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Le 29 avril, à la surprise générale, François Fall démissionnait de son poste de Premier ministre et s’exilait. Depuis deux mois, emmuré dans son silence, Lansana Conté laisse le gouvernement se débrouiller sans chef d’orchestre.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

La Guinée est décidément le pays des paradoxes. Elle l’a de nouveau prouvé au lendemain de la démission surprise, le 29 avril, de son Premier ministre François Lonsény Fall. Séjournant en France, celui-ci s’était soudain « effacé », rendant sa démission publique dans Jeune Afrique/l’intelligent.
Face à l’événement pour le moins rocambolesque (lire J.A.I. n° 2260), les réactions dans l’opinion guinéenne et internationale n’ont eu d’égal que le mutisme complet des autorités du pays. Le chef de l’État, Lansana Conté, n’a eu pour tout commentaire public que cette phrase laconique, lancée à la fin de la séance du Conseil des ministres du 4 mai : « Maintenant qu’il n’y a plus de Premier ministre, je le suis moi-même. » En dehors du cercle restreint du Conseil, aucun Guinéen n’a entendu la moindre réaction de Conté au départ de Fall. Le gouvernement, tout comme les médias publics, s’est jusqu’ici emmuré dans le silence, s’abstenant même de prendre acte officiellement de cette démission.
Tout au plus Lansana Conté a-t-il pris une mesure pour pallier l’absence du chef du gouvernement. Le 4 mai, le président guinéen a créé quatre « domaines ministériels », destinés à mettre en cohérence les actions de départements regroupés : Souveraineté (Affaires étrangères, Justice, Sécurité, Défense…), Économie (Finances, Plan, Contrôle économique, Mines, Pêche, Agriculture…), Infrastructures (Énergie, Travaux publics, Transports, Urbanisme, Habitat…) et Affaires sociales (Éducation, Emploi, Jeunesse, Sports, Information…).
Après de vaines tentatives pour le faire revenir sur sa décision et obtenir de Fall son retour à Conakry, Conté semble donc s’être résigné à la séparation. L’ancien Premier ministre a même été déchu de sa qualité de fonctionnaire, fin mai. Une décision prise « en toute urgence et dans la confidentialité », et qu’Alpha Ibrahima Keira, ministre de l’Emploi et de la Fonction publique, qualifie sans rire de « mesure entrant dans le cadre de l’assainissement des fichiers de la fonction publique ».
Signe des temps, le siège de la primature – un imposant bâtiment colonial d’un blanc immaculé qui surplombe le quartier administratif de Kaloum – ne garde plus que le souvenir de l’affluence des mois de février, mars et avril, quand ministres, hauts fonctionnaires, hommes d’affaires et autres visiteurs se disputaient ses parkings et ses couloirs pour rencontrer le maître des lieux. Même si – autre curiosité dans ce pays, qui n’en manque pas – les anciens collaborateurs de Fall continuent, faute d’instruction contraire, à venir tous les jours au bureau.
Le directeur de cabinet, le chef de cabinet et les seize conseillers qui composent l’équipe ne sont plus associés à la gestion des dossiers importants. Daouda Camara, le directeur de cabinet, n’a tout bonnement pas obtenu de réponse lorsqu’il a demandé que les deux membres de son équipe chargés des questions économiques et financières prennent part aux discussions entamées le 19 mai à Conakry avec la mission conjointe du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
Mis en quarantaine sans être dissous, écarté des réunions et commissions interministérielles, le cabinet de la primature détient pourtant des dossiers aussi utiles qu’urgents, parmi lesquels le « IIIe Projet Eau », d’un coût de 2,38 milliards de francs guinéens (982 700 euros), destiné à résorber la pénurie d’eau courante à Conakry par une production supplémentaire de 10 000 m3 par jour. Mais aussi le chantier de modernisation de l’administration, engagé par Fall et qui avait commencé par l’établissement de fiches d’évaluation de tous les départements ministériels. Ou encore la gestion de certains projets et programmes financés par les partenaires en développement et rattachés à la primature.
