Tunisie : après 100 jours à la tête du gouvernement, quel bilan pour Najla Bouden ?
Première femme à diriger un gouvernement arabe, Najla Bouden était attendue au tournant. Mais elle aura surtout brillé par sa discrétion et une communication minimale.
Désignée cheffe du gouvernement le 11 octobre 2021 par le président Kaïs Saïed, Najla Bouden vient de boucler la fameuse étape des cent jours. Un premier palier de mandat qui, traditionnellement, fait l’objet de bilans et d’analyses. Mais Najla Bouden échappe au rituel : les réalisations effectuées paraissent trop minces pour en tirer des enseignements. Surtout, la cheffe du gouvernement évolue à l’ombre d’un président qui monopolise la prise de décision.
La première femme nommée cheffe d’un gouvernement arabe a bénéficié d’un préjugé favorable lors de sa désignation. Son parcours d’universitaire, loin des arcanes économiques et politiques, est alors considéré comme un atout, l’opinion attendant d’elle qu’elle donne une impulsion positive à l’exécutif.
Une perception que ne partage pas la politologue Khadija Mohsen Finan, qui considère que « sa nomination a valeur de faire-valoir pour démentir tous ceux qui mettaient en avant le conservatisme de Kaïs Saïed. Sa marge de manœuvre est extrêmement étroite et l’aurait été de la même manière si c’était un homme ».
26 % de taux de satisfaction
Cent jours plus tard, les chiffres parlent d’eux-mêmes : fin décembre 2021, selon un baromètre politique d’Emrhod Consulting, seuls 26 % de Tunisiens se disent satisfaits du rendement de Najla Bouden et 58 % n’ont pas d’avis. C’est dire la perplexité que provoque la locataire de la Kasbah.
À sa décharge, elle a été nommée, ainsi que son équipe, dans le cadre de l’organisation provisoire des pouvoirs prévue par le décret 117 du 22 septembre 2021. « Le président a tout recentré autour de sa personne. Chef du gouvernement en Tunisie n’est plus qu’un titre vide de toute prérogative », estime ainsi une ancienne députée qui s’indigne du fait que Najla Bouden ne ne soit jamais adressée aux Tunisiens et se contente de produire des circulaires en guise de réponse aux sollicitations des médias.
À l’actif de Najla Bouden, une loi de Finances 2022… très contestée
Si certains se satisfont du symbole que constitue une femme cheffe d’un gouvernement arabe, l’ONG « Aswat Nissa » (Voix de femmes) juge, dans un rapport présenté le 22 décembre, que Najla Bouden n’a pas œuvré à réduire les inégalités entre les sexes.
« Il est hâtif d’évaluer sa prestation parce qu’elle va être jugée en tant que femme, d’autant qu’elle est la première à ce poste », tempère l’avocate et militante féministe Yosra Frawes. Mais cette ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) n’en regrette pas moins que Najla Bouden endosse un rôle traditionnel.
« Elle opère dans la diplomatie de la même manière que les femmes animent la vie sociale de la famille. Face aux étrangers, elle fait dans la convivialité et les mondanités sans réalisations effectives. Najla Bouden est dans le stéréotype et reproduit des schémas de domination dans les politiques publiques. Ses visites aux seniors ou aux orphelins s’inscrivent dans ce registre et relèvent davantage des bonnes œuvres que d’une politique sociale. »
Aura symbolique
Najla Bouden a pourtant à son actif une loi de finances 2022… très contestée. « Il aurait été judicieux qu’à l’occasion de la loi de Finances, elle prenne la parole pour éclairer sur les réformes, les orientations et sa vision de l’État, mais elle est aussi muette que son gouvernement. C’est dommage, on attendait autre chose d’elle que de la figuration », déplore Rim Mahjoub, vice-présidente du parti Afek Tounes, qui s’inquiète de l’absence de débats et de la conduite des négociations avec le FMI.
À ce propos, Yosra Frawes relève qu’à la faveur d’un éventuel accord avec le FMI qui aura des conséquences sur le rôle régulateur et social de l’état, « Najla Bouden entrerait dans l’histoire en assurant une mission habituellement attribuée aux hommes. Mais faute d’une sensibilisation au genre, elle crée une situation paradoxale, puisque les premières à subir l’impact des décisions prises en matière économique et sociale sont les femmes les plus vulnérables et les jeunes. »
En somme, celle qui n’a jamais évoqué l’inégalité entre les sexes ou les violences faites aux femmes semble peu sensible à ces questions. Cela lui est d’autant plus reproché qu’elle a bénéficié de l’aura symbolique que lui confère son statut de « première femme à la tête d’un gouvernement dans le monde arabe ».
« Elle doit consulter le président avant d’engager la moindre négociation avec les syndicats », relève Khadija Mohsen Finan, qui note une « régression de la démocratie et du rôle de la femme dans la vie publique » et déplore que « les Tunisiens se contentent de noter qu’elle s’est rendue en Arabie saoudite sans porter le voile au moment où l’essentiel est ailleurs » – la dégradation économique et sociale du pays.
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