Pourquoi les Japonaises baissent les bras

On a beau leur promettre des avantages de toute sorte : accablées par le machisme de leurs conjoints, les femmes rechignent de plus en plus à faire des enfants.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Le Japon est un pays vieillissant. C’est une préoccupation grandissante pour ses dirigeants, car la dépopulation aura des conséquences dramatiques pour la deuxième puissance économique mondiale. Le plus douloureux sera la nécessité d’énormes augmentations d’impôts afin de payer les retraites et les services publics. Les démographes estiment que l’archipel, qui comptera 127 millions d’habitants en 2006, risque d’en avoir moitié moins à la fin du XXIe siècle, soit 64 millions.
Le quotidien britannique Financial Times s’est penché sur la question et a interrogé l’écrivain-journaliste japonaise Ayako Doi. Celle-ci vit aujourd’hui à Washington DC, exilée volontaire pour fuir une société où la condition féminine reste très archaïque et où les mentalités ne prêtent pas à l’optimisme en matière de progrès émancipateurs. Comme Ayako Doi l’explique dans son dernier livre, The Japan Digest, publié aux États-Unis, la maigre valorisation du statut des femmes a des conséquences importantes sur la natalité. On le voit en comparant le Japon avec la Norvège, que le journaliste Simon Kuper décrit comme son exact contraire en matière démographique (voir encadré ci-dessous).
En japonais, le phénomène s’appelle shoshika, qui signifie « société avec peu d’enfants ». En 1990, le ministre des Finances et futur Premier ministre Ryutaro Hashimoto affirmait qu’à la racine du problème il y avait l’envie des femmes d’aller à l’université. Selon lui, il fallait arrêter tout de suite la politique éducative permettant à tous les étudiants de poursuivre leurs études. Scandale. En 1998, dans un rapport sur la shoshika, la ministre de la Santé de l’époque, Michiko Mukuno, elle-même mariée mais sans enfant, affirme que les hommes doivent jouer un plus grand rôle dans la vie de la famille. En écho, le gouvernement et le secteur privé ont fait des déclarations de bonnes intentions, promettant haltes-garderies, réductions d’impôts en cas d’enfants à charge et horaires flexibles. Plus facile à dire qu’à faire.
Les mesures d’incitation se heurtent de plein fouet aux mentalités. Alors qu’un décret de 2003 autorise la parité des congés de maternité, seul un nouveau père sur deux cents (0,55 %) ose s’arrêter quelques jours. D’après le quotidien Yomiuri, 89 % des employés estiment que l’ambiance dans l’entreprise n’incite pas à demander des vacances. Quant aux garderies, elles ont des listes d’attente sans fin tandis que les horaires flexibles sont devenus quasiment impossibles à maintenir dans le contexte économique actuel. Enfin, la politique d’immigration ne permet pas le recrutement de jeunes filles au pair, auxquelles on recourt très souvent pour la garde des enfants dans les autres pays industrialisés. De toute façon, ce n’est pas dans les habitudes des Japonais d’accueillir durablement des étrangers sous leur toit.
Je ne me marierai pas ! et Femme hybride sont deux best-sellers de Yoko Haruka, une jeune essayiste d’Osaka. Ils racontent le destin de la Japonaise moderne et en concluent qu’être une femme qui travaille, c’est comme jouer à un jeu vidéo où l’on ne gagnerait jamais. Qu’importe qu’elle passe huit heures par jour au bureau et arrive à la maison épuisée : si elle remet la lessive au week-end ou sert un dîner froid, son mari pensera qu’elle est une mauvaise épouse. Il attend qu’elle soit aux petits soins pour lui, descende acheter des cigarettes, fasse le café et qu’en plus elle garde assez d’énergie pour faire l’amour.
La femme modèle affiche un sempiternel petit sourire modeste et satisfait les moindres désirs de son homme. On trouve quantité de ces ménagères qui adorent cuisiner pour leur famille et leurs amis et trouvent normal de faire la vaisselle, la lessive et les courses. On se demande bien pourquoi les enfants de ces couples « heureux » ne sont toujours pas mariés lorsqu’ils atteignent la trentaine.
Peut-être les hommes sont-ils conscients que leur peu d’empressement à participer aux travaux ménagers a des conséquences sociales importantes ? Statistiquement, ils n’y consacrent pas plus de trente minutes par jour, ne serait-ce que pour descendre la poubelle ou arroser les plantes, alors que les femmes, y compris celles qui travaillent, y passent 5 heures et 37 minutes. Il n’est donc nullement étonnant que le mot qui vient immédiatement à l’esprit de ces dernières pour qualifier le mariage n’est pas « amour », « confort » ou « bonheur », mais « endurance ». Il n’est pas rare de voir des femmes mariées s’acheter des concessions personnelles dans les cimetières pour éviter d’être encore liées à leur époux dans l’au-delà !
Pourtant, le mariage n’a pas perdu tous ses attraits. Des études réalisées par l’Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale montrent que 90 % des célibataires souhaitent convoler « un jour ». Le problème est qu’ils ne parviennent pas à trouver le conjoint adéquat. De plus en plus de femmes veulent étudier, faire carrière et avoir leur indépendance économique. Les hommes préfèrent toujours une femme à la maison. Alors, comme elles ne sont plus sûres de fonder une famille, les Japonaises de 30 ou 40 ans s’achètent, dès qu’elles le peuvent, un appartement, réflexe inexistant il y a dix ans.
Comme elles ne voient aucun changement se dessiner, nombre d’entre elles renoncent non seulement au mariage, mais tout bonnement au Japon. Elles n’hésitent plus, comme Ayako Doi, à partir pour New York, Londres, Singapour ou Shanghai à la recherche de nouveaux défis professionnels. D’autres entrent à l’université ou dans les grandes écoles pour passer des diplômes, espérant pouvoir partir à l’étranger pour les achever. Une fois expatriées, pas question pour elles de revenir, sauf pour travailler dans des gaishi-kei, des entreprises étrangères, susceptibles de les traiter, enfin, comme de vraies professionnelles.

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