Mais le vide créé par le départ de l’ancien Premier ministre se ressent surtout par un relâchement dans la coordination des actions du gouvernement. D’autant que le chef de l’État est accaparé depuis plusieurs semaines, à la faveur des premières pluies, par la supervision des semis dans ses exploitations agricoles, disséminées à travers le pays. Il s’est replié dans son village de Wawa (à 90 km de Conakry), et ne passe qu’épisodiquement dans la capitale.
Faisant montre de bonne volonté, le ministre des Finances, Mady Kaba Kamara, tente d’introduire un minimum de coordination dans le travail de ses homologues. Mais sans avoir la légitimité ni l’autorité requises pour être efficace.
En l’absence de capitaine donc, le navire Guinée tangue et peine à tracer sa route sur des eaux troubles. Le contexte social et économique du pays est en effet des plus difficile, comme s’en est fait l’écho le président de l’Assemblée nationale. À l’occasion de la clôture, le 21 mai, de la première session parlementaire annuelle, Aboubacar Somparé a souligné « le contexte économique difficile que connaît [le] pays, et qui a trait ces derniers mois à la flambée des prix sans précédent qui s’observe sur le marché guinéen, obérant ainsi durement le pouvoir d’achat des ménages. » Ce baron du régime n’a pas pu se priver de fustiger « le faible niveau de recouvrement des recettes, la corruption, la persistance de la pénurie d’eau et d’électricité ».
Avec un taux d’inflation réel de 10,3 %, selon un document interne du FMI, et une monnaie en constante dépréciation (1 franc CFA s’échange aujourd’hui 5 francs guinéens, contre 2,4 en 2002), l’économie guinéenne est mal en point. Mais ni l’insistance de Fall ni sa démission n’ont réussi à convaincre Conté d’accepter les sacrifices pour renouer avec les partenaires en développement du pays. Bien au contraire. Le 10 mai, un décret présidentiel est venu dissoudre le Comité national de lutte contre la corruption qui avait été mis sur pied en février 2000 sur l’insistance du FMI, de la Banque mondiale et de l’Union européenne (UE).
Une décision inattendue, intervenue un mois après que Conté eut annulé une mission d’explication de quelques-uns de ses ministres pour renouer les fils du dialogue avec l’UE. À l’issue d’une visite à Conakry, du 1er au 4 juin, d’ambassadeurs des ACP (pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, partenaires de l’UE), le chef de l’État s’est difficilement laissé convaincre d’envoyer une délégation dans la capitale belge, début juillet. À la clé, le déblocage au profit de son pays d’une aide de 240 millions de dollars au titre du IXe Fonds européen de développement (FED), gelé depuis des années pour cause de « déficit démocratique ».
Peu d’observateurs parient sur une issue heureuse des négociations qui vont s’engager, le gouvernement guinéen étant peu pressé de respecter les « conditionnalités démocratiques » posées par la Convention de Cotonou : le respect des droits de l’homme, l’instauration d’un État de droit, la bonne gouvernance, la libéralisation des ondes… Le numéro un guinéen bloque particulièrement sur ce dernier point, répétant à l’envi à ses proches sa réticence à autoriser la création de « radios privées qui vont passer toute la journée à [l’]insulter ».
Ceux qui espéraient que la démission de Fall allait déclencher un choc, occasionner une autocritique, doivent donc déchanter… Tout comme ceux qui, par ailleurs, pronostiquaient le basculement de l’ex-Premier ministre dans l’opposition et dans la critique systématique du régime.
Depuis son arrivée à New York, le 5 mai, Fall s’attelle à décrocher et à « se faire oublier ». Entre repos et lecture, il meuble ses journées et réfléchit sur la suite à donner à sa carrière. Ses idées d’ouverture politique, de dialogue avec l’extérieur, de perfectionnement de l’administration ont échoué, tout comme le message véhiculé par sa démission à impulser une nouvelle dynamique en Guinée.

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