États-Unis : la torture selon Bush

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 3 minutes.

La question a été posée au président George W. Bush, au début de juin : le gouvernement américain a-t-il autorisé la torture à l’encontre des terroristes présumés ? Réponse : « Nos agents ont reçu pour instruction de respecter la loi. Cela devrait vous rassurer. » La capacité des juristes à interpréter la loi étant ce qu’elle est, on voit mal quelle raison il y aurait d’être rassuré. La récente publication d’un rapport du groupe de travail constitué, en mars 2003, par le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld en témoigne. Comme son titre l’indique, ce document s’efforce d’inscrire « les interrogatoires des détenus dans le contexte global de la lutte contre le terrorisme ». On ne sait pas encore s’il s’agit là de la position officielle de l’administration Bush, mais c’est au moins une excellente indication sur la manière dont ses juristes interprètent la loi.
– La torture est-elle légale ?
Oui, sans discussion. Le président l’a dit : les États-Unis sont en guerre contre le terrorisme. Or, en temps de guerre, « le président est seul habilité à décider des moyens les plus efficaces pour l’emporter sur l’ennemi ». Cette totale liberté d’action découle de l’application de la Constitution, qui fait de lui le chef des armées, mais aussi, dans le cadre d’une « vaste dévolution » d’autorité, le dépositaire de tous les pouvoirs exécutifs.
– Quand la torture peut-elle être pratiquée ?
La Constitution accorde au président une « complète autorité sur la conduite de la guerre ». Cela signifie que, confronté à une « menace grave et imminente contre les intérêts et la sécurité de l’Amérique », il est autorisé à « répondre à cette menace par tous les moyens à sa convenance ».
– Qui est susceptible d’être torturé ?
Tout le monde est un ennemi potentiel, affirme le rapport. Le président est donc autorisé à « se procurer toute information qu’il juge nécessaire pour prévenir des attaques contre les États-Unis ».
– Où la torture peut-elle être pratiquée ?
Le rapport n’assigne aucune limite géographique au pouvoir du chef de l’exécutif en la matière.
– L’interdiction constitutionnelle visant les châtiments cruels et exceptionnels s’applique-t-elle à la torture ?
Non. L’interdiction prévue par le huitième amendement de la Constitution est destinée à protéger « toute personne reconnue coupable d’un crime ». Or les détenus ne sont reconnus coupables de rien.
– Le Congrès américain a-t-il la possibilité de restreindre le pouvoir donné au gouvernement de pratiquer la torture ?
Non. Il est vrai que diverses lois fédérales prévoient des sanctions pénales potentiellement applicables aux tortionnaires, mais elles ne font pas explicitement référence au pouvoir constitutionnel dont le président, et lui seul, dispose en ce domaine. « Toute tentative du Congrès pour réglementer les interrogatoires des combattants illégitimes constituerait une violation de la Constitution, qui octroie au président les prérogatives de chef des armées », estiment les auteurs du rapport. Le ministère de la Justice ne serait donc pas tenu d’appliquer une telle loi.
– L’ordre de torturer un détenu doit-il venir directement du président ?
Non. Il est « préférable » que la décision émane de lui, mais ses collaborateurs n’ont pas l’obligation de lui en référer avant d’engager une procédure de ce type.

Telle est donc la manière dont les juristes de l’administration voient la législation en vigueur. De leur point de vue, le débat en cours dans l’opinion – certaines méthodes visant à infliger une souffrance à un détenu relèvent-elles, techniquement, de la torture ? – est tout simplement sans objet. Dans la guerre contre le terrorisme, les employés de l’administration ont constitutionnellement le droit de maintenir en détention et de torturer quiconque constitue, à leurs yeux, une menace grave et imminente contre les intérêts et la sécurité des citoyens – et des non-citoyens. Avec ou sans l’accord du président. À l’étranger comme sur le territoire des États-Unis. Et même si le Congrès proscrit de telles pratiques.
Faire potentiellement de la torture une technique d’interrogatoire comme une autre n’est certainement pas de nature à contribuer au prestige et à la grandeur. Et ce n’est assurément pas une interprétation très saine de la Constitution américaine.

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* Professeur de droit international à la Tufts University et ancien conseiller juridique de la Commission des affaires étrangères du Sénat des États-Unis.

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