Boucs émissaires sur le Nil

En réprimant l’homosexualité, le pouvoir égyptien a trouvé un moyen de détourner l’opinion de questions autrement plus pressantes.

Publié le 5 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

En Égypte, l’homosexualité n’est pas considérée comme un délit. Ce qui n’empêche pas la justice de ce pays de poursuivre les homosexuels. À cet usage, elle a recours aux articles 9 et 14 d’une loi de 1961 relative à la débauche et à la prostitution, qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Pendant des lustres, le tabou de l’homosexualité a été unanimement respecté. Les procès se sont déroulés (presque) en secret et les médias ont évité d’en rendre compte. Jusqu’au 11 mai 2001. Ce jour-là, 55 Égyptiens ont été arrêtés au Queen Boat, un bateau-discothèque du Caire connu pour être un lieu de rencontre des gays. Puis poursuivis pour « appartenance à une secte blasphémant l’islam » et « pratique de la sodomie », ce qui leur a valu d’être déférés devant la Haute Cour de sûreté de l’État. Cette juridiction d’exception avait été instaurée en vertu de l’état d’urgence – en vigueur depuis 1981 – pour juger les cas de… terrorisme. Elle a rendu son verdict le 14 novembre 2001, prononçant 23 peines de prison, de un à cinq ans, et 29 acquittements.
La campagne médiatique orchestrée par les journaux égyptiens s’était alors focalisée sur des questions qui n’avaient rien à voir avec les faits reprochés. On avait ainsi sous-entendu l’existence de relations entre les prévenus et Israël, et présenté ceux-ci comme appartenant à une secte d’adorateurs de Satan.
Coup de théâtre le 23 mai 2002 : la campagne internationale de soutien aux homosexuels égyptiens et les pressions américaines, mais aussi françaises, incitent le président Hosni Moubarak à user des prérogatives que lui confère l’état d’urgence pour casser (en partie) le verdict rendu par la Haute Cour de sûreté de l’État. Le raïs annule le jugement prononcé à l’encontre de vingt et un détenus, tout en ratifiant la peine de prison de deux autres, les plus lourdement condamnés, au motif qu’ils étaient poursuivis pour « mépris de la religion ».
« En réprimant les homosexuels, l’État cherche à faire des concessions aux islamistes (devenus première force d’opposition aux législatives de 2000) sur ce point consensuel pour ne pas avoir à céder sur les questions politiques, comme l’abrogation de l’état d’urgence ou l’élargissement du champ des libertés », expliquent les observateurs. C’est aussi un bon moyen de détourner l’attention de l’opinion de questions autrement plus sérieuses telles que la crise économique et la corruption. Il faut dire qu’il est encouragé par le mutisme d’organisations de défense des droits de l’homme qui ne lèvent pas le petit doigt pour défendre les homosexuels, au prétexte qu’une telle action risquerait de décrédibiliser leurs autres combats. Pour Hisham Kassem, le président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme (OEDH), prendre la défense des homosexuels est une « cause perdue à laquelle il valait mieux renoncer », car elle ne manquerait pas d’être interprétée comme « l’introduction de l’homosexualité en Égypte », ce qui « tuerait le concept de droits de l’homme » dans ce pays (sic !).
Depuis la vague de réprobation internationale suscitée par l’affaire du Queen Boat, la répression des gays se fait plus discrète. Elle n’en est pas moins brutale. À en croire le site www.gayegypt.com, il y a en moyenne une arrestation par jour sur les « lieux de drague » et même dans des appartements. La « brigade de l’Internet » mise en place par le ministère de l’Intérieur traque en effet les homos sur les sites gays où elle leur tend des pièges. Et il n’est pas rare qu’un rendez-vous pris par petite annonce se solde par une arrestation.

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