Trafic d’uranium nigérien vers l’Irak : info ou intox ?

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

Des ventes illégales d’uranium provenant du Niger auraint été négociées avec cinq États, dont l’Irak, au moins trois ans avant le début de l’invasion américaine. C’est en tout cas ce qu’ont révélé au Financial Times plusieurs officiels européens du renseignement.
Ils affirment avoir découvert entre 1999 et 2001 que des trafiquants envisageaient de vendre le précieux minerai (ou son oxyde, le yellowcake) à l’Iran, la Libye, la Chine, la Corée du Nord et l’Irak. Leurs révélations sont venues enrichir le dossier monté par le gouvernement britannique en septembre 2002 sur les armes de destruction massive de l’ancien régime baasiste. L’Irak aurait donc bien tenté d’acheter de l’uranium à un pays africain, comme George W. Bush l’avait mentionné dans son discours sur l’état de l’Union en janvier 2003.
Il avait pourtant été fermement démenti par l’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA). Les documents mentionnant des ventes d’uranium à l’Irak une correspondance entre un responsable nigérien et un officiel irakien communiqués par Londres et
Washington à l’AIEA étaient des faux. Un camouflet pour l’administration Bush, qui avait ensuite décidé d’abandonner la piste nigérienne.
Erreur ! estiment ces responsables d’agences de renseignement. Les enquêtes menées bien avant, en Europe et en Afrique, laissent à penser que le Niger était véritablement au centre d’un trafic international d’uranium. À les en croire, les faux documents révélés en octobre 2002, via un homme d’affaires italien à la réputation sulfureuse, n’apportaient
de toute façon aucun élément supplémentaire aux preuves déjà rassemblées par les différentes agences de renseignement. Le gouvernement Blair avait effectivement exploité ces correspondances, en précisant qu’elles venaient s’ajouter à d’autres informations, réunies notamment par le GCHQ, le centre de surveillance britannique, qui avait surpris
la visite d’un responsable irakien au Niger.
Malheureusement, le gouvernement américain a choisi d’insister presque exclusivement sur des documents fabriqués de toutes pièces pour soutenir sa thèse et justifier l’attaque contre Saddam Hussein. Alors que d’autres preuves tangibles révélaient déjà que des rencontres avaient eu lieu dans différents pays d’Europe, notamment en Italie, entre des Nigériens et des acheteurs potentiels d’uranium non déclaré.
Le minerai mis en vente illégalement proviendrait des mines abandonnées par les deux entreprises exploitantes, la Cominak et la Somair, qui dépendent toutes deux de la française Cogema. « Les mines peuvent être abandonnées quand elles ne sont plus rentables, explique un spécialiste de la lutte contre la prolifération nucléaire. Mais cela n’exclut pas que d’autres personnes puissent en exploiter l’uranium clandestinement » sans que les entreprises soient au courant. À la recherche d’acheteurs, les trafiquants auraient trouvé une oreille attentive dans cinq pays (Corée du Nord, Chine, Libye, Iran et Irak). On sait ainsi que les pourparlers engagés en Europe ont abouti à une vente illégale d’uranium dans deux pays, mais il n’est pas encore certain que l’Irak ait effectivement reçu une livraison d’uranium nigérien.
Les suspicions pèsent en revanche sur la Libye. « Si je veux fabriquer une bombe, je n’utiliserai évidemment pas l’uranium que j’ai acheté légalement. Je préférerai celui que j’ai acquis clandestinement afin de garder mon programme d’armement nucléaire secret », explique un expert. Tel aurait été le procédé utilisé par Tripoli avant d’abandonner son
programme nucléaire fin 2003. Selon l’AIEA, la Libye possède 2 600 tonnes de yellowcake. Or, bien que Niamey soit son fournisseur essentiel, moins de 1 500 tonnes ont été déclarées à l’exportation.
Le scandale des faux documents au début de l’année 2003, à la veille de l’invasion de l’Irak, a poussé l’administration américaine à faire machine arrière sur la question de l’uranium nigérien et des ventes illégales. Faut-il donc voir, derrière ces documents
falsifiés, introduites dans le circuit des services secrets à la fin 2002, une manipulation pure et simple destinée à reléguer au second plan le travail d’enquête effectué par ailleurs ? Les agents des bureaux de renseignement européens ne sont pas loin, aujourd’hui, de le penser.

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