UA, mode d’emploi

L’organisation continentale est en pleine restructuration. Et les quelque quatre cents fonctionnaires qui travaillent au siège s’interrogent sur leur avenir.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 7 minutes.

Les sirènes des motards qui ouvrent la voie à la Mercedes 280 (immatriculée 001) d’Alpha Oumar Konaré sont devenues le cauchemar de beaucoup de fonctionnaires de l’Union africaine (UA). Tous les matins, aux alentours de 7 h 30, lorsque le convoi traverse à toute vitesse les rues d’Addis-Abeba, elles retentissent comme un rappel à l’ordre. Et indiquent à tous que le président de la Commission de l’UA vient de quitter l’Africa House, sa résidence officielle située dans le quartier huppé d’Old Airport, pour son bureau qu’il ne quittera sans doute pas avant 21 heures.
Il en va ainsi depuis la prise de fonctions de Konaré, le 19 septembre 2003. « Selon la réglementation, nous ne sommes tenus de travailler que huit heures par jour, c’est-à-dire de 8 heures du matin à 17 heures, avec une pause d’une heure pour le déjeuner, explique El Hadj Abou Ahmed, le directeur de l’Administration et du Développement des ressources humaines de l’UA. Le président Konaré, lui, fait du douze/treize heures, parfois plus. »
Comme tout enseignant qui se respecte, l’ancien professeur d’histoire (et ex-président du Mali) privilégie la pédagogie. Et sa méthode semble marcher. Le bon exemple venant d’en haut, nombre de fonctionnaires n’ont d’autre choix que de suivre le mouvement ou de se retrouver marginalisés. « Avec lui, on est sur le bon chemin, poursuit Abou Ahmed, cadre nigérien exerçant depuis le 12 juin 1975 au sein de l’organisation panafricaine. Très rapidement, il a su insuffler l’esprit d’équipe à l’ensemble du personnel. Naguère, nous étions cloisonnés. Aujourd’hui, il n’y a plus un seul département qui travaille isolément. On se réunit régulièrement pour partager nos informations et même, parfois, pour faire notre autocritique. »
L’UA, qui a pris depuis deux ans le relais de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), regroupe l’ensemble des pays du continent, à l’exception notable du Maroc, qui a suspendu sa participation après l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en 1984. Elle compte aujourd’hui 839 millions d’habitants pour une superficie globale de 30,3 millions de km2, « pèse » aujourd’hui 35 % des voix aux Nations unies, ce qui n’est pas négligeable. Pour diriger cet ensemble vaste et hétéroclite qui va d’Alger au Cap, et de Dakar à Djibouti, les États ont créé une Commission de dix membres (cinq femmes et cinq hommes) élus pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois, que l’on peut qualifier, en forçant un peu le trait, de premier gouvernement panafricain de l’Histoire.
Siègent dans cet exécutif continental, aux côtés de Konaré, un vice-président rwandais, Patrick Mazimhaka, ainsi que huit commissaires originaires d’Algérie, de la Gambie, du Congo-Brazzaville, de la Namibie, du Cameroun, de la Tanzanie, de la Libye et du Malawi. L’OUA fonctionnait, jusqu’à la signature de son acte de décès, avec un budget, pour le moins insignifiant, de 43 millions de dollars. Le président de la Commission de l’UA, dont la mission peut être aisément comparée aux douze travaux d’Hercule, réclame, au grand dam de certains ambassadeurs africains en poste à Addis-Abeba, 600 millions de dollars pour pouvoir travailler dans des conditions décentes à l’intégration des 53 États membres et de leurs économies. Mais où trouver ces fonds, alors que bon nombre de ces pays battent financièrement de l’aile ? « Chaque État pourrait verser 0,5 % de son budget à l’organisation, confie Konaré. On pourrait également imaginer de créer une taxe sur les billets d’avion entre l’Afrique et le reste du monde, ou créer un fonds fiduciaire auquel les États pourraient prêter de l’argent. L’Union africaine placerait l’argent sur le marché international, rembourserait sa dette et garderait, bien entendu, les intérêts pour ses projets d’intégration. »
En attendant de disposer d’un budget à la mesure de ses ambitions, la nouvelle organisation continentale a, comme il se doit, ses propres structures, ses agents de sécurité, généralement courtois, son service de maintenance, capable d’intervenir rapidement en cas de pépins informatiques ou électriques, son site Web (www.africa-union.org), encore lent, mais qui n’a rien de comparable avec celui de la défunte OUA, son restaurant, à Congo Hall, son centre médical, qui prodigue les premiers soins, un complexe sportif et de relaxation. Et, bien entendu, sa propre administration interne, au sens large, répartie entre le siège, à Addis-Abeba, et les bureaux régionaux de Nairobi, Le Caire, Yaoundé, Ouagadougou, Niamey, Bruxelles, Genève et New York. En tout et pour tout, 398 fonctionnaires et agents, parmi lesquels on compte 10 élus (les commissaires), 47 recrues bénéficiant d’un « statut spécial », 109 agents recrutés dans le cadre du système dit des quotas. Et 232 salariés relevant des services généraux (secrétaires, clavistes, agents de sécurité, coursiers, etc.), qui sont, dans leur écrasante majorité (153), des citoyens éthiopiens.
Parmi le personnel (toutes catégories confondues), on compte, par exemple, 6 Algériens, 8 Maliens, 4 Béninois, 17 Kényans, 3 Libyens, 14 Nigérians, 2 Tunisiens, 8 Sénégalais, 3 Ivoiriens, 1 Sud-Africain et… 186 Éthiopiens. L’effectif total devrait être porté, d’ici à 2005, à 762, au terme d’une restructuration et d’une nouvelle politique d’embauche qui met davantage l’accent sur la formation, la compétence et l’efficacité. « Nous devons nous séparer des chasseurs de primes et de ceux qui se présentent uniquement à la fin du mois pour toucher leur salaire. La survie de l’organisation est à ce prix », souligne un responsable.
