Les gros sabots de George W.
Quand Bush se mêle de ce qui ne le regarde pas.
Les Turcs n’ont que des inquiétudes ; George W. Bush, des certitudes. Ainsi peut-on résumer les rencontres qui se sont tenues le 27 juin à Ankara, en marge du sommet de l’Otan, entre le président américain et les responsables turcs – son homologue Necdet Ahmet Sezer, puis le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
« Vous devriez obtenir une date pour votre accession à l’Union européenne », a lancé Bush à Erdogan, faisant allusion au sommet européen de décembre, où les Vingt-Cinq devront se prononcer sur l’ouverture de négociations avec la Turquie. Auparavant, Bush avait vanté devant les dirigeants de l’Union européenne (UE) les mérites d’un « pays musulman qui a opté pour la démocratie », d’une « nation fière qui mélange avec succès une identité européenne et les traditions islamiques ».
Ce soutien à un allié indispensable à la constitution d’un « Grand Moyen-Orient » modelé selon les voeux de Washington n’est pas nouveau : depuis sa première rencontre avec Erdogan, après le sommet de Copenhague de décembre 2003, Bush ne manque pas une occasion de faire connaître son point de vue. Suscitant l’irritation des responsables européens… et au risque de desservir la Turquie, ce qui n’est pas précisément l’objectif poursuivi. Bien que plutôt favorable à l’octroi d’une date à la Turquie, Jacques Chirac s’est indigné : « Non seulement le président Bush est allé trop loin, mais il est allé sur un terrain qui n’est pas le sien. C’est un peu comme si j’expliquais aux États-Unis la façon dont ils doivent gérer leurs relations avec le Mexique. »
Mais fort de sa rencontre avec six représentants des principales religions, le 27 juin, à Istanbul, Bush a répliqué qu’intégrer la Turquie à l’UE « apporterait la preuve que l’Europe n’est pas seulement le club exclusif d’une seule religion et ramènerait le choc des civilisations au rang de mythe en train de disparaître de l’Histoire ».
Cette belle rhétorique permet au président américain d’éluder les sujets les plus sensibles : l’évolution institutionnelle de l’Irak (la Turquie redoute qu’une solution fédérale ne favorise les aspirations indépendantistes des Kurdes) et la reprise de la lutte armée, dans le Sud-Est anatolien, d’une fraction des guérilleros du Kongra-Gel (ex-PKK, le parti séparatiste kurde de Turquie). Depuis le début de juin, un millier de ces combattants, jusque-là repliés dans la région de Kandil (nord de l’Irak), se sont infiltrés en territoire turc sous le regard indifférent de l’armée américaine. Les États-Unis, qui ont inscrit le Kongra-Gel sur la liste des organisations terroristes – suivis en cela par le nouveau gouvernement irakien -, s’en tiennent à de vagues condamnations. Derrière les sourires de façade et en dépit des bonnes relations qu’entretiennent Bush et Erdogan, le malaise persiste entre les deux alliés.
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