« L’ennemi de mon ennemi… »

Alors que l’Éthiopie entretient des relations tendues avec plusieurs de ses voisins, le Premier ministre Mélès Zenawi a fait alliance avec les États-Unis.

Publié le 5 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Mélès Zenawi, le Premier ministre éthiopien, a toujours été séduit par les régimes à parti unique. Sa perception du monde, son mode de pensée, tout l’oppose au chef de l’État américain George W. Bush… À tel point qu’on n’imaginait pas ces deux hommes devenir alliés. Mais Zenawi croit dur comme fer à l’adage de Mao Zedong selon lequel « L’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Et l’Éthiopie, entourée de pays dont certains lui sont hostiles, ne considère pas comme un luxe une alliance avec Washington. L’Érythrée d’Issayas Aferwerki et la myriade de groupes islamistes soutenus par le Soudan – à l’image des Somaliens d’al-Itahad al-Islamia – menacent à tout moment de déstabiliser l’État éthiopien.
En 1998, l’Éthiopie et l’Érythrée entrent en guerre au sujet de leur frontière commune. Le conflit prend fin en 2000 avec les accords d’Alger. La commission chargée de délimiter les frontières entre les deux pays donne la ville de Badme à l’Érythrée, et la majorité du territoire environnant à l’Éthiopie. Pour des raisons essentiellement militaires, cette décision n’a pas eu l’heur de plaire aux responsables de la sécurité éthiopiens, avec qui Mélès Zenawi doit composer. Son gouvernement en demande la révision, une position jugée inacceptable par l’Érythrée. Mais, pour le Premier ministre éthiopien, la révision des accords d’Alger est une question de politique intérieure tout autant qu’une nécessité diplomatique. Le peuple tigréen, auquel appartient le chef du gouvernement, est installé dans la zone frontalière avec l’Érythrée et se montre hostile à tout compromis. D’autres groupes, à commencer par les Amharas et les Oromos, sont également opposés à l’Érythrée, et critiquent l’attitude de Zenawi envers son ancien allié, Afewerki. Or le Premier ministre doit préparer le terrain pour les élections de l’an prochain, qui se joueront sur les questions de sécurité nationale. Et beaucoup d’Éthiopiens considéreraient comme une faiblesse impardonnable un compromis avec le voisin du Nord.
Mélès doit agir prudemment, en adoptant une posture de dirigeant fort, dévoué à la sécurité de son pays et à ses intérêts stratégiques. En même temps, il ne peut pas mécontenter ses alliés occidentaux en déclenchant un nouveau conflit armé avec Asmara. Car il a bataillé longtemps auprès de Washington et de Bruxelles pour les rallier à sa cause sur la question frontalière. Avec succès. Tony Blair l’a nommé au sein de sa Commission pour l’Afrique, constituée dans la perspective de la présidence britannique de l’Union européenne, prévue au second semestre 2005. Et il s’est attiré les faveurs du chancelier allemand Gerhard Schröder et du Premier ministre suédois Goran Persson.
Les relations entre l’Éthiopie et le Soudan sont tout aussi complexes. Dans les années 1980, la guérilla dirigée par Zenawi – le Front de libération du peuple tigréen (TPLF) – adopte la stratégie d’alliance chère à son chef. L’adversaire étant alors Mengistu Haïle Mariam, qui soutient le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) de John Garang, Zenawi se rapproche du gouvernement soudanais. Après le coup d’État de 1989, le chef du TPLF réussit à maintenir des relations cordiales avec les dirigeants du Front national islamique (FNI), alors au pouvoir. Pour un temps seulement. Quand il s’installe à Addis-Abeba en 1991, il devient clair pour ses chefs de la sécurité que le FNI considère le nouveau régime éthiopien avec hostilité. Khartoum attaque alors sur deux fronts pour tenter de le déstabiliser : dons d’argent à des groupes politiques dissidents en Éthiopie (notamment le Front islamique Oromo), et création d’organisations de charité, avec le soutien d’hommes d’affaires saoudiens. Cette stratégie n’a cessé de s’amplifier jusqu’à la tentative d’assassinat contre Hosni Moubarak, le président égyptien, en visite à Addis pour le sommet de l’OUA en 1995. Le gouvernement éthiopien accuse immédiatement Khartoum d’être derrière le complot. Il interdit les organisations liées au Soudan, arrête plusieurs Soudanais présents sur son territoire et demande à son voisin, avec le soutien de l’OUA et de l’ONU, l’extradition de trois de ses ressortissants accusés d’avoir pris part à l’opération. Parallèlement, le soutien du FNI aux milices somaliennes d’al-Itahad n’arrange pas les relations avec Khartoum. Là aussi, les protestations d’innocence du FNI ne convainquent pas Addis, et les relations s’enveniment au point que les habitants craignent que le conflit entre soldats éthiopiens et al-Itahad ne s’étende à une guerre entre les deux pays.
En pleine bataille avec ses deux ennemis, Zenawi a compris l’intérêt de s’allier à Washington. Il a d’abord utilisé le climat de terreur consécutif aux attentats du 11 septembre 2001 pour justifier ses propres efforts militaires. D’autant que les États-Unis ont très vite été convaincus qu’al-Itahad al-Islamia était aidé par Khartoum et appartenait à la nébuleuse el-Qaïda. Mais en faisant alliance avec les Américains, l’homme fort d’Addis n’a en rien sacrifié son indépendance.
La fierté nationale éthiopienne est indissociable de sa diplomatie : seul pays du continent à n’avoir pas été colonisé, il s’est battu pour conserver les institutions importantes de l’UA malgré la concurrence d’autres États, comme celle de la Libye. Jusqu’à maintenant, sa culture et son histoire, ainsi que ses 65 millions d’habitants, ont permis à l’Éthiopie d’éloigner des rivaux qui lui contestaient le droit d’être la « capitale » de l’Afrique. Sa capacité à le rester dépendra de son habileté diplomatique, dans un contexte sous-régional passablement troublé.

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