Marie-Claire Mendès France
La veuve de l’ancien président du Conseil français est décédée le 28 juin à Paris.
Mission accomplie, pouvait se dire Marie-Claire Mendès France avant de s’éteindre à l’âge de 83 ans le 28 juin à Paris. Depuis la disparition de Pierre Mendès France en 1982, elle s’était consacrée à poursuivre son oeuvre en entretenant sa mémoire. Elle avait fondé l’Institut Pierre-Mendès-France qui a rassemblé ses archives pour les mettre à la disposition du public. Ses textes sont publiés chez Gallimard et l’on vient de commémorer le cinquantenaire de son accession au pouvoir, le 18 juin 1954. Celle que les siens appelaient Chine (un mot d’enfant inspiré par un séjour asiatique de la grand-mère) parlait de l’ancien président du Conseil comme s’il était encore en vie. Elle disait joliment « Mendès était ma France ». Pour elle, l’artisan de la paix en Indochine et de l’indépendance de la Tunisie était « le seul homme d’État dont j’ai rêvé pour mon pays ». Mais elle n’était pas seulement son ombre. Elle appartenait à une puissante dynastie politico-journalistique. Son père, Robert Schreiber (patronyme auquel sera greffé Servan après la Libération), avait fondé Les Échos. Sa mère, Suzanne Crémieux, égérie éblouissante du Parti radical, était sénateur. Son grand-oncle, ministre de la Justice en 1848, est celui-là même qui a octroyé la citoyenneté aux juifs d’Algérie.
C’est une belle histoire d’amour, contrariée comme il se doit, qui a lié Marie-Claire et Pierre Mendès France. Leur romance a débuté en 1955 mais ils ne purent se marier qu’en 1971. Certes, Marie-Claire s’identifiait à Mendès, mais les nuances entre les deux personnalités sont perceptibles. L’intransigeance était leur bien commun. Mais si chez PMF, homme d’État s’il en est, elle procédait d’une froide rigueur intellectuelle, avec Marie-Claire, « viscéralement de gauche », c’est la passion qui semblait dominer. Elle était d’abord et avant tout un caractère.
Un jour, au restaurant, un voisin qui murmure « Mendès le juif » écope… d’un gnon ! Elle s’était brouillée pour la vie avec son frère Jean-Claude Servan-Schreiber. Parce qu’il s’était converti au catholicisme ? « Non, parce qu’il était amoureux de De Gaulle ! » En 1991, elle démissionne de la Société des lecteurs du Monde qui a publié une tribune de Jean-Marie Le Pen.
Sa force de caractère, Marie-Claire Mendès France l’avait surtout mise au service des humbles et des humiliés comme l’atteste l’affaire Sarah Balabagan. En 1996, elle apprend qu’une bonne philippine est condamnée à mort aux Émirats pour avoir tué le maître qui l’avait violée. Aussitôt la mobilisation est décrétée. Une pétition recueillera un demi-million de signatures. Marie-Claire se rend chez les émirs et prend langue avec un dignitaire. Ce qui ne plaît pas à tous. La sentence est commuée en bastonnade. Péripétie saugrenue : la grande dame tient à se rendre compte de l’effet de la punition. Et subit elle-même vingt coups de bâton ! Au grand dam de ses amis parisiens, qui l’accusent de « banaliser la barbarie ». Foin de ces « hululements médiatiques ». Sarah retrouve son pays. Avec un pécule et le rêve de devenir avocate.
Après le « putsch sanitaire » en Tunisie, la veuve de PMF ne cesse de harceler le nouveau pouvoir sur le chapitre des libertés et, en mars 1989, elle est invitée à rendre visite au Combattant suprême. Elle évoquera sa rencontre dans J.A. (n° 1492) avec un fair-play qui force le respect : « Je le dis comme je le pense, je crois que le président Ben Ali a eu raison de le délivrer de l’immense poids que ses fonctions faisaient peser sur lui. »
Mais c’est dans le conflit israélo-arabe que Marie-Claire s’était le plus investie. On sait que les premiers pourparlers secrets entre les deux parties avaient réuni en 1976 sous les auspices de PMF Issam Sartaoui, Lova Eliav et Matti Peled. Après la disparition de l’ancien président du Conseil, sa veuve reprend le flambeau. Entre 1985 et 1989, elle effectue de nombreux séjours à Tunis, où siège l’OLP. Discussions marathons avec Abou Mazen, Abou Iyad, Abou Jihad. Au terme d’un entretien de quatre heures, Yasser Arafat lance à Mme Mendès France : « Organisez une rencontre avec Rabin, quand vous voulez, où vous voulez ! » raconte Serge Adda, qui servait d’interprète. Le message est transmis. Sans suite. Ces échecs n’étaient pas pour décourager Marie-Claire. Comme le dira devant son cercueil son petit fils David Duhamel, tout au long de sa vie, l’essentiel pour elle était d’indiquer le nord et de maintenir le cap. C’est peut-être pour cela que Chine semblait proche même à ceux qui ne la connaissaient que de loin.
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