En attendant, le personnel du siège est à l’étroit dans plusieurs bâtiments érigés sur un terrain de 75 265 m2, au milieu duquel trône un Centre de conférences de l’UA flambant neuf inauguré le 3 février 2003, où se trouvent, au troisième niveau, les bureaux de la Commission. Là, Alpha Oumar Konaré, 58 ans, reçoit et travaille, entouré de sa directrice de cabinet nigériane, Margaret Aderinsola-Vogt, de son chef de cabinet (et homme de confiance) sénégalais, Mamadou Lamine Diallo, polytechnicien et ancien de l’École des mines de Paris, de son attaché de presse malien, Adam Thiam, et du chef de son secrétariat privé, également malien, l’ambassadeur Kader Touré. Sans oublier l’aide de camp des « années Koulouba », l’irremplaçable commandant Cissé.
En prévision de l’augmentation de ses effectifs, l’UA envisage de s’agrandir et de s’étendre à un terrain contigu, d’une superficie de 210 000 m2. Mais, pour le moment, le domaine convoité abrite des squatteurs et une des… prisons de la capitale. Une fois ses locataires relogés ailleurs, le terrain devrait accueillir un autre centre de conférences, capable d’accueillir les sommets des chefs d’État (lesquels se tiennent tous les deux ans, à Addis-Abeba, plus précisément dans le grand auditorium de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, CEA), une bibliothèque digne de ce nom, un centre de documentation et d’archives, des banques, un service postal, une station à essence, des magasins, des villas pour les hôtes de marque et un amphithéâtre. Les deux propriétés devraient être reliées par un pont.
Mais, pour l’heure, le personnel semble plus préoccupé par les licenciements à venir. Beaucoup craignent, en effet, de faire les frais d’une opération de restructuration pourtant conduite en toute indépendance par deux consultants internationaux basés à Dakar. « Les gens sont inquiets pour l’avenir », explique un agent de sécurité éthiopien. « Il n’y aura pas de chasse aux sorcières, assure pour sa part le directeur de l’administration et du développement des ressources humaines. Les recrutements se feront dans la transparence. » De fait, l’UA a entamé une cure de jouvence depuis juillet 2003. Elle cherche donc à se débarrasser de ses brebis galeuses et à recruter. Les postes sont ouverts aux agents exerçant déjà dans la maison, mais également aux candidatures extérieures et même, grâce au Web, aux Africains de la diaspora. D’ici à la fin du mois d’août, tous les postes de directeurs et de chefs de bureaux régionaux seront pourvus. Pour conjurer le mauvais sort et éviter de faire partie de la charrette, beaucoup de fonctionnaires ont recours aux devins et aux (rares) marabouts ouest-africains exerçant dans la capitale éthiopienne. On raconte ainsi qu’un agent aurait été nuitamment surpris en pleine cérémonie rituelle, alors qu’il essayait d’enterrer une tête de boeuf dans l’enceinte de l’Union africaine.
On peut comprendre le désarroi de certains. En dépit des critiques récurrentes, notamment sur le « faible » niveau des salaires, travailler pour l’organisation continentale reste, pour beaucoup de gens, très gratifiant. « Nous sommes peut-être mal payés au regard de nos collègues de la CEA, mais si l’on se réfère aux traitements versés aux fonctionnaires des pays dont nous sommes originaires, nous ne sommes pas à plaindre », admet un directeur. Un agent de la catégorie de base (P1), échelon 10, touche ainsi 23 338 dollars annuels nets d’impôts, un fonctionnaire principal (P5) du même échelon, 43 380 dollars, et un directeur de département d’un échelon similaire, 47 666 dollars. À ces émoluments viennent s’ajouter plusieurs avantages, notamment les allocations familiales. L’UA verse des allocations aux conjoints de ses fonctionnaires et, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 24 ans, à quatre de leurs enfants à charge (l’âge limite a été ramené à 21 ans pour la progéniture de ceux qui ont été recrutés après juillet 2003). Elle verse également une indemnité de frais d’études (6 500 dollars) pour chaque enfant à charge et rembourse jusqu’à 75 % des « frais d’éducation ».
Les fonctionnaires bénéficient par ailleurs d’une couverture sociale. Ils ont vingt-huit jours ouvrables de congé annuel et, même s’ils ne jouissent pas encore pleinement des immunités et privilèges diplomatiques (l’Éthiopie, le pays hôte, traîne les pieds sur ce point), ils voyagent, comme les responsables onusiens, avec un laissez-passer rouge (les employés locaux en mission utilisent, eux, un laissez-passer bleu). Les dix commissaires voyagent en première classe, les fonctionnaires en classe économique, sauf lorsque le vol dure plus de huit heures (classe affaires). Et ce n’est pas tout.
Pour garder la forme, les agents ont à leur disposition, dans l’enceinte de l’UA, deux cours de tennis en terre battue sur lesquels on peut même jouer la nuit, ainsi qu’un gymnase construit par l’Association du personnel et inauguré le 25 mai 1999 par Salim Ahmed Salim, alors secrétaire général de l’OUA. Le complexe est équipé de deux saunas (dont l’un est exclusivement réservé aux dames) ainsi que d’une salle d’aérobic. L’abonnement mensuel revient à 80 birrs éthiopiens (5 247 F CFA) pour le personnel, et à 150 birrs (9 839 F CFA) pour les proches et les amis.

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