (la 16e du nom aura lieu à Johannesburg du 17 au 24 septembre), des magazines (Exit ou Outright, entre autres), des bars et des boîtes de nuit (qui existaient déjà sous l’apartheid) où la mode gay s’affirme, avec tee-shirts moulants et jeans serrés. Un centre d’archives sur l’histoire et les enjeux de la communauté homosexuelle a vu le jour à l’université de Witwatersrand. Les romans décrivant la société ne font plus l’impasse sur le sujet (comme dans Fruit amer d’Achmat Dangor, un proche de Mandela). La télé n’est pas en reste : dans la série populaire Yizo Yizo, diffusée sur SABC 1, les Sud-Africains ont pu assister à des scènes de sexe entre deux hommes noirs, tandis que Isidingo (sur SABC 3) met en scène un personnage gay.
Le 30 novembre 2004, le pays a encore gravi une marche supplémentaire vers l’égalité au moment même où le débat sur le mariage homosexuel divisait les Américains. La Cour suprême de Johannesburg a rendu son jugement en faveur de deux lesbiennes qui contestaient l’interdiction de leur mariage civil par le ministère de l’Intérieur. Par ce verdict, la plus haute juridiction sud-africaine a estimé que la loi de 1961 définissant limitativement l’union civile comme une relation établie « entre un homme et une femme » était anticonstitutionnelle et a réclamé sa révision. Évidemment, la pilule ne sera pas facile à faire passer. Déjà plusieurs Églises ont demandé au président Thabo Mbeki d’organiser un référendum sur cette question, soutenant que le mariage homo irait à l’encontre des principes de la Bible.
Mais les homosexuels, eux, réclament avec force que cette égalité qu’on leur a accordée de facto devienne une égalité de jure. Plusieurs jugements ont déjà conféré à un couple de lesbiennes l’autorité parentale sur un enfant, et l’adoption est autorisée pour les couples gays. En 2003, par exemple, dans l’affaire « J. & B. », une lesbienne s’était fait extraire un ovaire fécondé pour l’inséminer dans l’utérus de sa partenaire, qui a porté l’enfant. La première a été définie comme la « mère », et la seconde comme le « parent » de l’enfant…
Il n’empêche. Les « lesbigays » sud-africains déplorent souvent qu’un fossé sépare encore une législation très libérale de la réalité. « Certes, il y a des clubs gays, mais ils sont surtout fréquentés par des hommes blancs, explique Fikile Vilakazi, responsable de l’information au Lesbian and Gay Equality Project. En tant que lesbienne noire, je ne m’y sens pas forcément plus à l’aise qu’ailleurs. » De fait, en Afrique du Sud, la cause gay a d’abord été portée par les Blancs. Et par les riches : l’entrée est payante aux Gay Prides de Jo’burg ou du Cap.
Au cours de ces dernières années, un contre-mouvement s’est toutefois développé : la Gay Black Pride ou la Black After Party sont désormais ouvertes à tous. « Aujourd’hui, vous trouvez des garçons qui s’habillent ouvertement gay à Soweto », assure Sebastian Matroos, du Centre d’études sur le sida de l’université de Pretoria. La « théorie » qui voudrait que l’homosexualité ait été importée d’Europe ou d’Amérique a fait long feu. Et Fikile Vilakazi de citer en exemple l’histoire des reines Modjadji, assises encore aujourd’hui sur le trône des Lobedu, peuple matriarcal du Limpopo (dans le nord du pays). La « Rain Queen » – célèbre pour son pouvoir de faire pleuvoir dans cette région aride – n’a pas le droit de se marier à un homme, mais peut en revanche avoir plusieurs épouses.
Récemment, un documentaire a fait le tour de la communauté gay : Everything Must Come to Light raconte l’histoire des sangomas (ou doctoresses traditionnelles) de Soweto qui revendiquent leur homosexualité et veulent montrer que celle-ci n’est pas incompatible avec le respect des traditions africaines. Gog’ Lindi, l’une d’entre elles, affirme : « Tout doit apparaître au grand jour, maintenant. Ces secrets ne servent à rien. Les choses doivent être révélées. »
En effet, les campagnes d’information sur l’homosexualité sont encore trop rares. Dans les documents diffusés par le ministère de la Santé sur la question du sida, les références aux risques particuliers que courraient les gays et les lesbiennes ont été retirées avant publication. « Aujourd’hui, en Afrique du Sud, on a l’impression que le sida ne touche que les femmes et les enfants, regrette Sebastian Matroos. Un jeune homme gay ne se sentira pas concerné par ces campagnes d’information. C’est très dangereux. »

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