Drame de l’insalubrité ordinaire

En quatre mois, trois incendies d’immeubles vétustes tuent 48 personnes, majoritairement d’origine subsaharienne. Faut-il y voir un lien de causalité ?

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

L’hôtel Paris-Opéra d’abord, le 15 avril, l’immeuble du boulevard Vincent-Auriol ensuite, dans la nuit du 25 au 26 août, puis celui du centre historique du Marais, trois jours plus tard. En quatre mois, 48 personnes ont péri dans les flammes. Toutes vivaient dans des bâtiments délabrés situés dans des quartiers résidentiels de la capitale française. Malveillance ou accident ? L’enquête est toujours en cours.
Outre le fait de vivre dans un taudis, les victimes de ces incendies avaient un autre point commun : elles venaient dans leur quasi-totalité d’Afrique subsaharienne. La plupart des habitants de l’hôtel Paris-Opéra, dans le 9e arrondissement, étaient candidats à l’asile politique. Celles qui résidaient dans l’immeuble du boulevard Vincent-Auriol, dans le 13e arrondissement, de nationalité française, attendaient leur relogement, parfois depuis plus d’une décennie. Mais l’état de leur habitat ne les dispensait pas d’un loyer mensuel compris entre 500 et 900 euros. Le prix obligé pour vivre dans un appartement trop petit et vétuste. Les douze familles ivoiriennes du Marais, quant à elles, se trouvaient pour la majorité d’entre elles en situation irrégulière et squattaient depuis près de six ans l’immeuble délabré de la rue du Roi-Doré dans le 3e arrondissement.
Toutes attendaient en tout cas des collectivités locales et des services sociaux une sortie rapide de cette situation de précarité. Ni eau courante ni gaz, branchements électriques illicites et dangereux, murs lézardés, escaliers en bois… Pour aggraver encore cette dangerosité, le fait que les femmes cuisinaient dans les chambres au milieu des matelas entassés et des rats : « Cette décrépitude favorise la propagation du feu. Tout brûle alors très vite », indique un sapeur-pompier.
Certes, les Africains ne sont pas les seuls à connaître des situations aussi critiques. Pour Benoîte Bureau de l’association Droit au logement (DAL), près de la moitié des 102 748 personnes en attente de logement social à Paris vivraient aujourd’hui dans des « conditions déplorables ». Parmi elles, ce sont les immigrés, notamment ceux originaires d’Afrique subsaharienne, qui sont les moins bien lotis. « Ces familles ont des revenus particulièrement bas, elles sont aussi plus nombreuses que les autres et souffrent davantage de la discrimination raciale », explique la militante. Des raisons « objectives », selon Benoîte Bureau, qui n’exonèrent pas l’État et les collectivités. « Ces trois incendies ne doivent pas soulever la question de l’immigration mais plutôt mettre en lumière le manque de volonté politique des pouvoirs publics en matière de logement », poursuit-elle.
Pour les associations, le parc HLM de Paris ne suffit pas. Les 150 000 appartements existants sont tous occupés. De plus, il n’y en aurait pas d’assez grands pour accueillir les familles nombreuses. Il existe également une inégalité dans l’accès au logement social. « Aujourd’hui, les ménages pauvres se retrouvent en concurrence avec les ménages des classes moyennes qui n’arrivent plus à suivre la hausse des loyers parisiens », explique le DAL. Et à revenu égal, les familles africaines, dont les enfants peuvent être français, ont moins de chances que les autres de voir aboutir leur requête du fait de leur mode de vie. En 2001, une étude de l’Insee a révélé que les demandes émanant d’immigrés mettaient jusqu’à deux fois plus de temps à être honorées. En situation régulière ou pas, même disposant de revenus, ces familles se retrouvent confrontées à la même alternative : quitter « la patrie des droits de l’homme » ou s’accommoder de conditions de vie dignes d’un autre âge.
Ces difficultés de logement spécifiques sont connues depuis longtemps. Déjà en 1991, des familles africaines s’étaient révoltées contre cette situation en occupant l’esplanade du Quai de la Gare puis celle de Vincennes. À l’époque, le gouvernement socialiste avait promis « de veiller à [leur] relogement définitif dans un délai maximum de trois ans ». L’État avait effectivement réquisitionné un immeuble : celui du boulevard Vincent-Auriol qui prit feu le 25 août en tuant 17 Africains, dont 14 enfants…
« Loger 130 personnes, c’est possible, mais lorsqu’elles se répartissent en seulement 10 familles, cela devient ingérable », a déploré au lendemain de l’incendie du 26 août le maire du 13e arrondissement, Serge Blisko. Autrement dit, la France ne parvient pas à intégrer la famille élargie africaine, pilier central du mode de vie traditionnel de ces populations. « Dans les années 1980-1990, beaucoup de migrants économiques originaires du Mali ou du Sénégal tentent de faire venir leur famille en France. Or le durcissement des lois sur le regroupement familial et sur la polygamie conduit nombre d’entre eux à se mettre en situation irrégulière en accueillant malgré tout épouse, coépouses et enfants », explique l’anthropologue Jacques Barou. Du coup, ces familles, trop nombreuses aux yeux des bailleurs sociaux qui craignent une suroccupation, se retrouvent dans l’obligation d’aménager dans des bâtiments vétustes, souvent délabrés, parfois insalubres. Et même des squats, faute de mieux. « Les traditions africaines de l’hospitalité et de la solidarité aggravent les conditions de vie de ces populations qui n’hésitent pas à héberger des parents à la rue ou des proches venus tenter leur chance en France », continue le chercheur du CNRS. Ce qui les distingue des familles d’origine maghrébine, installées depuis plus longtemps en France. « Ces dernières répondent davantage aux normes françaises : délestées du poids des traditions, avec un taux de fécondité moins élevé », note Jacques Barou. Quant aux Chinois, également nombreux dans la capitale, ils arrivent en France déjà pourvus d’un emploi – illégal. Il s’agit alors de célibataires des deux sexes, logés par leur « employeur » et surtout bien contrôlés par le réseau de passeurs qui organisent les voyages. « Même si leurs conditions de vie sont tout aussi désastreuses, ils se font plus discrets », explique l’anthropologue.
Reste que le phénomène du « mal-logement » des personnes d’origine étrangère s’amplifie en raison du nombre croissant de demandeurs d’asile. « À l’heure où l’Europe se transforme en forteresse, il devient de plus en plus difficile pour ces réfugiés qui invoquent l’asile politique de répondre précisément aux critères de la Convention de Genève qui régit ce statut. En 2004, 55 000 candidats ont ainsi été déboutés. Et la moitié des demandeurs d’asile enregistrés en France au cours de ces dix dernières années viennent d’Afrique », s’inquiète Jacques Barou. La procédure peut prendre plusieurs années. En attendant que l’administration statue sur leur sort, ces étrangers sont logés dans des centres d’accueil ou des hôtels du type de celui qui a brûlé en avril.
Des drames prévisibles et qui pourraient bien se multiplier. D’autant que Paris compte un millier d’immeubles « malsains » où s’entassent des familles entières. Le maire de la capitale, Bertrand Delanoë, s’est engagé dès 2001 à investir 152 millions d’euros sur six ans pour éradiquer l’habitat insalubre et créer 3 500 logements sociaux par an. Un effort qui a permis, selon les services de l’Hôtel de Ville, de financer 15 000 logements sociaux mais reste manifestement insuffisant. Ira-t-on jusqu’à réquisitionner les quelque 140 000 logements vacant dans la capitale ? En principe, la loi le permet depuis 1945…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires